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. 2020 Apr 23;46(3):S116–S118. [Article in French] doi: 10.1016/j.encep.2020.04.009

Enjeux de l’utilisation des psychotropes dans le cadre de la pandémie au SARS-Cov-2

Challenges for psychotropics in the context of the SARS-Cov-2 pandemic

H Javelot a,b,1,2,*, P-M Llorca c, G Meyer d,e, P Fossati f,1, E Haffen g,1
PMCID: PMC7177137  PMID: 32360037

Résumé

Des recommandations françaises ont été proposées sur l’emploi des psychotropes et les adaptations éventuelles pendant l’épidémie au SARS-CoV-2. Entre incertitudes liées au manque de données et spéculations sur le fait que certaines médications psychotropes pourraient présenter un éventuel bénéfice face au coronavirus, nous proposons ici des éléments permettant de fonder les décisions pharmaco-thérapeutiques potentiellement utiles chez les patients Covid+ souffrant de troubles psychiatriques.

Mots clés: Recommandations, Psychotropes, SARS-Cov-2, COVID-19


La pandémie au SARS-Cov-2 (severe acute respiratory syndrome coronavirus 2) a imposé une adaptation rapide de l’organisation hospitalière en psychiatrie [1]. Dans la pratique psychiatrique quotidienne, il faut réinterroger la balance risque-bénéfice des psychotropes, d’autant plus dans des situations cliniques rencontrées lors de l’infection au COVID-19, on peut supposer que certains puissent être des facteurs de risque – du fait du tropisme respiratoire du Coronavirus – ou des facteurs protecteurs – du fait de l’effet « antiviral » décrit in vitro pour certains psychotropes – [2], [3], [4], [5], [6], [7].

1. État respiratoire chez les patients COVID+ et utilisation des psychotropes

1.1. Dyspnée

La dyspnée, signe de gravité du COVID+, est corrélée à l’anxiété, comme à la dépression. Dans une étude chinoise, chez des patients COVID+, les maux de gorge, la toux, les difficultés respiratoires, notamment, étaient significativement corrélées à des scores plus élevés sur les sous-échelles d’anxiété et dépression de la DASS-21 (Depression, Anxiety and Stress Scale) [8].

L’emploi des benzodiazépines comporte le risque connu d’induction de dépression respiratoire, mais ces molécules du fait de leur action anxiolytique ont montré leur efficacité en monothérapie, sur la dyspnée [9]. En l’absence d’évidences scientifiques, cette stratégie peut être envisagée spécifiquement pour les situations associées à une forte charge anxieuse [9].

L’association des anxiolytiques avec les antidépresseurs sédatifs, fréquente en pratique courante augmente également le risque de dépression respiratoire. Elle doit être réinterrogée dans le contexte infectieux. La dangerosité suspectée de la mirtazapine - un antidépresseur sédatif fréquemment prescrit - dans des situations de syndromes d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) ou plus généralement de dyspnées chroniques doit être nuancée au regard de la littérature [10], [11], [12]. Cette association peut donc être envisagée dans des situations spécifiques du fait de son efficacité, sous réserve d’une surveillance accrue.

1.2. Pneumopathies

Des données récentes s’accordent sur le risque accru de pneumonie pour les patients sous halopéridol, olanzapine, clozapine, rispéridone et quétiapine, avec une dangerosité toute particulière pour la clozapine [13]. La hiérarchisation de l’utilisation des antipsychotiques dans la situation épidémique actuelle est complexe :

  • la clozapine est identifiée comme une des molécules les plus à risque [14] et légitime des recommandations d’adaptations [15], [16], mais celles-ci doivent prendre en compte ses bénéfices spécifiques : son efficacité en situation de résistance [15], [16], les difficultés actuelles du recours à certaines alternatives, comme l’ECT [17], ainsi que le risque associé à son arrêt brutal [16] ;

  • pour les molécules en apparence mieux tolérées, l’aripiprazole n’est pas référencé parmi les antipsychotiques à risque de pneumonie dans l’étude de Dzahini et al. (2018) [13], néanmoins ses caractéristiques exposent à un risque potentiel de dysphagie, voire de pneumonie de déglutition [18].

Ce risque est particulièrement important chez le sujet âgé présentant un état psychotique associé à une maladie d’Alzheimer, puisque dans trois études cliniques chez ces patients le risque de mortalité était plus élevé sous aripiprazole que sous placebo [18]. Les décès semblaient être soit d’origine cardiovasculaire, soit d’origine infectieuse, avec notamment des pneumonies [18].

La plupart des antipsychotiques imposent donc lors de la prescription, une surveillance accrue de l’état respiratoire des patients, en particulier les sujets âgés.

2. Effet « antiviral » des psychotropes. Spécificité d’action sur le coronavirus

Des données récentes in vitro ont identifié une efficacité virucide de la chlorpromazine sur le MERS-CoV (Middle East respiratory syndrome coronavirus ou Coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient) [2], mais son homologie génomique avec le SARS-CoV-2 n’est estimée qu’à 50 % [19]. Cet effet de la chlorpromazine pourrait correspondre à un effet de classe puisque plusieurs phénothiazines ont montré une efficacité sur les MERS-CoV et SARS-CoV [3]. Ces molécules présentent un profil d’action multiréceptoriel (D2, M1, H1, α1 et 5HT2A). Elles interfèrent avec l’endocytose médiée par la clathrine (protéine structurelle de la membrane plasmique des cellules), processus utilisé par de nombreux virus pour l’entrée dans les cellules hôtes, que la chlorpromazine semble capable d’inhiber in vitro [4].

D’autres substances présentant une efficacité in vitro sur les MERS-CoV et SARS-CoV ont été décrites dans la littérature, parmi lesquelles la clomipramine, mais également la benzatropine, un anticholinergique [3].

D’autres données in vitro ont montré l’efficacité du chlorure de lithium notamment contre le virus de la bronchite infectieuse aviaire (ou IBV pour infectious bronchitis virus), un type de coronavirus [5]. Ces données méritent d’être confirmées avec le carbonate de lithium. Elles pourraient venir conforter les données surprenantes de Yang et al. [20], sur un éventuel profil anti-infectieux du lithium, et démontrant que si certains antipsychotiques étaient associés de manière dose-dépendante à l’augmentation du risque de pneumonie, le lithium, lui, semblait conférer un effet protecteur dose-dépendant.

D’autres pistes alternatives concernent des psychotropes comme :

  • la mélatonine et la paroxétine [6] ; ces deux traitements sont d’ailleurs identifiés pour leur action contre le virus de la grippe en diminuant la charge virale [7], [8] ;

  • mais également la cinansérine, un antipsychotique antagoniste 5HT2A et 5HT2C, et qui a révélé un potentiel inhibiteur de la protéinase de type 3 C du SARS-CoV [21].

Ces données, exclusivement in vitro, sont à prendre avec précaution. L’hypothèse de l’efficacité antivirale chez nos patients de certains psychotropes doit être approfondie à l’aide d’études dédiées.

Elle n’a pas de conséquence pratique immédiate, et ne peut être intégrée dans le ratio bénéfice / risque qui précède la prescription.

L’enjeu du maniement des psychotropes face à la pandémie au SARS-Cov-2 comprend aujourd’hui deux volets :

  • La balance bénéfice/risque de la prescription de psychotropes doit prendre en compte leur intérêt spécifique dans les situations cliniques propres à la COVID-19, mais aussi les risques inhérents à la diminution de posologie trop rapide et à l’arrêt de ces traitements [3] ;

  • L’hypothèse de l’efficacité antivirale chez nos patients de certains psychotropes mérite d’être investie par des études spécifiques.

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références

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