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. 2020 Apr 23;107(5):538–540. [Article in French] doi: 10.1016/j.bulcan.2020.04.001

COVID 19 et cancer : quelles sont les conséquences de la réorganisation des soins oncologiques ?

COVID 19 and cancer: What are the consequences of the cancer care reorganization?

Mehdi El Amrani 1,3,, Stéphanie Truant 1,3, Anthony Turpin 2,3
PMCID: PMC7177151  PMID: 32359766

Depuis décembre 2019, le monde est touché par le développement rapide d’un nouveau coronavirus, le SARS-CoV-2 (severe acute respiratory syndrome corona virus 2). La maladie causée par ce coronavirus (COVID-19) est potentiellement responsable d’un syndrome respiratoire sévère mais également d’une défaillance multiviscérale pouvant conduire au décès. Cette infection virale respiratoire a nécessité la mise en place de mesures de confinement de la population dans la plupart des pays touchés afin de limiter la propagation du virus. Si la majorité des formes de COVID-19 (85 %) sont bénignes, les patients les plus à risque de développer des complications sont les patients fragiles, âgés de plus de 70 ans, avec comorbidités cardiovasculaires (hypertension artérielle, diabète, obésité) mais aussi les patients immunodéprimés, dont ceux suivis pour un cancer. Une première étude chinoise a ainsi montré que les patients atteints de cancer ont une plus grande incidence du COVID-19 (un pour cent de la population versus 0,29 % pour la population standard chinoise) et développent plus de formes graves de COVID-19 avec nécessité de réanimation (39 % vs 8 %, respectivement ; p  = 0,0003) en raison de leur statut immunodéprimé favorisé notamment par la chimiothérapie [1]. Sur la base de cette première publication, en dépit de limites importantes (seulement dix-huit patients atteints de cancer au total sur 1590 patients analysés) et sans attendre le développement de l’épidémie à Sars-CoV-2, les sociétés savantes françaises en cancérologie médicale et en chirurgie oncologique ont émis des recommandations pragmatiques de prise en charge. Ces recommandations ont eu pour but de protéger les patients atteints de cancer et, harmoniser les pratiques oncologiques entre les établissements [2].

Ces recommandations sont synthétisées depuis avril 2020 en français dans le Bulletin du cancer et publiées en anglais dans le Lancet Oncology [3], [4] et se basent sur trois axes :

  • prévention de la contamination ;

  • hiérarchisation des soins ;

  • organisation de la prise charge des patients par les établissements.

Pour la cancérologie médicale, ces recommandations se traduisent par la sanctuarisation des départements d’oncologie et de radiothérapie afin d’y éviter absolument la prise en charge de patients COVID-19 en raison de la contagiosité, par le maintien à domicile et par la télémédecine. En pratique, cela consiste souvent à reporter des cures de chimiothérapie surtout chez les patients fragiles, à adapter les protocoles thérapeutiques (formes orales plutôt qu’intraveineuses) en oncologie, schémas hypofractionnés en radiothérapie, à favoriser les pauses quand c’est possible, à administrer certaines cures en HAD plutôt qu’en hôpital de jour, à réorganiser les services afin de favoriser les chambres seules,et à protéger patients et soignants par le port de masques si possible.

Concernant la cancérologie chirurgicale, l’impact semble plus important encore avec la déprogrammation de toutes les chirurgies non urgentes, reportées après le pic épidémique [5], [6].

Si les recommandations récentes [3], [4] insistent sur la nécessité de limiter les temps d’hospitalisation, prioriser les populations et les pathologies en stratégie thérapeutique curative (surtout les patients ≤ 60 ans et/ou dont l’espérance de vie est supérieure ou égale à cinq ans) est important. Mais en pratique beaucoup de blocs opératoires sont à l’arrêt faute de soins intensifs et de réanimations chirurgicales inhérentes aux chirurgies carcinologiques lourdes (exemple de chirurgies comme celles du cancer du pancréas, des cancers œsogastriques, ou encore hépatobiliaires) qui sont réquisitionnés actuellement pour participer à l’effort « de guerre » et ainsi augmenter les capacités de prise en charge réanimatoire en cas d’afflux de patients COVID-19 positifs.

La mise à l’arrêt de la chirurgie carcinologique « non urgente » et « lourde », basée sur ce principe de précaution, suscite actuellement de nombreuses questions de la part de la communauté oncologique. Quelle est la définition d’une chirurgie dite « urgente » pour des patients atteints de cancer, qui in fine peut évoluer ? Faut-il quand même prendre le risque d’opérer certains patients atteints de cancers considérés comme résécables ? Faut-il au contraire reporter toutes les interventions dans un délai que, au final, on ne connaît pas ? Comment prioriser au mieux la reprise des activités chirurgicales une fois l’épidémie passée ? Et quelles seront les conséquences à court et moyen termes pour les patients, dont certains risquent d’avoir une poursuite évolutive de leur maladie et de devenir métastatiques ?

Les directives régionales des ARS peuvent en cela varier selon les régions, certaines régions ayant fait le choix de « sanctuariser » la chirurgie oncologique dans des structures non vouées à l’accueil des patients COVID-19 positifs (exemple de la Lorraine), mais au risque de mobiliser des flux de patients et donc les clusters viraux en période de confinement.

Les seules données factuelles dont nous disposons sont issues des deux précédentes épidémies grippales ayant entraîné un changement de pratiques et de la consommation de l’offre de soin. Lu et al. ont estimé une réduction de l’offre et de la demande de soins entre juin 2002 et juin 2003 pendant l’épidémie du syndrome respiratoire aiguë sévère (SARS). En revanche, les mêmes auteurs ont rapporté que l’impact de l’épidémie SARS sur l’offre de soins en chimiothérapie et radiothérapie était mineur [7]. Une autre étude a révélé que le taux de chirurgie élective a subi une baisse de dix-huit pour cent pendant l’épidémie SARS mais sans aucun impact sur la chirurgie d’urgence [8]. En revanche, Nakada et al. ont montré que la pandémie provoquée par le H1N1 n’avait eu qu’un impact minime sur la chirurgie carcinologique au Japon [9]. Ces études montrent clairement que l’adaptation de l’offre de soins dans un contexte pandémique reste nécessaire.

Au total, malgré la grande réactivité des acteurs du système de santé et la réorganisation massive de l’offre de soins, la pandémie actuelle aura probablement des conséquences négatives pour les patients atteints de cancer, même en dehors du risque propre lié au COVID-19. En oncologie, des conséquences sur la recherche (suspension des essais cliniques, mise à l’arrêt des laboratoires et unités de recherche), sur l’enseignement (suspension des cours, report des congrès…), sont également déjà perceptibles. La sanctuarisation de la chirurgie carcinologique selon des critères plus homogènes sur le plan national, et l’évaluation de l’impact de l’épidémie sur les patients atteints de cancer et leurs prises en charge sont également nécessaires. C’est d’ailleurs tout le sens de l’effort de recherche intense actuel, avec l’ouverture de cohortes dédiées telles que GCO-002 CACOVID-19 menée par les groupes coopérateurs en oncologie (GCO), qui est une cohorte non interventionnelle, ambispective, nationale, multicentrique, de patients suivis pour cancer et infectés par le SARS-COV-2. C’est aussi le sens des cohortes plus « chirurgicales » telles que (CovidSurg-Cancer, CAIRN-Carcinose).

Enfin, cette épreuve difficile est un défi pour la communauté oncologique dans sa globalité qui doit faire face à une énième problématique dans son combat contre le cancer.

Déclaration de liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références


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