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. 2020 Apr 24;157(3):S13–S19. [Article in French] doi: 10.1016/j.jchirv.2020.04.012

Infection nosocomiale à SARS-Cov-2 dans les services de chirurgie digestive

Nosocomial infection with SARS-Cov-2 within departments of digestive surgery

M Luong-Nguyen a, H Hermand a, S Abdalla b, N Cabrit c, C Hobeika c, A Brouquet b, D Goéré a, A Sauvanet c,
PMCID: PMC7181987  PMID: 32341721

Résumé

Introduction

La pandémie de COVID-19 a imposé une diminution radicale de l’activité chirurgicale afin de répondre à l’afflux de patients hospitalisés et protéger les patients non infectés en leur évitant une hospitalisation. Toutefois, le risque d’infection lors de l’hospitalisation et ses conséquences sont encore très peu connus. Le but de ce travail était de rapporter une série de patients hospitalisés en chirurgie digestive chez qui une infection nosocomiale à SARS-Cov-2 a été diagnostiquée.

Méthodes

Étude rétrospective non-interventionnelle réalisée au sein de 3 services de chirurgie digestive. Les données cliniques, biologiques et radiologiques des patients ayant développé une infection nosocomiale au SARS-Cov-2 ont été collectées à partir des dossiers informatisés.

Résultats

Du 1er mars 2020 au 5 avril 2020, parmi 305 patients admis en chirurgie digestive, 15 (4,9 %) ont présenté une infection nosocomiale à SARS-Cov-2. Il s’agissait de 9 hommes et 6 femmes, d’un âge médian de 62 ans (35-68 ans). Tous les patients avaient une comorbidité. Les motifs d’hospitalisation étaient : traitement chirurgical d’un cancer (n = 5), urgences complexes (n = 5), traitement de complications liées au cancer ou à son traitement (n = 3), reconstruction par gastroplastie (n = 1), fermeture de stomie (n = 1). Le délai médian entre l’admission et le diagnostic d’infection à SARS-Cov-2 était de 34 jours (5-61 jours). Chez 12 (80 %) patients, le diagnostic a été posé après une durée d’hospitalisation de plus de 14 jours (15-63 jours). À l’issue du suivi, 2 patients sont décédés, 7 étaient encore hospitalisés dont 2 sous assistance respiratoire et 6 patients étaient sortis d’hospitalisation.

Conclusions

Le risque d’infection au SARS-Cov-2 au cours d’une hospitalisation ou dans les suites d’une intervention de chirurgie digestive est un risque réel et potentiellement grave. Des mesures sont nécessaires afin de minimiser ce risque dans la perspective d’une reprise de l’activité chirurgicale en toute sécurité.

Mots clés: COVID-19, SARS-cov-2, Transmission nosocomiale, Chirurgie digestive

Introduction

L’épidémie de coronavirus de 2019 (COVID-19) a été déclarée « urgence de santé publique mondiale » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 30 janvier 2020 et a été qualifiée de pandémie le 11 mars 2020 [1]. Elle concerne désormais l’ensemble de la population et tout le système de santé. La situation est inédite, remettant en question les modes de prise en charge ainsi que les délais d’intervention dans les services de chirurgie, tous les moyens hospitaliers ayant été redéployés vers le traitement des patients infectés. Nous avons vu très rapidement les hôpitaux se transformer en centres de soins des patients atteints de COVID-19 (COVID-19 + ), limitant l’accès aux soins pour les patients non infectés (COVID-19−). La plupart des services de chirurgie digestive ont drastiquement diminué leur activité, conservant en hospitalisation les patients déjà présents avant cette période de pandémie, et pour lesquels une sortie n’était pas possible, ainsi que les patients opérés en urgence ou chez qui un report d’intervention n’était pas envisageable. Ces changements étaient nécessaires du fait de la très large diffusion du virus et les hospitalisations massives de patients infectés. Des mesures ont été prises au sein des établissements de soins pour protéger le personnel et les patients hospitalisés. Cependant, malgré ces mesures, le risque de contracter le virus lors d’une hospitalisation ne semble pas négligeable et chaque hospitalisation d’un patient considéré comme COVID-19− peut l’exposer à une infection par le SARS-Cov-2.

Une infection est dite nosocomiale si elle apparaît au cours ou à la suite d’une hospitalisation (ou d’un soin ambulatoire) et si elle n’était pas présente, ni en incubation lors de l’admission à l’hôpital. Ce critère est applicable à toute infection. Lorsque la situation précise à l’admission n’est pas connue, un délai d’au moins 48 heures après l’admission (ou un délai supérieur à la période d’incubation lorsque celle-ci est connue) est communément accepté pour distinguer une infection d’acquisition nosocomiale d’une infection communautaire [2].

Peu de données sont disponibles dans la littérature sur l’infection nosocomiale par le SARS-Cov-2 dans les services de chirurgie. Ces infections pourraient être de pronostic plus sombre que les infections communautaires, comme l’ont rapporté Li et al. [3] après avoir constaté une infection nosocomiale à SARS-Cov-2 après chirurgie thoracique chez 13 patients, dont 5 sont décédés.

Le but de ce travail était de rapporter une série de patients hospitalisés en service de chirurgie digestive et chez qui une infection à SARS-Cov-2 nosocomiale a été diagnostiquée, afin d’améliorer la gestion des risques en cette période de pandémie.

Patients et méthodes

Il s’agit d’une étude rétrospective menée dans les services de chirurgie digestive de 3 centres hospitalo-universitaires d’Ile-de-France. Tous les patients adultes pris en charge en chirurgie digestive et ayant présenté une infection nosocomiale à SARS-Cov-2, confirmée par un test par PCR, ont été inclus du 1er mars au 5 avril 2020. Ces dates ont été choisies car, dans les 3 centres, les premiers diagnostics d’infection COVID ont été faits chez des patients et chez des soignants respectivement entre le 5 mars et le 7 mars 2020, et entre le 5 mars et le 9 mars 2020.

Les données collectées incluaient l’âge, le sexe, les comorbidités notamment cardiovasculaires et pulmonaires, l’état nutritionnel, le motif d’admission, le type d’intervention chirurgicale, le délai entre l’admission et le diagnostic d’infection à SARS-Cov-2, les circonstances de découverte de l’infection, et l’évolution clinique ; ces données ont été enregistrées à partir des dossiers informatisés.

Un dépistage systématique à l’entrée des patients dans les services de chirurgie n’a été mis en place qu’à partir du 30 mars 2020 dans 2 centres et le dépistage n’a été effectué qu’en cas de symptomatologie évocatrice ou de contact récent avec un patient COVID-19 + dans le 3e centre.

Les visites ont été limitées à une personne par patient à partir du 16 mars 2020 et interdites à partir du 18 mars 2020. Le port de masque chirurgical chez les soignants a été rendu obligatoire à partir du 18 mars 2020.

En plus de l’isolement systématique des malades COVID-19+ dès le diagnostic fait, les sites d’hospitalisation des malades de chirurgie ont été modifiés au cours de la période d’étude avec contraction des lits disponibles en chirurgie associée à l’accueil de patients présumés COVID-19- d’autres spécialités dans les mêmes locaux (2 centres) et le déplacement dans des locaux différents de l’ensemble des malades COVID-19- (1 centre).

En accord avec les recommandations, un dépistage systématique de l’équipe soignante n’était pas réalisé.

Les variables qualitatives ont été exprimées en nombre absolu et en pourcentage. Les variables quantitatives ont été exprimées en médiane compte tenu du faible effectif de patients.

Ce travail a reçu le 28/04/2020 un avis favorable du Comité d’Evaluation de l’Ethique des projets de Recherche Biomédicale (CEERB) Paris Nord (IRB 00006477, Université de Paris, AP-HP).

Résultats

Du 1er mars 2020 au 5 avril 2020, 301 malades étaient hospitalisés ou ont été admis. Parmi eux, 15 patients (4,9 %) ont présenté une infection nosocomiale à SARS-Cov-2. Les caractéristiques des patients sont rapportées dans le Tableau 1 . Il s’agissait de 9 hommes et 6 femmes, d’un âge médian de 62 ans (35-68 ans). L’IMC médian était de 23 kg/m2 (15-40 kg/m2). Deux patients présentaient une intoxication tabagique active et 3 patients étaient sevrés. Tous les patients avaient un antécédent médical avant l’admission. Dix (67 %) patients avaient ou avaient eu un cancer. Les antécédents cardiovasculaires incluaient une HTA (n  = 4), un diabète (n  = 2) et/ou un autre antécédent cardiovasculaire (n  = 6).

Tableau 1.

Caractéristiques de la population n = 15.

Caractéristiques Nombre de patients
(Total n = 15)
Âge (ans, extrêmes) 62 (35-68)
Sexe, H/F 9/6
IMC (Kg/m2, extrêmes)
Obésité (IMC > 30 kg/m2)
23 (14-40)
2
Intoxication tabagique 2
Admission pour cancer
Dénutrition
Antécédent de chimiothérapie

8
7
6
Antécédents cardio-vasculaires
HTA
Diabète
4
2
Infarctus du myocarde
Cardiopathie ischémique
Accident vasculaire cérébral
Thrombose veineuse profonde
Artériopathie des membres inférieurs
Anévrisme de l’aorte abdominale
Bloc auriculoventriculaire congénital
1
1
1
1
1
1
1
Antécédent pulmonaire 4

Les motifs d’hospitalisation étaient : traitement chirurgical d’un cancer (n  = 5), urgences complexes (n  = 5), traitement de complications liées au cancer digestif ou à son traitement (n  = 3), reconstruction digestive par gastroplastie (n  = 1) et fermeture de stomie à haut débit (n  = 1),

Parmi les 11 malades ayant eu une intervention chirurgicale, les suites postopératoires ont été marquées par la survenue d’au moins une complication chez tous les patients. Au cours de leur hospitalisation, 8 des 15 patients ont effectué un séjour dans le service de réanimation ou en soins continus de manière systématique, ou pour complications.

Le diagnostic d’infection nosocomiale à SARS-Cov-2 a été porté chez les 15 malades par recherche d’ARN viral sur prélèvement naso-pharyngé (PCR écouvillon nasal). Ce prélèvement était réalisé en raison de signes cliniques évocateurs (fièvre, n  = 11 ; dyspnée, n  = 9 ; diarrhée, n  = 1), en raison d’un contact direct avec un malade COVID+ (n  = 2), ou de la découverte fortuite d’une atteinte pulmonaire évocatrice de COVID sur une TDM faite pour une autre complication (n  = 1). Chez 3 patients, une PCR initialement négative, en contradiction avec les signes cliniques, a conduit à refaire le test, qui s’est positivé lors du 2e ou 3e prélèvement dont un fait dans les selles. Il a également été réalisé une TDM thoracique chez 13 patients, objectivant la présence de signes spécifiques d’infection à SARS-Cov-2 chez 7 (54 %) patients. Le délai entre l’admission et le test positif était de 34 jours (5–61 jours). Chez 12 (80 %) patients, le diagnostic a été posé alors que la durée d’hospitalisation était déjà supérieure à 14 jours (15–63 jours).

Au moment du diagnostic, la valeur médiane de la saturation en air ambiant était de 94 % (50-98 %). Après ce diagnostic, une ventilation mécanique assistée a été nécessaire chez 2 patients. Trois patients ont eu une oxygénothérapie au masque à haute concentration, 7 patients ont eu une oxygénothérapie aux lunettes ou sur une trachéotomie préexistante et 3 patients n’ont pas nécessité d’oxygénothérapie.

Sur le plan biologique, au moment du diagnostic, le taux médian de lymphocytes était de 920/mm3 (200-1500/mm3), le taux médian de polynucléaires neutrophiles était de 4006/mm3 (800-16000/mm3) et le taux médian de CRP était de 43 mg/L (14-213 mg/L). Les données cliniques et biologiques concernant l’infection au SARS-Cov-2 sont résumées dans le Tableau 2 .

Tableau 2.

Caractéristiques de l’infection nosocomiale à SARS-Cov-2.

Caractéristiques Nombre de patients
(Total n = 15)
Circonstances de découverte
 Dépistage
 Fièvre
 Dyspnée avec fièvre
 Dyspnée isolée
 Diarrhée
3
1
8
1
1
Délai entre l’admission et le test positif (jours, extrêmes) 29 (6–61)
Saturation en oxygène minimale en air ambiant au diagnostic (%, extrêmes) 94 (50–98)
Statut non réanimatoire au moment du diagnostic de l‘infection COVID 8
Mode de ventilation
 Air ambiant
 Lunettes
 Masque à haute concentration
 Intubation trachéale
 Trachéotomie
3
6
3
2
1
Bilan biologique au moment du diagnostic
 Taux de lymphocytes (/mm3, extrêmes)
 Taux de polynucléaires neutrophiles (/mm3, extrêmes)
920 (200–1510)
4006 (800–16 000)

Au moment du diagnostic d’infection COVID, une décision de ne pas engager de manœuvres de réanimation a été prise sur des critères liés à la durée d’hospitalisation avant le diagnostic de l’infection, à l’état général du patient et à la pathologie sous-jacente, chez 8 (53 %) patients.

À l’issue du suivi, 2 patients sont décédés  , tous les deux 8 jours après le diagnostic d’infection à SARS-Cov-2 ; une malade de 68 ans est décédée après pancréatectomie pour cancer d’une candidémie d’origine biliaire réfractaire au traitement antifongique ; le 2e malade, âgé de 84 ans, atteint d’un cancer compliqué d’hémorragie et non opéré, est décédé d’une défaillance ventilatoire en rapport avec l’infection à SARS-Cov-2. Sept des 13 autres patients étaient encore hospitalisés : 5 patients dans un service de Médecine dédié COVID-19+, stables, dont 2 sans oxygénothérapie, après un délai de 8 jours (4-16 jours) après le diagnostic d’infection à SARS-Cov-2, un patient en USC (Unité de surveillance continue) après un délai de 11 jours et une patiente en service de réanimation sous ventilation assistée après un délai de 11 jours après le diagnostic d’infection à SARS-Cov-2. Six patients étaient rentrés à domicile ou dans une structure de convalescence à 7, 8, 10 jours du diagnostic de COVID-19. L’ensemble des caractéristiques des patients et de leur évolution sont résumées dans le Tableau 3 .

Tableau 3.

Caractéristiques cliniques des patients atteints de COVID-19.

Patient Âge Sexe IMC HTA Diabète Motif d’hospitalisation Date d’admission Date d’intervention Délai COVID-19 + (jours)a Symptômes Ventilation Statut final
1 60 M 24,7 N N Chirurgie pour cancer du colon droit T4 04/02/2020 05/02/2020 47 Dyspnée + fièvre Masque Domicile
2 65 M 21,3 N N Chirurgie pour cancer du pancréas T4 27/01/2020 04/02/2020 58 N N Domicile
3 68 F 40 O O Chirurgie pour cancer de la voie biliaire principale 20/02/2020 21/02/2020 34 Dyspnée + fièvre Mécanique Décès
4 50 M 38 O N Chirurgie pour cancer du pancréas borderline 09/03/2020 10/03/2020 20 Fièvre Lunettes USC
5 62 M 27,7 N N Cholécystectomie + cavernome porte 17/02/2020 13/02/2020 40 Fièvre Lunette Domicile
6 84 M 22,6 O N Cancer du pancréas compliqué d’hémorragie digestive 07/03/2020 N 13 Dyspnée + fièvre Masque Décès
7 59 F 19,6 N N Bilan de linite gastrique 09/03/2020 N 6 Dyspnée + fièvre Lunettes Domicile
8 85 M 22,1 N N Linite gastrique en cours de chimiothérapie 12/03/2020 N 18 Dyspnée + fièvre Lunettes SSR
9 48 M 23,5 N O Reconstruction par gastroplastie 21/01/2020 22/01/2020 63 Dyspnée + fièvre Lunettes Hospitalisation
10 62 M 18 N N Résection d’un diverticule anastomotique cervical 04/03/2020 19/03/2020 26 Dyspnée Masque Hospitalisation
11 63 F 21 N N Fermeture de stomie 26/03/2020 27/03/2020 5 N Lunettes SSR
12 49 M 23 N N Chirurgie de cancer du rectum 25/03/2020 26/03/2020 8 N N Hospitalisation
13 41 F 27,5 N N Perforation oesophagienne iatrogène 01/03/2020 18/03/2020 29 Dyspnée + fièvre Mécanique Réanimation
14 62 F 26 O N Oesophage noir compliqué de fistule oesopleurale 31/01/2020 N 61 Dyspnée + fièvre Trachéotomie Hospitalisation
15 35 F 14,6 N N Récidive de reflux gastro-oesophagien 21/02/2020 24/03/2020 44 Dyspnée + fièvre N Hospitalisation

USC : unité de soins continus ; SSR : soins de suite et de réadaptation.

a

Délai entre l’admission et le test PCR.

Durant cette même période, au sein des 3 services, 7 membres de l’équipe soignante ont été diagnostiqués infectés au SARS-Cov-2.

Discussion

Cet article rapporte une série de patients ayant contracté une infection nosocomiale au SARS-Cov-2 durant leur hospitalisation dans des services de chirurgie digestive « étiquetés » COVID-19 négatif. Il s’agit d’infections nosocomiales car diagnostiquées au cours de l’hospitalisation. Cependant, pour trois patients de cette série, il est possible qu’ils étaient porteurs asymptomatiques du virus avant leur admission, compte tenu du délai entre le diagnostic et l’admission compris entre 5 et 13 jours. De même, la contamination a pu être liée à un contact communautaire venant de l’extérieur, puisque les mesures de port obligatoire du masque et d’interdiction des visites n’ont été appliquées qu’à partir du 18 mars 2020. Chez les patients chez qui la contamination était nécessairement hospitalière, son mécanisme n’est pas univoque. Il peut s’agir de contaminations directes à partir de visites venant de l’extérieur, de patients COVID + (deux cas fortement suspectés dans cette série) ou de contaminations à partir de soignants puisqu’au sein des 3 équipes, le diagnostic d’une infection à SARS-Cov-2 a été porté chez 7 soignants travaillant dans les services où ces patients étaient hospitalisés. De plus, il est connu que l’infection à SARS-Cov-2 peut être asymptomatique ou pauci symptomatique, ce qui fait que le nombre de « soignants contact » pourrait être supérieur à 7. Enfin, une analyse fine des « soignants contacts » est rendue très difficile par le parcours de soins, très complexe, de ces patients. En effet, la majorité ont développé des complications ayant nécessité une admission en soins critiques, ou de nombreux examens d’imagerie ou de radiologie interventionnelle. Un dernier mécanisme possible est lié aux déplacements des malades au sein de l’hôpital au début de l’épidémie. En effet, dans 2 centres, les malades de chirurgie digestive ont été regroupés sans changer de locaux avec des malades d’autres spécialités considérés comme COVID-19- et dans le 3e centre tous les malades COVID-19- de chirurgie digestive ont été déplacés afin de libérer des locaux et du personnel pour créer des secteurs dédiés à l’hospitalisation de patients COVID-19+, ce qui en l’absence de dépistage systématique des malades et des soignants a pu générer des contaminations [3].

Nous ne disposons à ce jour que de très peu de données concernant l’impact potentiel d’une contamination et de son délai par rapport à l’acte chirurgical. Une infection à SARS-Cov-2 chez un patient hospitalisé en chirurgie implique un risque individuel et un risque collectif. Au plan individuel, l’infection à SARS-Cov-2 met en danger le patient opéré du fait d’un risque de syndrome de détresse respiratoire aiguë. On peut supposer que ce risque est accru chez un patient dénutri, immunodéprimé par la pathologie sous-jacente ou le geste chirurgical, ou dont les complications pourraient nécessiter des gestes invasifs. Il a été rapporté que l’infection était plus grave (gravité définie par une admission en soins critiques ou par le décès) chez les patients atteints d’un cancer (7 [39 %] sur 18 patients vs 124 [8 %] sur 1572 patients ; Fisher's exact p  = 0,0003) [4]. Cependant, cette série comportait peu de patients, majoritairement (28 %) atteints d’un cancer broncho-pulmonaire, avec pour conséquence une probable altération préalable de leur fonction respiratoire. Les groupes « cancer » et « non cancer » n’étaient pas comparables : les 18 patients avec cancer étaient significativement plus âgés (médiane de 63,1 ans [SD 12,1] vs 48,7 ans [16,2]), et avaient un taux plus élevé d’intoxication tabagique (4 [22 %] des 18 patients vs 107 [7 %] des 1572 patients) alors que ces 2 facteurs sont pronostiques de formes sévères. De plus, parmi les 18 patients, seul un patient avait eu une chirurgie (surrénale), les autres patients étant en cours de chimiothérapie. Une autre série de 1524 patients atteints de cancer rapportait un risque plus élevé d’infection à SARS-Cov-2 (OR, 2,31 ;95 % CI, 1,89-3,02). Sur les 12 patients atteints d’un cancer et d’une infection à SARS-Cov-2, 3 patients (25 %) étaient décédés et 6 patients (50 %) étaient rentrés à domicile [5]. Le pronostic des infections à SARS-Cov-2 après une intervention chirurgicale n’est pas encore clairement établi. Dans la série d’interventions thoraciques de Li et al. [6], le taux de mortalité était élevé (5/13) conduisant les auteurs à alerter la communauté scientifique et à reporter les interventions de chirurgie non urgente. Dans notre série, l’évolution a été variable, mais globalement l’insuffisance respiratoire était rare ou peu intense au moment du diagnostic comme en témoigne une valeur médiane de saturation en air ambiant à 94 %. La mortalité était de 13 % (2/15) soit une valeur relativement peu élevée au vu du profil des 15 malades atteints. Enfin, les 2 patients qui sont décédés avaient un mauvais pronostic à court terme en raison de leur tableau initial (septicémie post-opératoire à levure, grand âge et cancer compliqué d’hémorragie). Il est important de noter que l’accès à la ventilation artificielle a posé des problèmes éthiques. En effet, la saturation des services hospitaliers et notamment de réanimation a contraint la communauté médicale à prendre des décisions quant au degré d’agressivité des manœuvres de réanimation en intégrant le pronostic lié à la pathologie initiale et celui lié à l’infection à SARS-Cov-2. En effet, malgré un âge relativement jeune, la moitié des patients de cette série a été considérée comme « non réanimatoire » au moment du diagnostic.

Pour la collectivité, le risque est de transformer un service dit COVID-19 - en un service COVID-19 +  [6]. Par conséquent, un test de dépistage fiable et dont le résultat peut être obtenu rapidement, et/ou la détermination du statut sérologique vis-à-vis du COVID-19, semblent nécessaires pour s’assurer de l’absence d’infection chez les patients admis en vue d’une intervention chirurgicale. Lors de l’hospitalisation, tout signe clinique évocateur d’infection à SARS-Cov-2 ou tout contact avec un patient ou un soignant infecté, doit conduire à rechercher une infection. En raison de la faible sensibilité des tests disponibles, la répétition des tests diagnostiques par recherche d’ARN viral dans la sphère naso-pharyngée [7], dans les selles [8] et la recherche de signes pulmonaires sur la tomodensitométrie thoracique [7] sont autant de mesures à prendre pour identifier les patients porteurs, afin de pouvoir les traiter dans un service approprié et de protéger les autres patients.

Pendant cette période d’épidémie, des mesures préventives ont été mises en place pour minimiser le risque de contamination au sein des services hospitaliers. Ces mesures intègrent le renforcement de la formation du personnel soignant, de l’utilisation accrue de solution hydro-alcoolique et du lavage répété des mains, ainsi que le port systématique de masques chirurgicaux. Parallèlement, les visites ont été restreintes puis interdites. Enfin, un dépistage systématique à l’admission des patients dans les services de chirurgie a été mis en place à partir du 30 mars 2020 dans 2 centres. Il faut toutefois connaître les limites de ce dépistage systématique, qui sont liées à une durée d’incubation restant imparfaitement connue et la faible sensibilité du test PCR, de l’ordre de 60 % [7], qui ne permet pas d’éliminer formellement le diagnostic d’infection virale.

Des secteurs d’hospitalisation et des circuits, voire des établissements, doivent différencier les patients atteints ou suspects de COVID-19 et les patients à faible probabilité d’être atteints par la COVID-19 afin de limiter la transmission directe ou indirecte de malade à malade. Il convient également de diminuer au maximum les durées d’hospitalisation en mettant à profit les acteurs médicaux et paramédicaux en ambulatoire (télémédecine, prestataires à domicile).

Toutes ces données doivent être prises en compte avant d’envisager la nécessaire reprise d’une activité chirurgicale. Nombre d’interventions ont été reportées, mais ce report est une mesure difficile et risquée notamment chez les patients atteints de cancer. Il nous faut donc anticiper la reprise de l’activité chirurgicale et déterminer les paramètres qui autoriseront une telle reprise dans de bonnes conditions de sécurité : une diminution des hospitalisations liées au COVID-19, des circuits COVID-19 négatif clairement établis, l’utilisation exclusive de chambres seules, et l’absence d’infection chez les patients admis et le personnel soignant, affirmée par des tests diagnostiques systématiques et fiables qui pourront consister en une PCR, une sérologie quand elle sera utilisable en routine, et/ou une tomodensitométrie thoracique. Le respect des mesures d’asepsie et de prévention des infections nosocomiales devra également être strict afin d’éviter de transmettre le SARS-Cov-2 à partir d’un patient porteur non diagnostiqué [9].

Cette série, dans laquelle tous les patients ont eu une PCR positive prouvant le contage par le SARS-Cov-2, est cependant limitée par le faible nombre de malades (n  = 15), ainsi le nombre et l’hétérogénéité des pathologies. Son analyse suggère que l’infection à SARS-Cov-2 apparaît préférentiellement chez des patients présentant des lourdes comorbidités et/ou admis pour des pathologies digestives majeures. La durée d’hospitalisation était longue 34 jours (5-61 jours), multipliant ainsi les risques de contamination. De même, l’hétérogénéité de la durée d’incubation du COVID-19 qui varie de 2 à 14 jours [7], la présence d’ARN viral parfois jusqu’à 37 jours [10], et le délai d’application des mesures de prévention ne permettent pas d’affirmer de manière formelle la nature nosocomiale de l’infection à SARS-Cov-2 pour tous les cas diagnostiqués.

En conclusion, Il s’agit de la première série de patients ayant développé une infection à SARS-Cov-2 au cours de leur hospitalisation en chirurgie digestive et ceci doit alerter la communauté médicale et chirurgicale. La poursuite et/ou la reprise d’une activité chirurgicale au sein des établissements de santé devra intégrer ce risque de transmission nosocomiale durant l’hospitalisation des patients.

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Footnotes

Ne pas utiliser, pour citation, la référence française de cet article, mais celle de l’article original paru dans Journal of Visceral Surgery, en utilisant le DOI ci-dessus.

Références

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Articles from Journal De Chirurgie Viscerale are provided here courtesy of Elsevier

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