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. 2020 Apr 24;107(6):633–637. [Article in French] doi: 10.1016/j.bulcan.2020.04.002

SARS-CoV-2 et cancer en France : les internes d’oncologie en première ligne. Témoignage des internes d’oncologie de deux clusters français : le Grand-Est et l’Île-de-France

SARS-CoV-2 and cancer in France: Resident in oncology on the front line. Testimony of residents in oncology in two French clusters: Grand-Est and Île-de-France

Matthieu Delaye 1,, Natacha Naoun 1, Léah Mailly-Giacchetti 1
PMCID: PMC7181988  PMID: 32387062

Les internes en oncologie, en première ligne dans la prise en charge de ces patients, témoignent ici des modifications qu’ils observent et des organisations qui se mettent en place sur le territoire français, dans les régions de forte endémie. Ils constatent la grande autonomie qui leur est demandée, et expriment leurs inquiétudes quant aux conséquences à court, moyen et long terme pour les patients atteints de cancer.

Introduction

Apparu en Chine fin 2019, le SARS-CoV-2 s’est rapidement propagé sur le globe jusqu’à être déclaré par l’OMS première pandémie du XXIe siècle le 11 mars 2020.

Responsable, dans la majorité des cas, de simples syndromes pseudo-grippaux, il peut entraîner des tableaux plus sévères, tels que des détresses respiratoires aiguës [1], des myocardites [2] et fréquemment une évolution particulièrement morbide en SDRA.

Des tableaux neurologiques et digestifs [3] sont également décrits.

Vingt pour cent des patients sont hospitalisés, cinq pour cent nécessiteront une prise en charge en réanimation. Le virus a contaminé plus de 1 948 500 personnes dans le monde et a été responsable, jusqu’à maintenant, de 126 000 décès [4] (chiffres au 15 avril 2020).

En France, on compte près de 104 000 cas et déjà plus de 15 000 patients décédés (chiffres au 15 avril 2020). Les chiffres sont sans cesse actualisés à la hausse.

La pandémie n’en est qu’à son début et les estimations montrent que le nombre de cas en Europe et aux États-Unis va très largement augmenter dans les semaines à venir [5].

Ce virus à ARN simple brin de la famille des coronaviridae est transmis principalement par gouttelettes et contact [6]. Il est hautement contagieux (R0 entre 2,3 et 2,6) et de nombreux pays ont mis en place des mesures de confinement plus ou moins drastiques.

Même si leur efficacité a été démontrée dans le Hubei en Chine, ces restrictions de sortie ne permettent pas encore une limitation de l’expansion du nombre de cas en Europe et on observe déjà une saturation des structures de soins d’urgences et de soins vitaux dans certaines régions. Nos patients, atteints de cancer, sont à la fois plus vulnérables face à cette infection mais aussi victimes de la saturation du système de soins pour la continuité de la prise en charge de leur pathologie chronique. Dans ce contexte, l’organisation de la cancérologie est bouleversée et les recommandations de prise en charge doivent être adaptées.

Les internes en oncologie sont au premier plan de cette prise en charge, et se retrouvent face à des situations inédites et complexes, tant sur le plan organisationnel que sur le plan éthique et humain.

Les recommandations de prise en charge des patients de cancérologie durant l’épidémie

Les données spécifiques de l’infection chez les patients atteints de cancer sont encore rares.

La première publication s’intéressant à cette situation est celle de Liang et al. [7]. Les auteurs rapportent les données de suivi d’une cohorte de 1590 patients chinois malades du COVID-19. Parmi eux, 18 étaient atteints de cancer.

L’incidence dans cette étude (pouvant être rapportée à 1100 cas de cancer pour 100 000 habitants) est supérieure à l’incidence du cancer dans la population générale mondiale (250 cas pour 100 000 en 2018 selon l’OMS). Mais s’agissant d’une population très surveillée et étant face à des effectifs faibles, il est difficile de conclure au sur-risque de contamination des patients d’oncologie sur cette seule étude.

Les patients atteints de cancer avaient, dans cette cohorte, des atteintes radiologiques plus importantes et développaient plus souvent des formes sévères de la maladie (39 % vs 8 %, p  = 0,0003).

Les patients ayant reçu un traitement par chirurgie ou chimiothérapie dans le mois précédent étaient plus à risque d’atteinte clinique sévère (odds ratio [OR] 5,34, 95 % CI 1,80–16,18 ; p  = 0,0026).

Enfin, la détérioration était plus rapide chez les patients atteints de cancer que chez le reste des patients. Cette première étude possède certes de petits effectifs, mais semble correspondre à ce qui est observé sur le terrain.

C’est sur ces données que se sont basés plusieurs groupes de travail français pour proposer des recommandations de prise en charge spécifique des patients atteints de cancer [8], [9], [10].

Un groupe de travail du HCSP (Haut Conseil de santé publique) propose, par exemple, les recommandations suivantes. Pour limiter les contaminations aux patients fragiles de cancérologie, il est proposé de sanctuariser les services d’oncologie et de radiothérapie en n’y admettant aucun patient infecté. Il est également proposé de privilégier les traitements oraux, les administrations à domicile, voire les pauses thérapeutiques chez les patients en traitement non curatif. Pour les patients infectés par le virus, il est recommandé une interruption du traitement anticancéreux.

Enfin, il est proposé de prioriser les prises en charge, en réalisant les traitements anticancéreux d’abord chez les patients en prise en charge à visée curative selon les recommandations classiques, puis chez les patients en prise en charge non curative en début de traitement (première ligne) ou chez les patients jeunes moins de 60 ans et/ou dont l’espérance de vie est supérieure à cinq ans.

Les hôpitaux et centres de lutte contre le cancer, notamment dans l’Est de la France, zone de forte endémie, n’ont pas attendu ces recommandations pour se réorganiser.

L’organisation des ressources de soins

Le constat sur le terrain est celui d’un bouleversement des prises en charge des patients, en particulier dans les zones de forte endémie.

Afin de limiter les venues des patients dans les hôpitaux et centres de lutte contre le cancer, les consultations de surveillance sont annulées et remplacées par des télé-consultations. Concernant la chirurgie, premier traitement du cancer, les chirurgies simples et non urgentes sont reportées, pour permettre un redéploiement du matériel et du personnel pour la prise en charge des patients atteints du SARS-CoV-2.

La promesse est faite de maintenir au maximum les chirurgies urgentes, dont le report altérerait la prise en charge [11]. Mais, en pratique, dans les zones de forte tension, les résections chirurgicales et endoscopiques (hors risque vital immédiat), même carcinologiques, ont parfois dû être reportées du fait de la réquisition des blocs opératoires et salles de réveil pour installer des lits de réanimation [12].

Concernant la radiothérapie, si pour beaucoup de centres l’adaptation de l’activité consiste surtout en des reports des consultations et des mesures d’hygiène renforcées, conformément aux recommandations de la SFRO (Société française de radiothérapie oncologique) [10], un certain nombre de centres doivent prioriser les indications, pour ne conserver que les indications urgentes ou les patients en cours de traitement, notamment du fait d’un redéploiement de leur personnel.

Concernant la chimiothérapie, selon les centres, les chimiothérapies des patients à partir de la deuxième ligne de traitement, voire dans certains cas la chimiothérapie en situation métastatique, est reportée [13].

Les réunions de concertation pluridisciplinaires ne doivent plus traiter que les dossiers complexes ou de recours, et doivent être le plus possible dématérialisées.

Si un système de vidéoconférence ne peut pas être mis en place, le nombre d’intervenants est limité au strict minimum (un référent par spécialité) avec respect des gestes barrières [14]. À l’inverse, de nouvelles discussions collégiales spécifiques à cette pandémie sont créées pour discuter du maintien ou du report des traitements oncologiques.

L’extrême rapidité de progression de la pandémie nécessite une organisation au jour le jour, centre par centre. Des réunions de crise quotidiennes sont réalisées, où des représentants de l’ensemble du personnel soignant prennent conjointement des décisions pour une organisation optimale de leur établissement.

Des services de regroupement dédiés aux patients atteints par le virus sont créés dans tous les hôpitaux. Bien que les recommandations du HCSP [8] préconisent de sanctuariser les services d’oncologie, des patients infectés s’y trouvent déjà, et le transfert de chacun de ces patients dans des services ou centres non oncologiques n’est plus envisageable vu l’avancée de l’épidémie.

L’infection chez les patients de cancérologie pose la question des critères d’admission en réanimation. Les recommandations émises placent au premier plan de cette décision l’état général et les comorbidités [15].

Ainsi, beaucoup de patients de cancérologie ne sont pas admis en réanimation et nécessitent une expertise en soins de support et soins palliatifs pour des accompagnements de fin de vie avec des protocoles dédiés [16]. Le comité national d’éthique rappelle l’importance de la méthode délibérative lors de la prise de ces décisions et recommande l’appui sur l’expertise de la société civile [17].

Dans les hôpitaux et les centres de lutte contre le cancer, des groupes d’éthiques spécifiques sont créés, qui associent des professionnels soignants et des membres de la société civile, avec un regard extérieur aux situations, pour aider les praticiens dans leur prise de décision. Ces situations de fin de vie à l’hôpital, dues ou non au COVID-19, sont rendues plus difficiles par les règles appliquées aux visiteurs dans ce contexte d’épidémie.

La plupart des centres ont restreint, voire interdit les visites des proches [18]. Il est souvent fait exception pour les situations complexes de fin de vie, mais sur le terrain, le constat est que la présence de l’entourage ne peut être garantie dans tous les cas.

Les internes et étudiants hospitaliers s’organisent avec les autres soignants et réalisent des appels vidéo entre le patient et ses proches pour maintenir le lien. Au-delà de ces situations de fin de vie, l’interdiction des visites aux malades, dans les services de cancérologie où les proches sont un soutien pour le patient et les équipes soignantes rend les prises en charge plus complexes.

À cela s’ajoute une restriction des intervenants : plus de bénévoles d’accompagnement, plus d’associations dans les services d’oncologie pédiatrique, plus de soins tels que la socio-esthétique, l’ostéopathie, etc.

Dans le même temps, il est essayé de préserver les patients de cancérologie de l’infection en les éloignant des hôpitaux à fort taux d’infection.

Des patients sont transférés des hôpitaux généraux vers les centres de lutte contre le cancer, où le risque de contamination est plus faible, permettant de réattribuer les lits des hôpitaux généraux aux patients atteints du COVID.

Dans cette même optique, il est fait plus fréquemment recours à l’hospitalisation à domicile (HAD), y compris pour l’administration de traitements anti-cancéreux (paclitaxel ou trastuzumab sous-cutané, par exemple).

Le besoin en lits de réanimation est particulièrement crucial. Les lits des réanimations chirurgicales sont utilisés pour la prise en charge des patients atteints par le SARS-CoV-2, mettant fin à toute possibilité de chirurgie carcinologique lourde, même urgente.

Les salles de réveil sont transformées en lits de réanimation. Enfin, toujours du fait de la nécessité de conserver les lits de réanimation pour les patients COVID, des patients graves d’hématologie du Grand-Est ont été pris en charge en secteur standard par des médecins hématologues, avec notamment administration de catécholamines, prescription normalement réservée aux services de réanimation.

L’implication des internes à tous les niveaux

Les internes en oncologie sont en première ligne de la prise en charge des patients atteints de cancers dans les hôpitaux ou les centres de lutte contre le cancer. Dans la crise sanitaire actuelle, et comme c’est le cas pour la plupart des personnels de santé, une grande adaptabilité leur est demandée. Leurs rôles et les responsabilités qui leur sont confiées sont encore plus importants avec un impact considérable sur leur formation, voire leur santé.

Ce sont dans les régions où le pic épidémique a surgi en premier (régions de l’Est de la France notamment), que cela est le plus visible.

À côté du travail habituel en secteur d’hospitalisation, en hôpital de jour, ou en consultation, les internes peuvent être mobilisés à d’autres fonctions selon les besoins des centres [19].

Même leurs tâches habituelles sont modifiées avec notamment une formation accélérée à la télé-consultation, adaptation des protocoles de chimiothérapie standards, gestion de l’anxiété grandissante des patients très isolés dans ce contexte, annonce des nouvelles aux familles à distance. Les étudiants hospitaliers sont également mis à contribution. Écartés des structures hospitalières afin de limiter le risque de contamination dans un premier temps, ils participent néanmoins à des tâches nouvelles pour eux, dans les régions de forte endémie : régulation téléphonique au SAMU, dépistage, manutention en réanimation, etc.

La réaffectation des internes dans les établissements d’une même région selon les besoins sanitaires du moment est mise en place depuis le début de l’épidémie en France.

Les volontaires sont recensés, classés par compétences prioritaires (infectiologie, pneumologie, réanimation, médecine d’urgence). Ils sont également interrogés sur leur mobilité et leur disponibilité.

Cette organisation, théoriquement du ressort des ARS, est en pratique réalisée par les associations et syndicats d’internes dans la majorité des régions [20]. Grâce à ce système, aucun interne n’a jusqu’à maintenant été réquisitionné ou forcé à travailler hors de son champ de compétence.

Comme beaucoup de professionnels de santé, les internes d’oncologie travaillent à des postes qui ne relèvent pas de leur exercice habituel mais que la situation sanitaire actuelle nécessite.

Devant cette situation inédite, la collaboration entre chaque personnel soignant, de toute spécialité est mise en avant. En s’appuyant sur l’expérience chinoise et italienne, mais aussi sur les différentes épidémies historiques (VIH, SARS-CoV-1, Ebola), les référents infectiologues, réanimateurs et urgentistes mettent en place des formations accélérées dans leurs établissements.

Parallèlement sont mis en place des supports de formation et des ressources d’informations sont organisées, actualisées et relayées par les syndicats d’internes et les associations de spécialités.

Un site, créé par l’ISNI et l’association jeunes médecins, et destiné aux jeunes médecins et internes, regroupe et actualise les données et recommandations sur l’épidémie [21]. Par ailleurs, les centres de cancérologie réalisent une veille bibliographique sur l’épidémie et les mettent à disposition des professionnels et du grand public [22].

Un certain nombre de revues et d’éditeurs mettent à disposition les articles importants concernant le virus et sa prise en charge [23], [24].

Grâce à des initiatives locales, notamment dans le Grand-Est, les internes sont formés :

  • aux gestes élémentaires de réanimation, via l’hôpital virtuel, par exemple, à Nancy [25], [26] ;

  • sur le terrain en binôme avec des internes expérimentés, quelques jours avant leur prise de fonction.

Cette formation réalisée en urgence, bien qu’utile et indispensable, reste insuffisante. Les connaissances nécessaires à la prise en charge optimale des patients COVID sont éloignées des compétences habituelles de l’oncologue. Un sentiment d’échec et d’impuissance risque de toucher les internes au contact de ces patients graves, hospitalisés. Nous craignons, dans un contexte de décès à répétition attendus notamment en population gériatrique, des risques psychosociaux majorés chez les internes, dans un contexte déjà inquiétant pour leur santé mentale [27].

Comme pour les autres professionnels de santé, les moyens mis à disposition pour se protéger du virus sont limités, voire insuffisants.

On observe une pénurie en tenues de protection et masques dans de nombreux hôpitaux [28]. On observe également une pénurie en réactif pour les tests diagnostiques de l’infection, limitant les possibilités de dépistage des cas contacts ou des personnels de santé.

Cela s’ajoute au fait que, dans l’urgence de la situation, la formation des personnels aux consignes de protection vis-à-vis de l’infection est insuffisante. Ainsi, on compte beaucoup de professionnels de santé contaminés, dont des internes. Ils ne peuvent transitoirement plus participer à l’activité de soins [29].

Sept décès de médecins sont comptabilisés (chiffres au 5 avril 2020) [30]. Un relevé systématique des internes contaminés est mis en place par les associations d’internes avec également un suivi de leurs symptômes. Les situations sont donc nouvelles, les prises en charge parfois dures et choquantes, et la charge de travail alourdie. Pour le soutien des internes, en plus de la solidarité habituelle entre professionnels de santé, se mettent en place des réseaux de soutien psychologique entre internes.

En Île-de-France, par exemple, les internes de psychiatrie se mobilisent pour renforcer le SOSSIHP, un dispositif d’appel déjà existant qui permet à tout interne en détresse de trouver rapidement le soutien nécessaire [31].

Conclusion

L’épidémie actuelle est responsable d’une crise sanitaire sans précédent. Elle bouleverse la prise en charge des patients dans tous les domaines, et également les patients de cancérologie, notamment dans les régions de forte endémie que sont le Grand-Est et l’Île-de-France.

Lorsqu’ils sont atteints par le virus, les patients de cancérologie semblent présenter des formes rapidement plus graves.

Se pose alors la question de l’admission en service de réanimation, rendue plus complexe par l’absence de données spécifiques de survie de ces patients après l’admission en réanimation et la saturation des services.

Lorsqu’ils ne sont pas atteints par le virus, leur prise en charge oncologique est modifiée. Le report des traitements pourrait avoir des conséquences sur le pronostic oncologique des patients et être responsable d’une perte de chance. Les consultations à distance sont source d’anxiété et d’incompréhension quant aux projets de soins et les modifications des règles de vie hospitalières, dont la restriction des visites, conduisent à un isolement des patients.

Les internes d’oncologie sont au premier plan de ces prises en charge.

Aux côtés des autres professionnels de santé, avec le soutien de leurs collègues, ils font face à cette situation exceptionnelle et opèrent une nécessaire adaptation de leur pratique médicale dans l’urgence.

En plus de l’action sur le terrain auprès des malades, ils gèrent, avec les associations et syndicats d’internes et les instances hospitalières, leur organisation sur les territoires. Ils gèrent la répartition des internes au sein des centres et au niveau régional, assurent l’actualisation et la diffusion des informations sur le virus aux autres internes, assurent un relevé des internes infectés par le virus et assurent eux-mêmes le soutien psychologique de leurs confrères. Ils constatent des situations humainement difficiles notamment dans les régions les plus touchées. Ils expriment leur inquiétude quant à la détérioration des prises en charge des patients de cancérologie.

L’impact des modifications de traitement sur la survie, la qualité de vie et la place des soins de support des patients en cancérologie sera à évaluer et analyser afin de réfléchir à une réorganisation de notre offre de soin en oncologie si une telle crise sanitaire devait se reproduire.

Déclaration de liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références


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