La prise en charge des cancers du sein est très standardisée et évolue rapidement avec les résultats des nombreux essais cliniques rendus publics lors des congrès internationaux tels que l’ASCO (American Society of Clinical Oncology), l’ESMO (European Society of Medical Oncology) ou SABCS (San Antonio Breast Cancer Symposium). Les nombreuses sociétés savantes internationales et nationales émettent ainsi des recommandations quasi annuelles permettant la prise en charge des patientes : NCCN (National Comprehensive Cancer Network), ESMO, ASCO, Nice-St Paul, St Gallen, etc. Les institutions françaises adaptent leurs propres référentiels de traitement à ces recommandations, tels REMAGUS (Curie-Gustave Roussy et d’autres partenaires), référentiel de l’AP–HP, référentiel inter-régional Bourgogne-Franche Comté-Grand Est, Canceraquitaine, etc.
En novembre 2019, les premiers cas de transmission à l’Homme du SARS-CoV-2 ouvraient la voie à une épidémie en Chine, s’étendant en Europe début 2020, puis au monde entier. La pandémie de COVID-19 a modifié en quelques semaines l’organisation des états, mettant à l’arrêt une partie de l’industrie mondiale et un ralentissement économique, confinant plus de la moitié de la population mondiale et forçant les systèmes de santé à s’adapter à l’afflux de malades graves de COVID-19.
Afin de réduire la circulation des malades, et les risques de transmission du SARS-CoV-2, et d’augmenter la capacité d’accueil des malades COVID-19, y compris en soins intensifs, une modification majeure des pratiques de soins habituelles a été initiée dès début mars 2020. En sénologie, des consensus d’experts issus de sociétés savantes, ont rapidement émis de nouvelles recommandations d’urgence mi-mars 2020 afin d’adapter la prise en charge de nos patientes [1], [2]. La Société française de radiologie a recommandé l’arrêt du dépistage systématique du cancer du sein afin de favoriser l’accès à la mammographie aux patientes ayant des signes cliniques, en accord avec l’Institut national du cancer et les CRCDC (Centre de coordination régional de dépistage des cancers) qui ont interrompu l’envoi des convocations pour dépistage. En cas de cancer du sein précoce diagnostiqué, les modifications ne sont pas négligeables : hormonothérapie première à privilégier chez les patientes plus âgées ou avec des fortes comorbidités en cas de tumeurs fortement hormonosensibles, chirurgie première en cas de T1N0 triple négatif ou HER2 surexprimé, chirurgie des carcinomes in situ repoussée à six semaines, voire plus en cas de bas grade. En Île-de-France, l’une des régions les plus touchées avec le Grand Est, dès le début de l’épidémie en France, la réorganisation à la demande de l’ARS des structures accueillant des malades COVID-19 a entraîné des fermetures de blocs opératoires. En parallèle, les services ont observé une baisse des demandes de consultation pour une nouvelle prise en charge de cancer du sein résultant de la baisse, voire l’arrêt, du dépistage systématique organisé, principal mode d’entrée dans la maladie.
À l’institut Curie, nous avons observé une baisse importante du nombre de premières consultations pour nouveau cancer. Pour le cancer du sein, 387 patientes ont été vues en première consultation entre le 16 mars et le 17 avril 2020 (premier mois de confinement), contre 582 pour la même période en 2019 (−34 %). En parallèle, les actes de chirurgies mammaires de cancérologie (sauf reconstructions secondaires et reprises urgentes) étaient au nombre de 338 entre le 16 mars et le 17 avril 2020, contre 502 pour la même période en 2019 (−33 %). En tant que centre de lutte contre le cancer, sans service d’accueil des urgences grand public, nous avons pu préserver une grande partie de notre activité, contrairement à d’autres structures qui ont rapidement dû arrêter en partie ou totalement leur activité chirurgicale pour libérer les places et ressources humaines à la lutte contre l’épidémie de COVID-19. Afin d’assurer la sécurité des patients opérés et des soignants au bloc opératoire, une recherche systématique de portage asymptomatique de COVID-19 a été décidée au niveau de notre institution, avant toute intervention chirurgicale sous anesthésie générale, le 6 avril 2020. Parmi les 163 patientes testées du 6 au 17 avril 2020, dix (6 %) ont eu une RT-PCR positive pour le SARS-CoV-2 sur prélèvement naso-pharyngé. Sous réserve de faux négatifs (de l’ordre de 30 %, mais qui pourraient être éventuellement rattrapés par des TDM thoraciques systématiques en cas de suspicion de COVID-19), et si nos patientes sont un échantillon représentatif de la population générale, le portage asymptomatique du virus à un temps t est donc faible, laissant présager, en l’absence de vaccin, une épidémie prolongée dans le temps.
Dans ce cadre, plusieurs questions se posent face à ces adaptations forcées mais nécessaires lors de la crise de COVID-19 : quel sera l’impact des changements de pratiques sur les patientes prises en charge lors de la pandémie ? Quel sera l’impact en termes de stade au diagnostic du retard au dépistage, à la sortie de crise ? Quel sera le ressenti des patientes face au décalage du dépistage ? Un enregistrement prospectif des données de suivi concernant ces patientes est nécessaire afin d’évaluer les mesures mises en place et de les adapter en cas de prolongement de l’épidémie ou de nouvel épisode. Les prévisions des épidémiologistes spécialistes des épidémies orientent vers un maintien du risque sanitaire pendant plusieurs mois. Il est important, comme l’a rappelé à plusieurs reprises le gouvernement, de poursuivre les soins urgents et les traitements des maladies graves et chroniques. Le dépistage ne rentre bien évidemment pas dans ces priorités. L ’envoi des convocations aux dépistages systématiques a ainsi été suspendu. Toutefois, il sera du devoir des praticiens, à l’amélioration des conditions sanitaires, de favoriser à nouveau les consultations de dépistage afin de minimiser l’impact d’un délai au diagnostic de cancer. De nouveaux épisodes épidémiques peuvent survenir. Ainsi, r appelons que de précédentes épidémies telles que la grippe espagnole de 1945 ou l’épidémie de grippe de 1968 avaient entraîné une surmortalité importante. Les réorganisations sanitaires décidées en urgence seront probablement à repenser pour de prochains épisodes afin d’assurer une continuité du dépistage et la prise en charge des patients nouvellement diagnostiqués en oncologie.
Déclaration de liens d’intérêts
les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
- 1.Gligorov J., Bachelot T., Pierga J.Y., Antoine E.C., Balleyguier C. COVID-19 and people followed for breast cancer: French guidelines for clinical practice of Nice-St Paul de Vence, in collaboration with the Collège Nationale des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF), the Société d’Imagerie de la FEMme (SIFEM), the Société Française de Chirurgie Oncologique (SFCO), the Société Française de Sénologie et Pathologie Mammaire (SFSPM) and the French Breast Cancer Intergroup-UNICANCER (UCBG) Bull Cancer. 2020 doi: 10.1016/j.bulcan.2020.03.008. [S0007-4551(20)30159-4] [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 2.Société française de radiologie. Examens de dépistage, et notamment mammographies systématiques, 2020. https://ebulletin.radiologie.fr/actualites-covid-19/examens-depistage-notamment-mammographies-systematiques.