L’épidémie actuelle de COVID-19 rend les décisions thérapeutiques difficiles en cancérologie étant donné les risques inhérents à la venue des patients à l’hôpital ainsi que ceux actuellement mal connus liés à la neutropénie chimio-induite, aux modifications du système immunitaire induites par les inhibiteurs de checkpoint, ou encore à la toxicité pulmonaire de certains de nos traitements tels que la bléomycine. La plupart des patients atteints de cancers génito-urinaires présentent plusieurs facteurs de risque de forme grave de COVID-19 : âge, comorbidités, traitement systémique au long court, utilisation fréquente des corticostéroïdes.
Afin de répondre à l’attente de la communauté onco-urologique, nous avons cherché ci-dessous à résumer les quelques orientations de bon sens permettant de prendre en charge le mieux possible les patients atteints des principaux cancers génito-urinaires, à défaut de pouvoir émettre des recommandations basées sur des données scientifiques, celles-ci étant actuellement non disponibles. Il s’agit donc simplement d’un consensus d’experts dont le niveau de preuves est faible. Dans tous les cas, une personnalisation du traitement est recommandée.
De manière générale, la première recommandation est d’éviter à chaque fois que possible la venue des patients atteints de cancers génito-urinaires à l’hôpital pendant la période épidémique, en conformité avec les recommandations portant sur les patients atteints de cancer émises par le Haut Conseil de la Santé publique (https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=776). Pour tous les patients recevant un traitement oral, il est essentiel de minimiser la venue en milieu hospitalier en favorisant les entretiens téléphoniques et/ou les téléconsultations selon les possibilités techniques locales.
Les formes localisées de cancers génito-urinaires sont présentés dans le tableau I , les formes avancées de cancers génito-urinaires dans le tableau II .
Tableau I.
Les formes localisées de cancers génito-urinaires
Situation clinique | Options à privilégier1 |
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Masse testiculaire suspecte | Éviter de différer l’orchidectomie |
Séminome de stade I | Après orchidectomie, privilégier la surveillance plutôt que la chimiothérapie adjuvante par carboplatine |
Tumeur germinale non séminomateuse (TGNS) de stade 1 | Après orchidectomie, privilégier la surveillance plutôt que la chimiothérapie adjuvante par BEP |
Cancer de la prostate localisé à faible risque | Privilégier la surveillance active Possibilité de différer un traitement radical de plusieurs mois |
Cancer de la prostate localisé de risque intermédiaire | Si la radiothérapie est envisagée : mise en place d’un traitement néo-adjuvant par hormonothérapie pendant trois mois (voire plus) avant de débuter la radiothérapie. Si la radiothérapie ne peut attendre la fin de l’épidémie, privilégier l’hypofractionnement (60 Gy/20 séances ou stéréotaxie en 5–7 séances). Si une prostatectomie est envisagée : envisager de la différer jusqu’à 4 à 6 mois (l’hormonothérapie néo-adjuvante n’est pas recommandée) |
Cancer de la prostate localisé à haut risque | Si la radiothérapie est envisagée : mise en place du traitement néo-adjuvant par hormonothérapie pendant 3–6 mois avant de débuter la radiothérapie. Éviter de débuter celle-ci pendant la période épidémique Si prostatectomie envisagée : discuter avec le patient de changer cette option pour celle d’une hormono-radiothérapie étant donné le contexte épidémique et afin de ne pas différer le début du traitement |
Tumeurs vésicales infiltrant le muscle | Privilégier la cystectomie, sans différer celle-ci Discuter l’emploi ou non d’une chimiothérapie néo-adjuvante (en prenant en compte à la fois le bénéfice démontré en survie globale et le risque potentiel d’aggravation d’une infection à COVID-19 par la neutropénie). Si celle-ci est employée, privilégier l’association cisplatine-gemcitabine (moins neutropéniante) sous couvert de G-CSF Si la cystectomie est contre-indiquée : privilégier les schémas courts de radiothérapie (55 Gy/20 séances) avec chimiothérapie concomitante si besoin (5FU/Mitomycine C) |
Cancers du rein | Pour les tumeurs de petite taille, envisager de reporter le traitement local de quelques mois Pour les tumeurs plus volumineuses (par ex > 3 cm), privilégier la néphrectomie partielle ou totale, sans traitement systémique |
En l’absence de données scientifiques disponibles à l’heure actuelle, il s’agit de simples orientations et non de recommandations.
Tableau II.
Les formes avancées de cancers génito-urinaires
Situation clinique |
Options à privilégier1 |
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Cancer de la prostate métastatique en début de prise en charge | Privilégier l’association privation androgénique + hormonothérapie de nouvelle génération L’hormonothérapie de nouvelle génération peut être initiée jusqu’à trois mois après le début de la castration. Éviter le docétaxel Différer la radiothérapie des formes oligométastatiques de plusieurs mois (idéalement après l’épidémie) |
Cancer de la prostate métastatique résistant à la castration | Privilégier l’enzalutamide Éviter la corticothérapie quand cela est possible |
Cancer de la prostate métastatique résistant à la castration prétraité par hormonothérapie de nouvelle génération | Différer l’emploi du docétaxel quand cela est possible (formes indolentes) Limiter le nombre de cycles de chimiothérapie Discuter une réduction de doses de docétaxel ou cabazitaxel durant la période de pandémie Éviter l’emploi de la prednisone quotidienne lorsque le docétaxel est employé Employer le G-CSF systématiquement en cas de chimiothérapie Limiter l’emploi des corticoïdes à fortes doses lorsque c’est possible |
Séminome de stade IIA | Confirmer la stadification par une deuxième imagerie En cas de confirmation, privilégier la radiothérapie |
Séminome de stade II et plus relevant d’une chimiothérapie | Privilégier la stratégie employée dans l’étude SEMITEP afin de réduire au maximum le nombre de cycles de chimiothérapie Éviter l’usage de la bléomycine Employer le G-CSF |
Séminomes métastatiques de pronostic intermédiaire (IGCCCG 1 ou 2) | Éviter la bléomycine Privilégier quatre cycles du protocole VIP + G-CSF (selon l’étude S99) |
TGNS métastatique de bon pronostic | Envisager de remplacer la bléomycine par l’ifosfamide (3 VIP) Nous rappelons que quatre cycles d’EP sont probablement inférieurs en efficacité à trois cycles de BEP dans cette situation. Employer le G-CSF |
TGNS métastatique de pronostic intermédiaire | Envisager de remplacer la bléomycine par l’ifosfamide (4 VIP) Employer le G-CSF |
TGNS métastatique à haut risque | Discuter soit une chimiothérapie sans bléomycine (par exemple 4 TIP ou 4 VIP + G-CSF) ou l’emploi du schéma du GETUG-13 en remplaçant le premier cycle de BEP par un cycle de VIP et en limitant la dose de bléomycine Situation difficile à discuter avec un centre expert |
Tumeur germinale métastatique en situation de rattrapage | Limiter les indications de chimiothérapie intensive avec autogreffe aux situations de rattrapage les plus graves En cas de chimiothérapie intensive avec autogreffe, envisager une sérologie COVID 19 préalable avant chaque intensification (cf recommandations de la SFGM-TC) |
Cancer de la vessie métastatique en première ligne |
Privilégier l’association cisplatine-gemcitabine + G-CSF (plutôt que le MVAC intensifié) |
Cancer de la vessie métastatique en 2e ligne |
L’impact des inhibiteurs de checkpoint sur l’évolution de COVID-19 est actuellement inconnu. Différer le traitement de quelques semaines lorsque c’est possible |
Cancer du rein métastatique de bon pronostic | Favoriser un inhibiteur de tyrosine kinase (sunitinib ou pazopanib) en favorisant le suivi téléphonique ou les téléconsultations |
Cancer du rein métastatique de mauvais pronostic ou de pronostic intermédiaire | Le standard actuel repose sur l’association ipilimumab-nivolumab mais le risque de toxicité sévère est présent et l’accès à un service de réanimation n’est pas garanti pendant la période épidémique. L’emploi du sunitinib par défaut est sub-optimal mais peut se discuter dans ce contexte. Il est difficile de dégager un consensus et la décision devra être prise au cas par cas. Les patients de pronostic intermédiaire avec faible charge tumorale et asymptomatiques pourraient être traités par TKI. Pour les patients de mauvais pronostic et en mauvais état général (PS ≥ 2), un traitement palliatif exclusif peut être privilégié. |
En l’absence de données scientifiques disponibles à l’heure actuelle, il s’agit de simples orientations et non de recommandations.
Déclaration de liens d’intérêts
K.F. : participation à des comités consultatifs/honoraires pour Amgen, Astellas, Astra Zeneca, AAA, Bayer, Clovis, Curevac, ESSA, Genentech, Janssen, MSD, Orion, Sanofi.