1. Introduction
La pandémie de coronavirus disease (COVID-19) nécessite une réorganisation de l’ensemble des services de radiothérapie. Les recommandations récentes de la Société française de radiothérapie oncologique (SFRO) préconisent de prioriser dans la mesure du possible les patients dont l’objectif thérapeutique est curatif et dont la tumeur primitive n’a pas été encore opérée (cancers ORL, gynécologiques ou bronchopulmonaires notamment) [1]. Néanmoins, les patientes prises en charge pour un cancer du sein, le plus souvent en situation adjuvante, représentent une part importante du volume d’activité des services de radiothérapie, et par ailleurs ces patientes constituent un groupe hétérogène en termes d’impact potentiel de la radiothérapie.
Dans le cadre de l’expérience du département d’oncologie–radiothérapie de l’institut Curie, le traitement de 230 patients a été décalé ou repoussé, dont 67 % étaient des patientes prises en charge pour un cancer du sein.
L’adaptation temporaire des pratiques et la priorisation des indications pour la radiothérapie mammaire sont donc nécessaires, mais devraient respecter un niveau de preuve suffisant, compte tenu du grand nombre de patientes potentiellement impactées par l’application de ces mesures. Les conseils pratiques suivants peuvent être envisagés afin d’adapter les modalités de l’irradiation des cancers du sein au contexte épidémique ; leur application reste néanmoins du ressort de l’oncologue radiothérapeute référent qui devrait évaluer pour chaque patiente leur rapport bénéfice–risque.
2. Conseils pour la planification du traitement
2.1. Privilégier le décubitus dorsal et la respiration libre
Les positionnements alternatifs en radiothérapie mammaire (décubitus ventral, décubitus latéral isocentrique) sont généralement plus fastidieux à mettre en œuvre que le décubitus dorsal et augmenteraient en conséquence l’exposition des manipulateurs en électroradiologie médicale. En outre, ces techniques nécessitent un équipement spécifique qui les limite à des salles de traitement dédiées ; ainsi, si des patientes traitées dans ces positions devaient s’infecter en cours d’irradiation, un changement de salle de traitement vers une éventuelle salle dédiée aux patients infectés par le severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 (SARS-CoV-2) deviendrait alors impossible. Le traitement en inspiration bloquée devrait également être évité, car le temps de traitement se retrouve sensiblement allongé et la contamination des spiromètres par des patientes porteuses asymptomatiques est un risque réel.
2.2. Privilégier des traitements modérément hypofractionnés
L’équivalence en termes d’efficacité et de tolérance des hypofractionnements modérés pour la radiothérapie mammaire a été validée par les essais « Standardisation of Breast Radiotherapy » (START) A et START B et par l’essai canadien [2], [3], [4]. Ces schémas permettant un gain de temps non négligeable et il semble légitime de les privilégier quels que soient les volumes cibles considérés. Pour les traitements par photons, les fractionnements modérés suivants peuvent donc être envisagés :
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START A : 41,6 Gy en 13 fractions, à préférer à 39 Gy en 13 fractions (pT1-3a N0-1 ; 15 % de mastectomies, 54 % sous tamoxifène seul, 11 % sous chimiothérapie seule, 25 % avec l’association de chimiothérapie et d’hormonothérapie ; 14 % d’irradiations ganglionnaires, 61 % de boost) ;
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START B : 40 Gy en 15 fractions (pT1-3a N0-1 ; 8 % de mastectomies, 72 % sous tamoxifène seul, 7 % sous chimiothérapie seule, 15 % avec l’association de chimiothérapie et d’hormonothérapie ; 7 % d’irradiations ganglionnaires, 43 % de boost) ;
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essai canadien : 42,5 Gy en 16 fractions (pT1-2 N0 après tumorectomie ; 42 % sous tamoxifène, 11 % sous chimiothérapie. Pas de radiothérapie ganglionnaire ni de boost).
Dans le cas particulier des patientes les plus âgées (plus de 80 ans), un fractionnement de 32,5 Gy en cinq fractions hebdomadaires de 6,5 Gy semblait efficace et bien toléré cliniquement [5] ; depuis la publication de l’étude FAST, une désescalade de la dose à une dose totale de 28,5 Gy en cinq fractions et 5 semaines a été adaptée [6]. Pour les patientes jeunes et/ou traitées par électrons pour une irradiation pariétale, un hypofractionnement modéré de 45 Gy en 18 fractions de 2,5 Gy à raison de quatre fractions par semaine peut être raisonnablement envisagé.
Il faut néanmoins souligner que le cas des patientes prises en charge pour un cancer du sein de pronostic défavorable (femmes de moins de 40 ans, histologies agressives, tumeur en place, chimiothérapie concomitante) a été largement sous-évalué dans les essais d’hypofractionnement. Ces patientes devraient donc continuer à bénéficier d’un fractionnement classique.
2.3. Discuter le maintien d’un boost au lit tumoral
Chez des patientes de moins de 40 ans ou de moins de 50 ans atteints de cancer du sein avec des critères défavorables (grade tumoral III ou cancer triple négatif), un boost séquentiel sur le lit tumoral après mastectomie partielle permet d’améliorer le taux de contrôle local [7]. Dans ces conditions, l’abandon du boost doit être une décision mûrement réfléchie.
Par ailleurs, la disponibilité réduite des blocs opératoires et du personnel réquisitionné pour faire face à l’urgence peut compromettre la reprise chirurgicale en cas d’atteinte des tranches de section, avec la nécessité conséquente de rajouter un boost du lit opératoire.
Le boost peut continuer à être envisagé de manière séquentielle, soit hypofractionné (10,68 Gy en quatre fractions), soit selon un fractionnement standard (10 Gy en quatre fractions). Le niveau de preuve sur l’efficacité du boost intégré, qui reste néanmoins une option, est moindre.
3. Conseils pour la priorisation de la radiothérapie mammaire
Une étude canadienne sur 2000 patientes prises en charge pour un cancer du sein avec des critères de pronostic favorable (essentiellement patientes âgées de plus de 50 ans, expression des récepteurs hormonaux, T1, N0) a suggéré que l’intervalle de temps maximal entre la chirurgie et la radiothérapie pourrait être supérieur à 12 semaines sans altérer le taux de contrôle local ni celui de survie globale [8] ; néanmoins, dans le cas plus général, une méta-analyse sur 6500 patients a recommandé de limiter ce délai à 8 semaines maximum [9].
Dans le cas général de la radiothérapie mammaire adjuvante, les délais maximum suivants avant le début de la radiothérapie peuvent donc être conseillés :
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cancers canalaires in situ : 4 mois après l’opération ;
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cancers infiltrants de pronostic favorable (âge de plus de 50 ans ou ménopause, expression des récepteurs hormonaux, N0, sans chimiothérapie) : jusqu’à 4 mois après l’opération sous couvert d’une hormonothérapie. L’omission de la radiothérapie mammaire chez des patientes âgées atteintes de cancer du sein avec des critères de pronostic favorable augmente significativement le taux risque de récidive locale à 4 % (contre 1 %) à 5 ans et à 10 % (contre 2 %) à 10 ans [10], [11] ;
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cancers infiltrants de pronostic défavorable, après chimiothérapie adjuvante : 2 mois après la fin de la chimiothérapie ;
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cancers infiltrants de pronostic défavorable, après chimiothérapie néoadjuvante : 2 mois après la fin de la chimiothérapie en cas de réponse pathologique complète. En l’absence de réponse pathologique complète, la radiothérapie devrait raisonnablement débuter plus tôt, avant la cinquième semaine.
Deux autres cas de figures méritent également d’être soulignés :
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les patientes atteintes d’une tumeur non réséquée ou R1, et non métastatique sont prioritaires selon la SFRO et devraient être prises en charge sans attendre. Les patientes les plus âgées (de plus de 80 ans) peuvent éventuellement bénéficier d’un traitement hypofractionné en cinq à sept fractions. Pour les patientes dont le traitement reposerait sur une chimioradiothérapie concomitante, la radiothérapie ne devrait pas être décalée et devrait être normofractionnée ;
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les patientes atteintes de métastases sont les moins prioritaires ; si une radiothérapie locorégionale était envisagée, celle-ci pourrait être décalée jusqu’à 4 mois après l’opération.
4. Conseils pour la reprise de l’activité en fin d’épidémie
Le retour progressif à la normale de l’activité du service de radiothérapie dans des conditions optimales est délicat en raison du grand nombre de patientes pour lesquelles les séances ont été décalées qu’il faut réintroduire dans le circuit de la radiothérapie, ainsi que de la reprise de l’activité chirurgicale sénologique qu’il convient d’anticiper.
Des techniques de radiothérapie mammaires simples et efficaces doivent donc être envisagées initialement : il est par exemple possible d’envisager momentanément la réintroduction des techniques tridimensionnelles avec simulation virtuelle pour l’irradiation de parois thoraciques seules ou de seins seuls (en position de décubitus latéral isocentrique ou dorsal). Cette approche doit permettre de réduire la charge du travail de délinéation qui est conséquente pour majorité des équipes de sénologie des services de radiothérapie (à titre indicatif, deux tiers des patients sont concernés à l’institut Curie).
Continuer à privilégier momentanément la radiothérapie hypofractionnée pour les populations de patientes précédemment décrites permettra de limiter les délais de prise en charge pour la radiothérapie mammaire.
5. Conclusion
Ces règles, définies spécifiquement pour la radiothérapie mammaire et respectant un niveau de preuve suffisant, permettent à notre département de radiothérapie de traverser cette période difficile sans compromettre a priori le pronostic. Elles pourraient être utiles pour d’éventuels collègues qui se poseraient des questions pratiques similaires.
Financement
Ce travail n’a bénéficié d’aucune subvention spécifique émanant d’organismes de financement publics, commerciaux ou à but non lucratif.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
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