La clozapine est l’antipsychotique le plus efficace et la molécule de référence pour le traitement de la schizophrénie résistante [1]. Cependant, l’épidémie actuelle de COVID-19 pose la question de l’initiation ou du maintien de sa prescription dans cette indication.
En effet, son action immunosuppressive, l’hypersialorrhée fréquemment retrouvée et le risque d’agranulocytose pourraient augmenter le risque d’infections bactériennes ou virales [2] et aggraver ainsi l’infection par COVID-19 [3].
Ces éléments peuvent dissuader les cliniciens d’initier cette molécule pendant cette période, les inciter à diminuer la posologie des prescriptions en cours, voire à les arrêter par précaution.
Peu de données dans la littérature sont à la disposition du clinicien pour l’aider à prendre la décision la plus adaptée.
Nous présentons le cas d’un patient traité par clozapine, associée à un antipsychotique d’action prolongée, qui a présenté une forme d’évolution rapidement favorable de COVID-19.
Monsieur P. est un patient âgé de 51 ans, suivi depuis l’âge de 25 ans pour un trouble schizo-affectif ultra-chimio résistant ayant nécessité une hospitalisation de 18 mois en unité pour malades difficiles (UMD) jusqu’en janvier 2020. Il est stabilisé sur le plan psychiatrique avec un traitement associant : clozapine 600 mg/jour (depuis février 2019), palipéridone palmitate 50 mg/4 semaines, valproate de sodium 2 g/jour et carbonate de lithium à libération prolongée 1 g/jour.
Le 24 mars 2020, M. P. a présenté une fièvre à 38,2 puis à 38,7, s’est plaint de fatigue et d’une toux évoluant depuis 3 jours.
Le patient a alors été confiné selon les directives de notre établissement et des autorités sanitaires. Il a cependant difficilement supporté ce confinement en raison de son tabagisme et malgré la pose de patchs nicotiniques. Du fait de la pénurie des tests, deux jours ont été nécessaires avant que le patient puisse bénéficier du test de dépistage (écouvillonnage nasal), qui s’est avéré positif.
Il a alors été transféré à l’unité « COVID+ » de notre hôpital où il a bénéficié d’une surveillance clinique et biologique (Tableau 1 ) avec une dose de clozapine diminuée à 400 mg dès son arrivée. L’évolution clinique a rapidement été favorable et 14 jours après le début des symptômes (le 9 avril 2020), le patient est revenu dans notre unité.
Tableau 1.
Évolution clinique et biologique de Monsieur P.
24/04/2020 | 25/04/2020 | 26/04/2020 | 30/03/2020 | 01/04/202 | 07/04/2020 | 09/04/2020 | 17/04/2020 | |
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Fièvre | 38,2–38,7 °C | Apyrétique | Apyrétique | Apyrétique | Apyrétique | Apyrétique | Apyrétique | Apyrétique |
PNN (n/mm3) | 4760 | 3970 | 4120 | 4220 | 4140 | 3930 | ||
GB (n/mm3) | 7700 | 5330 | 5059 | 6043 | 8120 | 6680 | ||
PCR COVID-19 | Positif | |||||||
DDM (ng/mL) | 358 |
PNN : polynucléaires neutrophiles ; GB : globules blancs ; DDM : DDimères ; PCR : Polymerase Chain Reaction RT-PCR en temps réel, réactif ALTONA sur prélèvement naso-pharyngé (détection des gènes E et S), présence d’ARN de virus SARS-CoV-2.
Une exaltation thymique constatée à son arrivée a été facilement maîtrisée par un retour progressif aux doses habituelles de clozapine (600 mg/jour).
Ce cas clinique illustrant une évolution favorable d’une infection avérée COVID-19 chez un patient sous un antipsychotique à libération prolongée associé à la clozapine et deux thymorégulateurs, constitue une donnée rassurante qui nécessite d’être confirmée par des données complémentaires.
Nous pouvons néanmoins émettre quelques hypothèses concernant cette évolution favorable.
La clozapine, par son potentiel effet immunosuppresseur, pourrait exposer les patients à un plus grand risque de contracter la COVID-19 mais pourrait aussi en prévenir l’évolution grave. En effet, une des hypothèses des évolutions sévères de la maladie COVID-19 serait un emballement immunitaire, médié par un orage cytokinique (hypersécrétion des interleukines 6) [4].
Or, la clozapine a un effet immunomodulateur complexe. Elle aurait un effet pro-inflammatoire en entraînant une augmentation initiale (les deux premières semaines de traitement) de l’IL6 puis, à partir de la cinquième semaine de traitement, un effet immunosuppresseur avec une augmentation retardée et durable de IL-1RA [5].
Ainsi, si la question de l’instauration de la clozapine en phase d’épidémie peut se discuter, la clozapine déjà instaurée aurait toute sa place en situation épidémique. De plus, son efficacité clinique permet une réduction de la durée et du nombre d’hospitalisations [6], limitant ainsi la surcharge des services et potentiellement le risque de contagion intra hospitalière.
Il n’y aurait donc pas lieu d’arrêter complètement la clozapine par mesure de précaution en cas d’infection ou d’épidémie. Les mesures de précautions habituelles concernant la clozapine devraient suffire. En revanche, Il est important de suivre les recommandations de diminuer les doses de moitié en cas d’épisode fébrile, afin d’éviter un surdosage de la clozapine [3], [7].
Par ailleurs, au-delà de ce cas, nous avons constaté dans notre établissement, comme d’autres établissements psychiatriques l’ont aussi rapporté [8], un faible taux d’infections symptomatiques de COVID-19 avec très peu d’évolutions sévères. Ces constatations suggèrent la présence de facteurs protecteurs chez nos patients comme le tabagisme et les psychotropes.
En effet, la nicotine a été récemment décrite comme potentiellement protectrice face à la COVID-19 [9], [10].
En ce qui concerne les psychotropes, il a été démontré que la chlorpromazine possède des propriétés antivirales sur les virus SARS-CoV-1 et MERS-CoV en perturbant l’endocytose clathrine-dépendante indispensable à la pénétration du virus dans la cellule [8], [11]. La chlorpromazine serait ainsi potentiellement efficace sur le SARS-CoV-2 appartenant à la même famille des coronavirus. Ces hypothèses sont actuellement en cours d’évaluation par une étude in vitro et par un essai clinique [8].
Le lithium, thymorégulateur de référence, serait également une piste intéressante étant donné que cette molécule a montré des propriétés anti-coronavirus observées dans des études in vitro [12] .
En conclusion, ce cas clinique illustre l’évolution souvent bénigne de la COVID-19 chez les patients atteints de pathologies psychiatriques et suggère l’existence de facteurs de protections liés aux effets immunomodulateurs et antiviraux des traitements psychotropes et de la nicotine.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
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