Deux collègues canadiens viennent de publier une lettre à la rédaction de la revue Radiotherapy and Oncology dont le titre ne peut qu’interpeler les oncologues–radiothérapeutes : « L’irradiation à faibles doses peut-elle constituer un traitement potentiel des pneumopathies liées au COVID-19 ? » [1]. Ces collègues rappellent en exergue que, dans la grande majorité des cas, c’est un syndrome de détresse respiratoire aiguë qui tue les patients atteints de coronavirus disease (COVID)-19. Au milieu des multiples interrogations qui subsistent autour du severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 (SARS-CoV-2), ce point semble actuellement acquis [2], [3], [4]. Les auteurs rappellent des données historiques de traitement des pneumopathies par irradiation remontant au début du vingtième siècle [5]. Plus proches de nous, ils rappellent aussi, à juste titre, des données plus récentes confirmant s’il en était besoin l’action anti-inflammatoire des radiations ionisantes, bien connue des oncologues–radiothérapeutes du siècle dernier [6], [7]. Dans ces conditions, ils concluent qu’il paraît raisonnable de penser qu’une irradiation à faible dose (de 0,3 à 1 Gy ?) des poumons pourrait être susceptible de réduire l’inflammation des pneumopathies dues au SARS-CoV-2, et potentiellement de lever, ou du moins de réduire, le risque léthal lié à ces formes sévères de COVID-19.
D’autres arguments pourraient en fait aller dans le sens de cette proposition atypique.
De nombreuses données historiques ont confirmé depuis des décennies l’extrême radiosensibilité des lymphocytes, et par conséquent la déplétion lymphocytaire et l’immunosuppression plus ou moins marquée après irradiation. Rappelons ici que la disparition rapide des lymphocytes après irradiation accidentelle (même à très faible dose) constitue depuis plusieurs décennies une sorte de « dosimétrie biologique » permettant un tri des patients en cas d’accidents d’irradiation (parmi la masse de données disponibles sur le sujet, citons un document de l’Agence international de l’énergie atomique de 1998 [8]).
Plus précisément, Dutreix et al., à l’institut Gustave-Roussy, avaient étudié la cinétique de disparition des lymphocytes après des doses variables d’irradiation corporelle totale (avant une greffe de moelle osseuse) : 13 heures après une dose d’irradiation totale de 1,2 Gy (120 cGy), le chiffre de lymphocytes tombait à 60 % du chiffre initial, et il n’était pas retrouvé de radiosensibilité différente entre les différents sous-types lymphocytaires, tant in vivo qu’in vitro [9].
Par ailleurs, dispose-t-on de données allant dans le sens de l’effet possiblement bénéfique de l’immunosuppression pour la COVID-19 ? La question est bien entendu licite, l’immunosuppression en cas d’infection virale pouvant sembler contre-intuitive, et les traitements immunosuppresseurs pouvant se révéler une arme à double tranchant [10].
Notons que les partisans de l’immunosuppression proposent plutôt cette dernière à un stade tardif, afin de lutter spécifiquement contre « l’orage de cytokines » pulmonaire, et non pas aux stades plus précoces de l’infection virale, ce qui semble sage [2]. Dans les jours qui viennent des données seront disponibles quant à l’administration de traitements immunomodulateurs « ciblés » ayant montré des signes d’efficacité dans le traitement de la COVID-19 [11].
Dispose-t-on d’un début de réponse en étudiant l’évolution de la maladie chez des patients (plus ou moins) immunodéprimés ? Le manque de recul des études actuelles gêne bien entendu l’analyse, mais il existe quelques données éparses qui sont d’ores et déjà disponibles. Plusieurs articles portant sur des patients immunodéprimés ne semblent pas montrer que les formes sévères (en particulier pulmonaires) soient plus fréquentes dans ces cas. Les auteurs déconseillent d’ailleurs d’interrompre les traitements immunosuppresseurs chez ces patients [12], [13], [14]. Il existe des données suggérant des interactions potentielles entre les effets secondaires pulmonaires rares mais sévères des inhibiteurs des points de contrôle du cycle cellulaire utilisés en oncologie (pneumopathies interstitielles des inhibiteurs de la voie programmed cell death [PD] ligand 1 [PD-L1]/PD1) et la pathogenèse de la COVID-19 [15]. Pourtant, les données italiennes de Norsa et al., sur 552 cas d’inflammatory bowel disease, semblent confirmer des données chinoises [16], [17]. Les auteurs italiens n’ont enregistré aucun cas de COVID-19 (en tout cas sévère) dans leur série, ce qui les poussent à proposer l’hypothèse que « les patients sous immunosuppresseurs pourraient être à moindre risque de voir se développer des formes sévères de COVID-19 ».
Avant éventuellement de proposer, comme le suggèrent nos collègues canadiens, des irradiations pulmonaires à faible dose dans les cas de pneumopathies sévères de la COVID-19, comment pouvons-nous faire avancer nos connaissances ?
De fait, un pourcentage important de nos patients cancéreux irradiés reçoit au niveau pulmonaire des doses de rayonnement diffusé qui sont tout à fait dans la gamme des 0,3 à 1 Gy notés par nos collègues canadiens.
Les phénomènes responsables de ces doses « hors faisceaux » sont bien connus et ont été étudiés en détail dans une recommandation récente de l’American Association of Physicists in Medicine [18]. Les principaux sont :
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le rayonnement diffusé à partir du volume irradié dans le patient lui-même ;
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le rayonnement diffusé à partir du collimateur de l’appareil de traitement et à partir d’autres éléments adjacents ;
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le rayonnement « de fuite » à partir de la tête de l’appareil de traitement, qui a été souvent sous-estimé.
De très nombreux patients irradiés ont donc reçu au niveau de leurs poumons des doses de rayonnement diffusé qui pourraient être « protectrices » ( ?) contre une forme sévère de pneumopathie de la COVID-19. Il pourrait être intéressant de répertorier ces patients irradiés et infectés par le SARS-CoV-2 (en sélectionnant ceux qui ont reçu une dose de rayonnement diffusé de l’ordre du Gy) et d’étudier s’ils ont été atteints ou non d’un « orage de cytokine » menant à une pneumopathie sévère.
Outre les doses reçues au niveau pulmonaire, on sait aussi que toute irradiation en particulier abdominopelvienne large, est responsable d’une lymphopénie plus ou moins marquée : compte tenu de ce qui a été dit plus haut, cette lymphopénie pourrait-elle se révéler « protectrice » contre les formes pulmonaires sévères de COVID-19 ? Dans ce cas, ce serait la quasi totalité des patients de radiothérapie qu’il conviendrait d’analyser…
Enfin, nous ne pouvons que rappeler qu’au moment où ces lignes sont écrites, nous ne disposons d’aucun traitement efficace pour ces pneumopathies sévères, qui sont assorties d’une mortalité qui reste importante, en dépit de tous les efforts de nos collègues réanimateurs.
Dans ces conditions, on peut légitimement se poser le problème d’une irradiation à faible dose (inférieure à 1 Gy ?) des deux poumons, irradiation qui, compte tenu de ce qui a été écrit plus haut, devrait entraîner une déplétion de l’ordre de 50 % de l’infiltration lymphocytaire et assurer une immunosuppression (essentiellement locale) susceptible d’être bénéfique au patient. Outre cette déplétion lymphocytaire, des données récentes suggèrent des redistributions dynamiques des populations macrophagiques après irradiation pulmonaire (macrophages alvéolaires, macrophages interstitiels), ces observations étant susceptibles d’avoir des applications dans la compréhension de la physiopathologie de la COVID-19, ainsi que dans le développement d’agents pharmacologiques ciblant l’activation macrophagique [19].
Dans une série historique de 32 enfants atteints de pneumopathie interstitielle, Oppenheimer avait décrit une amélioration en moins de 24 heures des symptômes respiratoires après irradiation à des doses de l’ordre de 0,3 à 0,8 Gy (l’irradiation était pratiquée avec des rayons X de faible énergie [20]). Dans une autre série plus ancienne concernant 104 patients atteints de pneumopathie bactérienne, une amélioration très rapide, en quelques heures était observée chez la majorité des patients, les auteurs rattachaient alors la réponse clinique rapide à un effet sur les globules blancs [21], avec des doses qui étaient à l’époque communément utilisées pour traiter des infections bactériennes cutanées comme les furonculoses [22]. Ces données anciennes montrent que l’irradiation pourrait être utile dans des situations particulières, en l’absence d’efficacité des traitements spécifiques antiviraux et immunomodulateurs (anti-interleukine [IL]-6, stéroïdes à fortes doses, etc.). Un préalable, outre les questions de dose, serait de pouvoir revisiter ces effets de faibles doses avec les outils d’exploration de la réaction inflammatoire dont nous disposons aujourd’hui.
Notons l’absence quasi totale de toxicité attendue de cette gamme de dose, qui se situe très au-dessous du seuil des effets déterministes pulmonaires (classiquement 20 Gy en étalement-fractionnement conventionnel). Ce type de traitement pourrait donc être proposé aux formes pulmonaires sévères de COVID-19, en particulier celles s’associant à des images diffuses au scanner, avec la possibilité de pouvoir juger rapidement sur les images radiologiques de l’efficacité (ou non) de cette irradiation à faible dose.
Déclaration de liens d’intérêts
E. Deutsch grants et honoraria de ROCHE GENENTECH, grants de SERVIER, grants ASTRAZENECA, grants et honoraria de MERCK SERONO, Grants de BMS, grants de MSD, sans lien avec le present travail.
Les autres auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
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