Résumé
La pandémie du COVID-19 a des conséquences majeures sur l’organisation des soins. En France et dans le monde, les centres pratiquant l’électroconvulsivothérapie (ECT) ont vu leur activité diminuer, voire s’arrêter, pour de diverses raisons. Dans ce contexte, le maintien ou la reprise de cette activité thérapeutique essentielle pour de nombreux patients souffrant de troubles psychiatriques nécessite des adaptations matérielles, humaines et logistiques qu’il convient d’encadrer. L’objectif de ce travail collectif et national est de proposer des recommandations simples et applicables immédiatement par tout établissement de santé, public ou privé, pratiquant les ECT. Elles sont issues d’un retour d’expériences pluriprofessionnelles et interétablissements. Déclinées en trois étapes, ces recommandations sont accompagnées d’une fiche pratique qui décrit, de façon précise, les conditions nécessaires et préalables à toute reprise d’activité ECT.
Mots clés: Électroconvulsivothérapie, Recommandations, Accès, COVID-19
Abstract
The COVID-19 pandemic has had major consequences for the organization of care. In France and around the world, centers practicing electroconvulsive therapy (ECT) have seen their activity decrease, or even stop for many reasons. In this context, maintaining or resuming this essential therapeutic activity for many patients suffering from psychiatric disorders requires material, human and logistical adaptations that should be supervised. The objective of this collective and national work is to offer simple recommendations that can be applied immediately by any healthcare establishment, public or private, practicing ECT. They are the result of feedback from multiprofessional and inter-establishment experiences. Declined in three stages, these recommendations are accompanied by a practical sheet which describes in detail the necessary conditions and prerequisites for any resumption of ECT activity.
Keywords: Electroconvulsive therapy, Guidelines, Accessibility, COVID-19
Dans une enquête très récente et liée au contexte d’épidémie du COVID-19, il apparaît que la moitié des centres pratiquant l’électroconvulsivothérapie (ECT) ont dû suspendre leur activité, parfois de façon brutale [1]. Ces modifications d’activité ont également eu lieu dans d’autres pays comme les USA, la Belgique ou Singapour [2], [3], [4]. Les principales raisons invoquées étaient : le déploiement des équipes d’anesthésie dans les services de réanimation ; la quisition de matériel (scopes, respirateurs) et des drogues anesthésiques pour ces services ; la limitation ou arrêt des déplacements pour les patients en ambulatoire en ECT de maintenance ou les patients à risque d’exposition et de propagation du SARS-CoV-2, en provenance d’institutions, telles que les EHPAD ou les services de géronto-psychiatrie, externalisant leurs actes d’ECT sur des pôles dédiés. Bien que certains centres aient pu développer des thérapeutiques alternatives (ajustement du traitement psychotrope de fond, techniques de neurostimulation non invasives comme la stimulation magnétique transcrânienne répétée, cures de kétamine IV, cures d’eskétamine) [5], de nombreux patients ont vu leurs soins d’ECT – cure, consolidation et maintenance – suspendus, de consolidation ou de maintenance suspendus, les exposant à des rechutes, des récidives, voire à l’engagement d’un risque vital en cas de crise suicidaire [6] ou de syndrome catatonique [7]. De plus, de nouveaux patients relevant de l’indication urgente de la pratique d’ECT n’ont pas pu bénéficier du traitement, ce qui aura une incidence sur la morbi/mortalité de ces troubles psychiatriques majeurs et aigus.
Des professionnels de la santé mentale ont très tôt attiré l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de maintenir autant que possible les soins psychiatriques [8], [9]. Toutes les populations sont touchées, des personnes âgées avec un trouble dépressif en EHPAD, dont le retard à la prise en charge les place régulièrement dans des alternatives radicales entre demande de cure d’ECT ou de soins palliatifs [3], aux adolescents ou jeunes adultes avec des syndromes catatoniques [10] ou présentant des hallucinations résistantes à l’origine de troubles du comportement ayant un retentissement encore plus important en situation de confinement.
L’objectif de cet article est de proposer des recommandations simples et applicables immédiatement par tout établissement de santé, public ou privé, concerné par une reprise d’activité d’ECT. Elles sont issues d’un retour d’expériences pluriprofessionnelles et interétablissements.
La première étape consiste parfois à convaincre l’institution de la nécessité de la reprise de l’activité. Dans d’autres circonstances, ce sont au contraire les institutions qui sont tentées de forcer la reprise de l’activité (Direction de clinique ou de groupes privés de santé ou l’ARS, par exemple, avec proposition de réquisitions de pôles, d’équipements et même de personnels soignants…), non sans risque d’exposer les équipes qui n’y étaient pas forcément préparées dans un moment où la méconnaissance de nombreux paramètres de la maladie COVID-19 est plus acquise que le niveau des certitudes. Cela n’est donc en réalité pas toujours facile en raison de réticences ou au contraire d’enthousiasmes administratifs, quand ce ne sont pas les collègues eux-mêmes.
Selon le contexte, les 3 arguments suivants pourront être avancés pour une reprise de l’activité :
-
•
les ECT rentrent dans le cadre reconnu par tous les experts du champ et de toutes les sociétés savantes en psychiatrie de la prise en charge des formes sévères et graves des pathologies psychiatriques (selon le guide émis par le ministère des solidarités et de la santé : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/soins-hors-covid-19.pdf) ;
-
•
il est possible d’assurer les séances d’ECT en respectant les mesures barrières et de confinement pour les patients et les professionnels de santé (cf. Fig. 1 ) ;
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•mise en avant de la faisabilité et du succès prévisible du projet étudié au regard de :
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∘la priorité ciblée, parmi les plus fragiles : patients souffrant de troubles psychiatriques, l’absence d’ECT correspondant à une perte de chance certaine pour ces patients,
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∘la consommation réduite de produits anesthésiques nécessaire au soin,
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∘les ressources humaines en médecins anesthésistes disponibles,
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∘la reprise d’activité progressive contrôlée,
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∘l’intérêt financier pour l’établissement,
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∘l’absence d’impact sur le capacitaire (c’est-à-dire sur l’occupation des lits d’hospitalisation, les ECT étant une activité ambulatoire).
-
∘
La deuxième étape consiste à concevoir et rédiger la procédure décrivant de façon précise les conditions nécessaires et préalables à toute reprise d’activité ECT. Les principaux éléments sont résumés dans le Tableau 1 .
Tableau 1.
Détermination de la capacité d’accueil et du calendrier |
Afin de respecter la notion de confinement et d’application des mesures barrières, la capacité de la structure est évaluée à x patients par vacation d’ECT, y jours par semaine |
Organisation possible à partir du date |
Recrutement des patients – indications prioritaires |
Risque vital à court ou moyen terme |
Patients présentant une décompensation sévère, risque suicidaire élevé, catatonie, personne âgée, avec résistance médicamenteuse ou intolérance aux psychotropes usuels, avec urgence, et pour qui la poursuite d’un confinement serait délétère |
Absence d’alternative thérapeutique |
Provenance possible : domicile ou établissement de santé, EHPAD, avec concertation collégiale en amont permettant des regards croisés sur l’indication et la situation globale du patient |
La balance bénéfice risque doit être évaluée au regard d’une exposition possible au SARS-CoV-2 lors de la pratique de l’ECT et de la venue dans une structure accueillant un public possiblement asymptomatique et contagieux |
Annulation de la venue au pôle ECT en cas de présence de signes évocateurs du COVID-19 (fièvre, courbatures, céphalées, toux inhabituelle, gêne respiratoire, anosmie, agueusie, écoulement nasal, troubles digestifs inhabituels, lésions de la peau au niveau des extrémités (acrosyndromes, vascularites mains et/ou pieds), contact rapproché avec un patient confirmé COVID-19 |
Conditions matérielles indispensables |
Pour les soignants : masques FFP2 et chirurgicaux, visières/lunettes de protection, sur blouse, tablier, gants UU, charlotte et solution hydro alcoolique en quantité suffisante |
Scopes de la salle de réveil récupérés |
Évaluation anticipée de la consommation par semaine (quantité, stock, autonomie) des : |
Dispositifs médicaux (masques anesthésie, filtres, masques O2 et masques FFP2) |
Drogues anesthésiantes |
Visite de l’équipe infirmière hygiéniste de l’établissement avant réouverture de l’activité |
Faire un point sur les mesures barrières |
Organisation des locaux |
Déroulé du soin |
Accueil des patients (heure, lieu, par qui) |
Maintien des accompagnants à l’extérieur de la structure pour diminuer le risque de propagation de la contamination COVID |
Recueil idéalement d’un questionnaire rempli en amont de la séance d’ECT ou de l’interrogatoire patient au moment du RDV reprenant les items pistant la possibilité d’une contamination récente et donc la possibilité de surseoir à l’ECT |
Possibilité de faire la consultation d’anesthésie avant la 1re séance ECT |
Prise de température systématique et en amont du RDV durant au moins 48 h 00 |
Prescription chez les patients en amont du 1er ECT de reprise de l’activité ECT d’une RT PCR à la recherche du SARS-CoV-2 en prévention du risque d’aérosolisation lors de l’anesthésie et de la ventilation d’O2 au masque |
Lavage des mains à l’arrivée (ou solution hydro-alcoolique) |
Port du masque chirurgical par les patients à leur arrivée dans la structure et après le réveil |
Dépôt des effets personnels dans les vestiaires individuels (désinfectés au départ du patient), ou sous le brancard qui leur est attribué et qui peut véhiculer leurs affaires et facilement désinfectés ensuite |
Pour la stimulation électrique : privilégier les systèmes de déclenchements à distance + bandeau de maintien des électrodes de stimulation |
Mesures barrières renforcées |
Distance minimale 1 m entre chaque patient et soignant, dès que possible |
Diminution du nombre de brancards dans la salle de réveil |
Usage de paravents entre les patients en salle de soin post interventionnelle pour idéalement une distance de 2 m du fait du risque toujours possible d’agitation et/ou de confusion |
Mesures barrières rappelées fréquemment aux patients |
Tenue pour les soignants |
Port d’une tenue professionnelle propre, à changer quotidiennement |
Pendant le soin : masque FFP2, visière ou lunettes de protection, charlotte, surblouse, tablier pendant le soin (+ gants UU si contact avec des liquides biologiques) |
Limitation des allers et venues |
Circuit « marche en avant » autant que faire se peut en fonction de l’état physique du patient (pas de retour en arrière) |
Décontamination bionettoyage de la salle de réveil après intervention selon procédure UGRI (entretien de la salle de surveillance post-interventionnelle et de la zone d’induction zone 3 0051-MO-027) |
Pas d’ouverture de porte pendant la procédure pour éviter les mouvements d’air |
Décontamination de la salle de réveil après intervention selon procédure UGRI (entretien de la salle de surveillance post-interventionnelle et de la zone d’induction zone 3 0051-MO-027) |
Aération de la pièce pendant 15 minutes (ouverture fenêtre) après la vacation ECT |
Évitement de l’usage d’un système de climatisation ou de chauffage qui ferait recirculer l’air ambiant en raison de la dispersion d’aérosols liés à la ventilation au masque dans la pièce de réalisation des ECT, aérosols inévitables |
Professionnels/institutions à consulter pour validation avant toute reprise d’activité |
Cadre de santé et médecins référent de l’activité (psychiatre et anesthésiste) |
Direction des soins |
Cellule qualité |
Cellule infirmière hygiéniste |
Cellule de crise |
Autorités de tutelle (ARS) |
En pratique |
Rédaction de la procédure avec relecture et validation |
Débriefing des premières séances |
Communication adaptée aux structures adressant des patients |
La troisième étape consiste à reprendre effectivement l’activité d’ECT.
Néanmoins, il est probable que, malgré une reprise contrôlée et progressive des ECT, l’offre de soins reste insuffisante pour faire face à l’augmentation attendue et prévisible du nombre de patients vulnérables en décompensation de leur pathologie psychiatrique. En effet, déjà hors période de crise sanitaire exceptionnelle, les délais d’accès aux ECT sont bien trop longs en France [11] par rapport aux recommandations nationales [12], [13]. Répondre aux besoins en période de crise suppose une capacité des établissements de soins à répondre aux besoins hors période de crise. Une organisation systématisée et reproductible des soins ECT autour d’unités spécifiques de neuromodulation en psychiatrie pourrait en être la base [14], et permettre une réactivité dans l’adaptation de l’offre de soins aux besoins.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Remerciements
Ce travail a été réalisé en lien et avec le soutien de la Section Stimulation Transcrânienne En Psychiatrie (STEP) de l’AFPBN (https://www.afpbn.org/sections/step/).
Références
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