Abstract
Le concept de médicament biosimilaire a été lancé par les directives européennes de 2001 et 2004 avec les premières autorisations européennes de mise sur le marché (AMM) délivrées en 2006. Ce sont des « copies » de médicaments biologiques, pour la plupart des protéines. Compte tenu de la variabilité inhérente aux processus de « synthèse biologique » quelques variations de la structure chimique du produit fini peuvent être observées sur les résidus glycosylés mais pas sur la séquence d’acides aminés pour les protéines. Pour cette raison, le dossier de demande d’AMM de ces produits, contrairement aux génériques, doit comporter une démonstration d’équivalence thérapeutique dans au moins l’une des indications thérapeutiques du princeps. C’est l’arrivée des biosimilaires des anticorps monoclonaux qui a vraiment marqué leur avènement avec les biosimilaires d’infliximab, d’étanercept et d’adalimumab dans les domaines de la rhumatologie, gastroentérologie et dermatologie, puis dans les domaines de la cancérologie avec les biosimilaires de rituximab, trastuzumab et enfin bévacizumab. Si l’arrivée des biosimilaires réduit le risque de ruptures d’approvisionnement des produits princeps, leur intérêt est principalement économique, permettant la réduction du prix des traitements face aux princeps biologiques coûteux. Avec l’expérience acquise, les réticences à l’interchangeabilité des produits se sont estompées.
Mots clés: Biosimilaires, Princeps, Interchangeabilité, Économie de santé
Abstract
The concept of biosimilar medicine was launched by 2001 and 2004 European Directives. First European marketing authorizations were delivered in 2006. They are “copies” of biologically manufactured medicines, mostly proteins. Taking into account the intrinsic variability related to the biological manufacture process, some variation of the chemical structure of the finished compound may be observed. They impact especially the glycosylation residues but not the amino-acid sequence (for proteins). For this reason, the marketing authorization application dossier has to involve, as opposed to the generic medicine procedure, the demonstration of the therapeutic equivalence in at least one clinical indication of the princeps medicine. Introduction of biosimilar medicines of monoclonal antibodies has represented a remarkable event in the domain of rheumatology, gastroenterology and dermatology with infliximab, etanercept and adalimumab biosimilars and in cancerology domains with rituximab, trastuzumab and bevacizumab biosimilars. Biosimilar medicines availability reduces the risk of drug supply rupture of princeps but their main impact is the economic one allowing cost reduction of costly princeps biological medicines. With the acquired clinical experience, the initial fears concerning switch form princeps to a biosimilar for a given patient has progressively disappeared.
Keywords: Biosimilar medicines, Innovator, Princeps, Switchability, Health economy
Introduction
Le concept et les contours réglementaires des médicaments biosimilaires ont été lancés par l’article 10(4) de la directive européenne de 2001, et par l’article 6 de la directive européenne de 2004 [1], [2]. Un premier texte de recommandations (« overarching document ») concernant leur développement à destination des laboratoires pharmaceutiques a été publié par l’agence européenne du médicament (EMA) en 2005 et revu en 2014 [3]. D’autres documents spécifiques pour les différentes catégories de produits princeps ont été publiés par la suite par l’EMA. Les premières autorisations de mise sur le marché européen (passant obligatoirement par la procédure européenne centralisée) de médicaments biosimilaires ont été délivrées en 2006 pour l’hormone de croissance (somatropine) avec omnitrope et valtropin, biosimilaires respectivement des princeps Genotonorm et Humatrope. Fin 2019, l’agence européenne du médicament (l’EMA) avait délivré au total un peu moins d’une soixantaine d’autorisations de mise sur le marché (AMM) européennes centralisées de médicaments biosimilaires.
Après ceux de la somatropine, les premiers biosimilaires ont été ceux des facteurs de croissance cellulaire des érythrocytes (érythropoïétine, EPO), du filgrastim, facteur de stimulation de la croissance des granulocytes neutrophiles (CGSF), puis sont arrivés ceux de la follitropine (recombinants de FSH), des insuline glargine lispro, de l’énoxaparine (héparine de bas poids moléculaire), du tériparatide (la parathormone). C’est cependant l’arrivée des biosimilaires des anticorps monoclonaux qui a vraiment marqué leur avènement compte tenu de leur impact majeur sur les budgets hospitaliers avec notamment l’arrivée des biosimilaires d’anti-TNF (infliximab, étanercept, adalimumab) dans les domaines de la rhumatologie, de la dermatologie, de la gastroentérologie puis en cancérologie avec l’arrivée des biosimilaires du rituximab, du trastuzumab, et courant 2019–2020 du bévacizumab (Avastin®).
Leur intérêt est double : il est d’abord principalement économique, car ils sont moins chers que les princeps. En effet, en tant qu’équivalents thérapeutiques, ils peuvent être mis en concurrence avec les princeps et permettent ainsi une réduction du coût des traitements. Ensuite, en diversifiant les sources de production, ils viennent limiter les risques de rupture d’approvisionnement de ces produits.
Le développement des biosimilaires est basé sur la démonstration d’équivalence par rapport aux princeps correspondants à toutes les étapes de ce développement : études de la qualité pharmaceutique, études pré-cliniques (pharmacologie), études cliniques (bioéquivalence pharmacocinétique, équivalence thérapeutique, études comparatives d’immunogénicité).
Qualité pharmaceutique des biosimilaires
Les médicaments biosimilaires sont des copies de médicaments biologiques. Ces derniers, par opposition aux médicaments obtenus par synthèse chimique, comportent une substance active produite ou extraite à partir d’une source biologique. Mise à part les produits de type polysaccharides comme l’héparine, les médicaments biologiques de structure protéique et notamment les anticorps monoclonaux bénéficient des techniques de la biologie moléculaire et de l’ADN recombinant. Le gène codant pour la substance visée est porté par un vecteur (plasmide) inoculé dans des cellules mises en culture (type cellule d’ovaire de hamster chinois, bactéries type Escherichia coli ou encore des cellules de myélome de souris pour certains anticorps monoclonaux). Par fermentation une expansion de la culture cellulaire primaire est obtenue aboutissant à une production à grande échelle.
La détermination de la qualité des médicaments biologiques nécessite ainsi une combinaison d’essais physiques, chimiques et biologiques, ainsi que la connaissance de leur procédé de fabrication et de leur contrôle. Ce sont généralement des peptides ou des protéines (incluant les anticorps monoclonaux ou les protéines de fusion) mais peuvent également avoir une structure polysaccharidique comme c’est le cas pour les héparines extraites principalement à partir de la muqueuse intestinale de porc.
Les biosimilaires ont la même forme pharmaceutique que leurs princeps correspondants et leur composition qualitative et quantitative en substance active est similaire à celle du médicament biologique de référence (princeps). Cependant, compte tenu de leur procédé de fabrication, il existe pour les médicaments biologiques d’une manière générale une variabilité d’un lot à l’autre de fabrication concernant la structure de la substance active, portant non pas sur la séquence primaire des acides aminés (pour les protéines) mais sur les résidus glycosylés. Il en est de même entre médicament biosimilaire et son princeps correspondant. Il existe ainsi une variabilité entre biosimilaire et princeps du même ordre qu’entre différents lots d’un princeps de médicament biologique.
La composition qualitative en substance active des médicaments biosimilaires n’est donc pas strictement identique à celle du princeps, raison pour laquelle les médicaments biosimilaires ne remplissent pas les conditions des spécialités de médicaments génériques et raison pour laquelle un cadre réglementaire spécifique pour leur développement et les conditions de leur autorisation de mise sur le marché a dû être créé [4], [5].
Comme pour les génériques, les médicaments biosimilaires ne peuvent être mis sur le marché qu’une fois épuisée la durée de protection des brevets concernant la substance active.
Développement clinique des médicaments biosimilaires : balance bénéfice/risque
Efficacité thérapeutique d’un biosimilaire
Par opposition aux conditions d’AMM octroyées pour les médicaments génériques, pour obtenir leur AMM, les médicaments biosimilaires doivent non seulement démontrer leur bioéquivalence en termes pharmacocinétiques par rapport au princeps, mais doivent surtout démontrer une équivalence thérapeutique dans au moins une indication thérapeutique. Leur AMM s’étendra cependant d’emblée à l’ensemble des autres indications du princeps. Les indications thérapeutiques sélectionnées pour la démonstration d’AMM doivent être les plus sensibles pour détecter une éventuelle différence entre princeps et biosimilaire. Leur choix doit être argumenté par l’industriel développant le biosimilaire et discuté généralement lors des avis scientifiques de l’EMA. Les bornes d’équivalence thérapeutique (en règle de l’ordre de ±15 % sur le critère principal d’évaluation clinique entre les groupes princeps et biosimilaire), doivent être justifiées. Le choix de ces limites d’équivalence thérapeutique entre princeps et biosimilaire sous-tend la préservation par le biosimilaire de la majorité du bénéfice thérapeutique obtenu par le princeps par comparaison au placebo. C’est ce que le dossier du biosimilaire doit fournir comme démonstration.
Le principe retenu de démonstration d’équivalence d’efficacité dans une seule (ou deux) indication(s) signifie donc l’acceptation implicite de l’équivalence thérapeutique dans les autres indications du princeps. Ceci suppose que des arguments soient apportés par la firme pharmaceutique développant le biosimilaire pour conforter l’hypothèse que les mécanismes du bénéfice thérapeutique dans les différentes indications dépendent du même mécanisme d’action de la substance active, ce qui a été toujours le cas jusqu’à présent. Cette problématique de l’extrapolation des indications thérapeutiques à partir des cas ou une seule étude d’équivalence thérapeutique avait été réalisée dans une indication donnée, s’est surtout posée lors de l’introduction des biosimilaires d’anti-TNF, compte tenu de leurs multiples indications thérapeutiques dans des domaines pathologiques très différents : la polyarthrite rhumatoïde (rhumatologie), le psoriasis (dermatologie), la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique (gastroentérologie), etc. Cette problématique ne s’était pas vraiment posée pour les premiers biosimilaires comme ceux de l’érythropoïétine (EPO), du facteur de croissance des granulocytes (GCSF) ou de l’insuline. Avec ces médicaments, il n’y avait pas véritablement d’indications thérapeutiques différentes dans la mesure ou l’objectif thérapeutique est le même quelles que soient les différentes situations cliniques à traiter : corriger une anémie pour les EPO, une neutropénie pour les GCSF, ou enfin traiter un diabète avec l’insuline :
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pour les biosimilaires d’anti-TNF (infliximab, étanercept ou adalimumab), c’est la polyarthrite rhumatoïde (PR) et/ou le psoriasis en plaques qui ont été choisies comme indication de référence ;
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pour les biosimilaires du rituximab, c’est la polyarthrite rhumatoïde qui a été choisie comme indication de référence mais avec des études cliniques complémentaires d’équivalence thérapeutique dans le lymphome folliculaire avancé (lymphome non hodgkinien) ;
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pour les biosimilaires du trastuzumab qui a l’AMM dans le cancer du sein précoce et métastatique HER2+ ainsi que dans le cancer gastrique HER2+ métastatique, l’indication de référence utilisée dans les dossiers des différents biosimilaires (Herzuma®, Ontruzant®, Kanjinti® pour ceux commercialisés en France) a été celle du cancer du sein précoce HER2+. Les données scientifiques établies ont permis d’affirmer que son mécanisme moléculaire d’action et son bénéfice thérapeutique qui en résulte étaient les mêmes quelle que soit l’indication permettant ainsi l’extrapolation aux autres indications thérapeutiques (cancer du sein métastatique et cancer gastrique) ;
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pour les biosimilaires du bévacizumab (anti-VEG), c’est l’indication dans le traitement du cancer bronchique non à petites cellules qui a été retenue comme indication de référence permettant l’extrapolation aux multiples autres indications du bévacizumab (Avastin®).
Dans tous les cas, cette problématique de l’acceptation implicite des différentes indications du princeps à partir d’une seule indication a induit quelques réticences initiales notamment lors de l’introduction des biosimilaires d’infliximab, compte tenu des domaines thérapeutiques très différents de ses indications. Ces réticences se sont aplanies avec la réalisation d’études cliniques complémentaires post-AMM dans les différents domaines thérapeutiques non concernés par l’étude initiale de référence d’équivalence thérapeutique. Les réticences ont été pratiquement absentes dans le domaine de la cancérologie, le mécanisme d’action antitumoral étant le même quel que soit la localisation et le type des cancers. Les cancérologues raisonnent en effet de plus en plus plutôt à partir des cibles moléculaires des tumeurs et des mécanismes d’action au niveau moléculaire des médicaments anticancéreux plutôt qu’à partir des différentes localisations des tumeurs.
Les résultats des études de bio-équivalence pharmacocinétique et d’équivalence thérapeutiques des différents biosimilaires sont fournis dans le document EPAR (European Public Assessment Report) de chaque produit et accessible sur le site de l’EMA (et non pas dans leur résumé des caractéristiques du produit, le RCP).
Sécurité d’utilisation d’un biosimilaire
Le profil de sécurité du médicament biosimilaire doit être le plus proche possible de celui du princeps, sans que des règles fixées à l’avance ne soient établies pour accepter une similarité de sécurité (à l’inverse des règles établies pour établir l’efficacité). C’est l’incidence des évènements indésirables graves et non graves rapportés au cours des différentes études réalisées au cours du développement qui est étudiée et comparée entre princeps et biosimilaire. Cela concerne en particulier les réactions lors de la perfusion intraveineuse, le risque infectieux avec les anti-TNF ou encore la toxicité cardiaque avec le trastuzumab. Avec le recul actuel, aucun problème de sécurité d’utilisation ni d’incidence supérieure ou inattendue d’effets indésirables n’a été observé avec l’introduction des biosimilaires par rapport aux princeps correspondants.
Par exemple, une incidence plus élevée de cas de tuberculose avait été observée initialement sur l’ensemble des études cliniques du dossier d’AMM de Remsima, biosimilaire d’infliximab (6 cas versus 1 dans le groupe princeps). Ce signal a été suivi de près dans le programme de gestion des risques post-AMM. Il n’a pas été retrouvé par la suite après la mise sur le marché de Remsima, ni avec les autres biosimilaires d’infliximab.
La préoccupation majeure a été celle de l’immunogénicité des protéines (anticorps ou protéines de fusion) et son impact sur le profil d’efficacité et de risque. Cette préoccupation a fait notamment suite à l’observation de cas d’érythroblastopénies avec le princeps d’érythropoïétine EPREX [6]. Ces cas sont donc survenus, non pas avec un biosimilaire d’EPREX mais bien avec le princeps EPREX, suite à une modification de la fabrication du bouchon des tubes. Ces réactions d’érythroblastopénies ont résulté de la formation d’anticorps anti-EPO endogènes suite à une interaction contenant–contenu au niveau du flacon modifiant la configuration antigénique de l’EPO de l’EPREX. Ces réactions ont disparu après la correction du mode de fabrication des bouchons des flacons mais elles ont eu un impact psychologique important car les faisant craindre avec l’arrivée des biosimilaires d’EPO.
L’induction d’anticorps antimédicaments avec les médicaments biologiques, qui sont principalement des protéines, est très variable d’un médicament biologique à l’autre. Leur impact clinique est également très variable en fonction de la nature de l’anticorps monoclonal (chimérique ou complètement humanisé), du caractère neutralisant ou non des anticorps produits, du niveau lui-même des anticorps (très faible par exemple avec l’étanercept) et enfin de la durée des traitements (traitements limités dans le temps en cancérologie ou au contraire traitements chroniques dans les maladies inflammatoires). Avec l’infliximab par exemple, un peu plus de 30 % des patients présentent des anticorps après 6 mois de traitement, pour la plupart neutralisant compte tenu du fait du caractère chimérique de cet anticorps (murin pour la partie FAb–humain pour les chaînes d’immunoglobulines) à l’origine d’une perte partielle d’efficacité. D’une part, l’incidence de développement des anticorps s’est avérée comparable entre les groupes princeps et biosimilaires et, d’autre part, les réponses cliniques (ACR 20 en particulier) entre les groupes biosimilaires (Remsima, Inflectra, Flixabi) et les groupes princeps se sont avérées du même ordre dans les différentes études cliniques réalisées tant pour les patients séroconvertis que non séroconvertis, la réponse clinique étant plus faible avec les patients séroconvertis.
D’une manière générale, l’incidence de survenue des anticorps quels qu’ils soient s’est avérée très comparable entre princeps et biosimilaires avec l’ensemble des biosimilaires mis sur le marché, y compris au cours des études d’interchangeabilité réalisées en post-AMM (cf. paragraphe suivant). Il est même arrivé que dans certaines études, l’incidence de survenue des anticorps soit inférieure avec le biosimilaire comme avec cela s’est produit avec Erelzi, biosimilaire d’Enbrel. Ce cas de figure est rarement survenu et a été considéré par l’EMA comme plutôt en relation avec des fluctuations d’échantillonnage dues au hasard qu’avec de réelles différences d’immunogénicité. Avec Amgevita (anticorps monoclonal recombinant humain), biosimilaire d’Humira, après quelques semaines de traitement, entre 40 et 60 % des patients développent des anticorps anti-adalimumab. Ils sont neutralisants pour 10 % des patients, sans aucune différence sur l’efficacité clinique entre princeps et biosimilaire. L’incidence des réactions lors de la perfusion est juste plus importante en présence de ces anticorps. Avec le rituximab, le trastuzumab et le bévacizumab, l’incidence de survenue des anticorps est très faible (moins de 5 %), ils sont très peu neutralisants et n’ont pas d’impact sur leur efficacité thérapeutique.
Interchangeabilité : impact sur l’efficacité et les effets indésirables
Une fois mis sur le marché, la question de l’interchangeabilité pour un patient donné entre biosimilaire et princeps correspondant s’est rapidement posée. Si une primo-prescription ne pose aucun problème, le remplacement du princeps par le biosimilaire a initialement suscité des craintes de différences d’efficacité et de tolérance chez un patients donné.
Le résumé des caractéristiques du produit (RCP) des médicaments biosimilaires ne mentionne aucune recommandation concernant l’interchangeabilité du biosimilaire versus le princeps chez un patient donné. Paradoxalement, l’EMA qui a développé le concept de biosimilaire, ne s’est jamais positionnée sur la possibilité ou non d’interchangeabilité individuelle, laissant le soin aux autorités nationales, d’en décider les modalités.
La FDA qui a accepté plus tard que l’EMA le principe de biosimilaire, a conçu une possibilité réglementaire pour permettre l’affichage de l’interchangeabilité mais qui impose la réalisation d’études d’équivalences cliniques comportant plusieurs séquences d’administrations successives « princeps–biosimilaire », ce que n’a réalisé aucun laboratoire à ce jour, compte tenu du caractère irréaliste et non éthique de cette condition.
Initialement les textes de la LFSS 2016 ne permettaient pas l’interchangeabilité entre princeps et biosimilaires. Le texte de 2017 a modifié cette disposition en ne l’interdisant plus et en la conditionnant à la traçabilité des administrations et à l’information du patient (sous-entendu son accord explicite). Ces errements réglementaires ont constitué initialement un frein au déploiement des biosimilaires. Ce n’est qu’après la levée réglementaire de l’interdiction de l’interchangeabilité en 2017 que l’essor des biosimilaires a pu se réaliser notamment en milieu hospitalier puis en ville. Ces médicaments sont en effet soit réservés à l’hôpital (réserve hospitalière notamment pour les biosimilaires administrés par voie intraveineuse) soit soumis à prescription hospitalière initiale.
La primo-prescription d’un biosimilaire mais surtout l’interchangeabilité princeps–biosimilaire nécessite ainsi l’information des patients pour obtenir leur adhésion au traitement. Les réticences initiales, tant de la part du personnel médical que des patients, se sont progressivement estompées avec l’acquisition des résultats des différentes études d’interchangeabilité réalisées à grande échelle avec différents biosimilaires.
Plusieurs études cliniques [7], [8], [9], [10] ont ainsi été réalisées après la mise sur le marché des biosimilaires, notamment avec l’infliximab dans ses différentes indications thérapeutiques. Aucun impact clinique significatif de l’interchangeabilité n’a pu être mis en évidence.
Cependant, si cette interchangeabilité princeps–biosimilaire ne s’accompagne finalement d’aucun inconvénient majeur, l’interchangeabilité entre deux biosimilaires n’a pas été étudiée. Il faut donc à ce stade des connaissances, limiter autant que faire se peut l’interchangeabilité à celle d’un biosimilaire avec son princeps en attendant confirmation de la sécurité de l’interchangeabilité entre différents biosimilaires.
Aspects réglementaires : Conditions des AMM de biosimilaires/Répertoire de l’ANSM
Les AMM des médicaments biosimilaires sont donc des AMM européennes centralisées délivrées par la commission européenne sur avis scientifique du CHMP de l’agence européenne du médicament (EMA). À l’instar du répertoire des groupes de médicaments génériques, l’ANSM a institué en France une liste de référence des groupes biologiques similaires [11]. Cependant, compte tenu de la situation réglementaire suite aux différentes éditions très confuses de la LFSS (2016 puis 2017), la substitution des biosimilaires par les pharmaciens n’est pas autorisée en France, de par l’absence de publication du décret devant s’y rapporter. Le répertoire des biosimilaires ne fait donc qu’attester des AMM de biosimilaires disponibles en France. Ainsi lors d’une primo-prescription de médicament biologique princeps, le pharmacien ne peut pas procéder à une substitution. Seul le médecin peut modifier sa prescription en indiquant le nom du médicament biosimilaire spécifiquement prescrit. La prescription des médicaments biologiques doit d’ailleurs d’une manière générale comporter non seulement la dénomination commune internationale (la DCI) mais également le nom de spécialité.
Intérêt médicoéconomique des biosimilaires
L’intérêt thérapeutique du biosimilaire par rapport à celui de son princeps biologique est aussi inexistant que l’apport du générique par rapport à son princeps obtenu par synthèse chimique.
L’intérêt des biosimilaires comme celui des génériques est double : d’une part, ils permettent la diversification des fournisseurs ce qui réduit les risques de ruptures d’approvisionnement et, d’autre part, et surtout il est économique et permet d’obtenir une baisse des prix de ces médicaments particulièrement coûteux, conséquence de la mise en concurrence entre princeps et biosimilaires en particulier à l’hôpital. L’impact médicoéconomique a ainsi été majeur, notamment pour les hôpitaux, avec l’arrivée des biosimilaires des anticorps monoclonaux particulièrement coûteux.
En France, les médicaments coûteux peuvent être inscrits soit sur la liste des médicaments remboursés hors T2A pour les médicaments délivrés à l’Hôpital (médicaments de la liste en sus de la T2A), soit sur la liste des médicaments d’exception pour les médicaments délivrés en ville. Seules certaines des indications de ces médicaments sont prises en charge par l’assurance maladie (cf. fichier de la DGHOS [Direction générale de l’hospitalisation et de l’offre de soins] pour la prise en charge hospitalière et la fiche thérapeutique publiée au JO pour chaque médicament d’exception). Sont ainsi notamment inscrits sur la liste des médicaments d’exception les erythropoiétines (EPO) et les facteurs de croissance de la lignée blanche (GCSF).
La doctrine du Comité économique des produits de santé (le CEPS) qui fixe les prix des médicaments remboursables et donc des biosimilaires et de leurs princeps a évolué : Avant 2018, lors de l’arrivée d’un biosimilaire, le prix hospitalier du princeps était réduit de 10 %. Depuis 2018, cette baisse est de 30 %. Le remboursement est établi sur un même « tarif de responsabilité » entre princeps et biosimilaire avec une révision de ces tarifs en fonction de l’évolution des prix pratiqués. En ville, la réduction du prix des princeps est de 20 % lors de l’arrivée du biosimilaire correspondant. Elle est de 40 % pour les biosimilaires eux-mêmes avec révision à 18 et 24 mois des tarifs. À noter que la réduction du prix des génériques par rapport à leur princeps est plus importante avec lors de l’arrivée d’un générique, une baisse initiale de 60 % du prix du générique par rapport au princeps et une baisse simultanée du prix du princeps de 20 %. Cette baisse moins importante du prix des biosimilaires par comparaison à celle opérée pour les génériques découle du coût de fabrication des produits biologiques beaucoup plus important que pour celui des substances obtenues par synthèse chimique. Une baisse trop importante du prix des biosimilaires serait incompatible avec la pérennité de production des médicaments biosimilaires par l’industrie pharmaceutique.
Selon les données du Gemme 2020 (GEMME. Dossier de presse, 28 janvier 2020, GERS), le coût en France des médicaments biologiques a représenté en 2019 environ 7 milliards d’euros pris en charge par l’Assurance maladie dont 777 millions d’euros pour les médicaments biosimilaires commercialisés (471 millions à l’hôpital et 306 millions d’euros en ville). Compte tenu de la réduction des prix des médicaments biosimilaires par rapport à leurs princeps selon les règles ci-dessus du CEPS, l’économie pour l’assurance maladie a donc été en 2019 de l’ordre de 300 millions d’euros. Ni le CEPS ni l’assurance maladie n’ont cependant publié de données chiffrées précises sur l’économie induite par l’introduction des biosimilaires en France ces dernières années.
Pour les médicaments utilisés en milieu hospitalier, les réductions de prix obtenues par les hôpitaux découlent des mises en concurrence avec les princeps correspondants. Des réductions de 30 % à plus de 50 % ont ainsi été obtenues par les hôpitaux avec les biosimilaires d’infliximab par rapport au princeps Remicade, avec les biosimilaires du rituximab (Mabthera) et ceux du trastuzumab (Herceptin).
Pour l’adalimumab, la réduction des prix hospitaliers des princeps et des biosimilaires s’est opérée d’emblée de la part des industriels pour conserver l’impact de la prescription hospitalière sur le marché de ville. La réduction observée des prix hospitaliers pour les biosimilaires et le princeps d’adalimumab est ainsi de 99 % à l’Assistance publique des Hôpitaux de Paris.
Pour les médicaments inscrits sur la liste en sus (hors T2A), l’hôpital garde 50 % de la différence de prix entre le prix affiché par le CEPS et le prix d’achat réel. Cette différence est appelée l’EMI (écart médicament indemnisable). Cependant, au fur et à mesure de la réduction des prix d’achats par les hôpitaux des princeps et de leurs biosimilaires suite aux mises en concurrence, le CEPS réduit leurs tarifs de remboursement ce qui réduit le gain hospitalier par l’EMI.
Pour les médicaments prescrits à l’hôpital mais principalement utilisés en ville (c’est le cas pour l’étanercept, l’insuline glargine et surtout l’adalimumab), le sujet devient particulièrement délicat compte tenu de la dynamique qui peut s’avérer « contradictoire » entre prix hospitaliers et prix de ville. En effet, la mise en concurrence des médicaments hospitaliers aboutit à n’en retenir qu’un seul, mais l’impact pour les prescriptions hospitalières exécutées en ville (PHEV) en sortie d’hospitalisation peut s’avérer inverse si le produit le plus cher en ville est celui retenu pour l’hôpital suite à la mise en concurrence pour le marché hospitalier.
Comme relevé dans une dernière publication de la DRESS [12], la prescription hospitalière des médicaments biosimilaires a un impact majeur sur la diffusion en ville de leurs prescriptions dans la mesure où ils sont soumis à une prescription hospitalière initiale. Les modalités d’admission et donc de prescription hospitalière des médicaments biosimilaires ont donc un impact direct sur la poursuite de leurs prescriptions en ville. Pour cette raison, l’assurance maladie et le ministère de la santé ont mis en place en 2019 des procédures d’intéressement financier hospitalier (article 51) à la prescription de sortie d’hospitalisation de certains médicaments biosimilaires comme l’étanercept, l’insuline glargine et surtout l’adalimumab. Les résultats de cette expérimentation seront observés avec attention pour en tirer les conclusions pour l’extension de l’application du principe d’intéressement des hôpitaux à la réduction du coût des prescriptions hospitalières effectuées en ville (PHEV).
Conclusion
En conclusion, le développement des médicaments biosimilaires, en tant qu’analogues des génériques pour les médicaments biologiques a nécessité l’établissement de règles spécifiques pour leur développement. Leur essor en particulier dans le domaine des anticorps monoclonaux a permis d’obtenir une réduction des coûts de ces traitements en France de l’ordre de plusieurs centaines de millions d’euros et assure une diversification de leurs sources de production. Le maintien du bénéfice ainsi obtenu suppose à l’avenir la pérennité de leur modèle économique et industriel qui dépendra d’un équilibre subtil entre les niveaux de coûts de production, les niveaux de prix et les parts de marché.
Déclaration de liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Footnotes
Étant donné le contexte sanitaire épidémique lié au Covid-19 du printemps–été 2020, la présentation orale de cette communication en séance à l’Académie a été reportée.
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