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. 2020 Aug 20;179(2):123–127. [Article in French] doi: 10.1016/j.amp.2020.08.005

Les urgences psychiatriques pendant l’état d’urgence sanitaire

A sharp drop in psychiatric emergency admissions during lockdown

Lise Flevaud 1,, Alexandra Pham 1, Raphaël Gourevitch 1
PMCID: PMC7440226  PMID: 32843772

Abstract

Depuis le 17 mars 2020, date du début du confinement en France, une baisse brutale de la fréquentation des urgences psychiatriques est observée, malgré une augmentation du stress directement liée à la crise sanitaire. Dans une première partie, nous évoquerons la réorganisation et l’adaptation des services psychiatriques en réponse aux conséquences psychiatriques attendues de la crise. Dans une deuxième partie, nous présenterons une brève analyse du flux des patients au CPOA pendant le confinement, ainsi que les différentes hypothèses pouvant expliquer cette baisse d’activité. Et enfin, dans une troisième et dernière partie, nous présenterons trois cas cliniques durant cette période.

Mots clés: Confinement, COVID-19, Crise sanitaire, Pandémie, Troubles psychiatriques, Urgences psychiatriques

1. Pandémie COVID-19 et psychiatrie

1.1. Conséquences psychiatriques attendues de la pandémie COVID-19

Dans le contexte de confinement et donc d’isolement social, lui-même facteur de risque de troubles mentaux [2], nous nous attendions à une forte recrudescence de détresse psychique chez de nouveaux patients ou bien chez des patients déjà connus pour qui l’accès au suivi habituel serait réduit ou interrompu pour cause de fermeture des hôpitaux de jour ou des centres médicaux psychologiques (CMP).

L’ensemble des services psychiatriques s’était préparé à répondre à cette vague, pouvant s’expliquer par le stress directement lié avec l’état de crise sanitaire, l’interruption brutale du rythme de vie habituel, l’arrêt du travail, des conditions de vie parfois très difficiles pendant le confinement. Les services psychiatriques se sont donc réorganisés et adaptés en des temps records : mise en place de quatre unités COVID en psychiatrie, accueillant des patients stables sur le plan somatique et testés positifs au test PCR. Deux unités COVID en neurologie et réanimation ont également été créées. Tous les patients hospitalisés sur le GHU étaient systématiquement dépistés. Des dispositions matérielles exceptionnelles ont été mises en place : blouses jetables, masques (soignants, patients et accompagnants), solution hydro-alcoolique, plexiglas à l’accueil et salle d’attente reconfigurée. Le recours au télétravail a été mis en place dès que possible. La sectorisation des patients a pu s’effectuer, dans la plupart des cas, par téléphone. Nous avons préconisé des consultations de post-urgence téléphoniques plutôt que présentielles dès que possible, et un renforcement de l’activité téléphonique a été nécessaire. Nous avons reçu des propositions spontanées de collègues pour venir aider et soutenir notre activité dans ce contexte d’urgence sanitaire.

1.2. Adaptation des services face à la crise sanitaire

Pour faire face à la hausse des appels téléphoniques, la plateforme téléphonique « Psy IDF » est un des exemples d’adaptation de notre service pendant cette crise. Elle est mise en place en quelques jours par le Groupe Hospitalier Universitaire Paris et neuroscience (GHU) et l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP–HP), à la demande de l’Agence régionale de Santé (ARS). Ce numéro vert (01 48 00 48 00), disponible de 13 heures à 21 heures, sept jours sur sept, était initialement destiné à l’entourage, mais très vite investi par des personnes appelant pour elles-mêmes. Une première ligne de réponse comportant une évaluation et une orientation est réalisée par les infirmiers sous supervision médicale, avec possibilité d’avoir recours à une deuxième ligne d’écoute et de soutien psychologique, réalisée par des psychologues. Elle a pour but de guider et favoriser l’accès aux soins, par un dispositif original et innovant. Nous discutons, à ce jour, de sa pérennisation au sein de notre service.

2. Analyse du flux des patients aux urgences psychiatriques

2.1. Au Centre Psychiatrique d’Orientation et d’Accueil (CPOA)

Au CPOA, plus gros service d’urgence psychiatrique, en France, qui compte près de 10 000 passages par an, les résultats ci-dessous montrent une surprenante baisse de 60 % du nombre de consultations psychiatriques d’urgence, pendant le confinement, par rapport à la même période en 2019 [8]. D’autres centres d’urgences psychiatriques français ont constaté le même phénomène [4], [9] (Fig. 1 ).

Fig. 1.

Fig. 1

Flux des patients au CPOA du 17 mars au 10 mai 2020.

Les principales hypothèses de cette constatation sont :

  • la crainte d’être contaminé[1];

  • la peur de déranger les soignants, dont l’image de « héros épuisés », par la charge de travail, est quotidiennement entretenue par les médias ;

  • la crainte d’une amende ou d’une verbalisation pour non-respect du confinement lors d’un déplacement, malgré l’autorisation qui le permet ;

  • une baisse importante des adressages de la part des SAU, des médecins libéraux, des associations, qui eux-mêmes sont fermés ou bien moins fréquentés [8] ;

  • on peut également évoquer une baisse des adressages via la police et les pompiers, car il y a moins de troubles du comportement sur la voie publique du fait du confinement [8] ;

  • il se pourrait qu’un bon nombre de personnes aient une appréciation positive de cette crise, faisant ainsi preuve de résilience [7]. Cette augmentation des capacités de résilience, que l’on constate en période de catastrophe mondiale, s’envisage à l’échelle à la fois individuelle et collective. Cela a pu être observé, par exemple, à New York, après l’attaque terroriste du 11 septembre, où la flambée attendue des présentations psychiatriques, y compris les symptômes et/ou troubles de stress post-traumatique, n’a pas émergé.

2.2. À l’échelle internationale

Ce phénomène est constaté dans d’autres centres d’urgences psychiatriques, notamment à l’hôpital de Yale-New-Haven (YNHH), dans le Connecticut aux États-Unis, avec une baisse de 30 % de la fréquentation [5] et, en Allemagne, dans la ville de Mannheim avec une baisse de 26 % [6].

2.3. Zoom sur le premier mois de confinement : comparaison entre 2019 et 2020

Nous avons comparé l’état des urgences pendant les quatre premières semaines du confinement avec la même période en 2019. Les caractéristiques des patients, entre l’année 2019 et l’année 2020, n’étaient pas significativement différentes, sauf pour la proportion de patients, âgés de 16 à 25 ans, qui était plus faible en 2020 (21,7 % en 2020, contre 27,5 % en 2019, valeur p  = 0,012) [9].

Il ressort que les patients venaient plus souvent de chez eux, et que l’adressage, via des structures hospitalières, était moins fréquent qu’en 2019. Il y avait moins de premier contact avec la psychiatrie qu’à la même période en 2019 (Fig. 2 ).

Fig. 2.

Fig. 2

Provenance des patients pendant les périodes du 19 mars au 15 avril 2019 et du 17 mars au 13 avril 2020, soit les quatre premières semaines de confinement.

Habituellement, nous avons un flux important d’adolescents ou de jeunes adultes qui ont quasiment disparu pendant cette période.

On observe moins d’hospitalisations en soins libres qu’à cette même période en 2019. À l’inverse, on note une augmentation des hospitalisations sous contrainte (Fig. 3 ).

Fig. 3.

Fig. 3

Antécédents et orientations des patients pendant les périodes du 19 mars au 15 avril 2019 et du 17 mars au 13 avril 2020, soit les quatre premières semaines de confinement.

Et enfin, concernant la nature des troubles, les troubles anxieux étaient moins fréquents en 2020 qu’en 2019, tandis que le pourcentage de patients consultant pour des troubles psychotiques était plus élevé [9] (Fig. 4 ).

Fig. 4.

Fig. 4

Hypothèses diagnostiques des patients pendant les périodes du 19 mars au 15 avril 2019 et du 17 mars au 13 avril 2020, soit les quatre premières semaines de confinement.

3. Vignettes cliniques

3.1. M. X : 32 ans

Ce patient consulte au CPOA accompagné de sa mère pour majoration de ses TOC et fléchissement thymique. C’est un patient souffrant de TOC, depuis l’adolescence, qui a bénéficié d’un suivi CMP, il y a quelques années, avec thérapie cognitivo-comportementale et escitalopram. Depuis plusieurs années, il fonctionnait bien, vivant seul et travaillant en tant que chef de rang dans un grand restaurant. À l’annonce du confinement, il est mis en chômage partiel et part se confiner en province avec ses parents. De là se majorent des pensées obsédantes de contamination et de comptage à l’origine de compulsions. Il se met à se laver les mains plus d’une vingtaine de fois par jour, avec méthode et rigueur, au point de compter le nombre de frottement et d’obtenir une texture bien particulière de la mousse sinon il n’est pas apaisé et doit recommencer. Il sollicite en permanence ses parents, en demande de réassurance, leur montrant ses mains dix fois par jour, pour qu’ils valident et confirment leur propreté, jusqu’à les réveiller la nuit. Lors de l’entretien, ses mains sont très rouges et cireuses, témoignant d’un lavage trop intensif. Il est très angoissé, se tient les mains, évitant de toucher à tout objet, refuse d’ouvrir la porte. Il présente une tristesse de l’humeur avec des idées suicidaires, sans intentionnalité de passage à l’acte mais un fort sentiment de culpabilité et un épuisement psychique général.

« J’ai envie de me suicider pour plus que mes parents subissent ça. »

« Mais je ne le ferai pas car j’aime mes parents. »

« J’ai peur que les gens me touchent, j’ai peur d’avoir le virus sur les mains. »

Le patient est très peu accessible à la réassurance. La mère est épuisée et démunie face à la situation, elle a contacté le CPOA au préalable.

« Je veux un endroit où je me sens bien avec plein de médecins qui me disent que mes mains sont propres. »

Nous majorons l’antidépresseur qui avait été prescrit par un médecin généraliste consulté en urgence dans la région où il se trouvait confiné. Puis, nous l’orientons vers un psychiatre pour reprendre le suivi.

3.2. Mme Y : 31 ans

Patiente accompagnée au CPOA par deux amis pour agitation et désorganisation comportementale. Femme sans antécédent psychiatrique jusqu’ici, architecte d’intérieur, décrite comme brillante, avec une vie professionnelle très active et un bon entourage amical. Quelques jours après le début du confinement, elle présente une rupture brutale avec l’état antérieur avec une symptomatologie comportementale bruyante et des propos délirants.

Convaincue que le confinement est une manière de l’enfermer, dit être en contact avec le Premier ministre, et demande à parler au Pr Raoult. L’entourage rapporte une grande labilité de l’humeur, une familiarité, une désinhibition ainsi que des conduites à risque et hétéro-agressive : aurait jeté des objets, dont sa box internet et sa vaisselle, sur ses voisins par la fenêtre.

Au CPOA, nous constatons une grande agitation sous-tendue par une accélération psychomotrice, et une désorganisation psychique et comportementale. Une grande irritabilité et des propos délirants de persécution.

« Le confinement est une mesure liberticide et malfaisante à mon égard. »

« On me dit chut, ne dis rien, on m’enferme, personne ne demande de mes nouvelles, je peux mourir toute seule, donc les chiens ont le droit de faire caca et moi je peux pas sortir. »

Les membres de la famille qui vivent en Tunisie sont contactés et nous transmettent leurs inquiétudes devant ce changement brutal de comportement. Ils sont favorables à une hospitalisation sous contrainte.

Le bilan d’exploration étiologique est normal, nous l’hospitalisons en SPDT sur son secteur.

3.3. Mme Z : 34 ans – CFSP (consultation famille sans patient)

Son mari vient nous signaler cette dame lors d’une consultation famille sans patient. Il est inquiet pour elle, car elle présente un surinvestissement professionnel inhabituel, de l’agressivité et des troubles du sommeil. Directrice d’EHPAD et mère de trois enfants en bas âge, elle a pour antécédent un épisode dépressif unique, il y a un an, résolu spontanément en trois mois.

Peu avant le confinement, il rapporte un franc investissement pour son activité professionnelle. Depuis le confinement, il décrit une rupture nette avec l’état antérieur : « Je ne reconnais plus ma femme ; elle a perdu la tête. »

Il rapporte également de l’hostilité à l’égard des proches, une agressivité envers lui, comme le témoigne une vidéo qu’il nous montre où elle le menace avec un couteau et où l’on entend les enfants qui crient à côté. Il rapporte également des crises clastiques ayant nécessité l’intervention de la police qui a conduit Madame en garde à vue classée sans suite, et un désinvestissement de ses responsabilités familiales. Il nous décrit aussi une diminution inhabituelle du temps de sommeil (< 4 h/nuit), et des dépenses financières estimées à 14 000 euros au cours du mois dernier. Actuellement, Madame serait partie vivre dans un appartement prêté par son employeur et ne reviendrait que ponctuellement ou dormirait dans sa voiture. La famille est très inquiète et favorable à une hospitalisation sous contrainte dans le secteur.

Nous donnons des conseils pour favoriser l’hospitalisation tels que l’appel des pompiers ou de la police. Nous signalons la situation également au SAMU 92, 75, au secteur de la patiente et à l’intersecteur des enfants.

4. Conclusion

Malgré l’anticipation du stress, induit par le confinement, augmentant le risque de rechutes psychiatriques, le nombre de patients consultant aux urgences psychiatriques a nettement diminué pendant le confinement et cela à l’échelle internationale. La file active des patients consultant au CPOA pendant cette période a changé. Les troubles anxieux étaient moins fréquents, laissant place à des épisodes psychotiques bruyants nécessitant des soins sous contrainte. Toute notre équipe du CPOA, ainsi que les services publics de santé mentale français, ont dû s’adapter en temps opportun aux évolutions de l’utilisation des soins de santé mentale [3], consécutives à la pandémie COVID-19 et au confinement, notamment avec le développement de la télémédecine, comme l’a illustré l’exemple de la plateforme téléphonique « Psy IDF ». Le COVID-19 a eu un impact sur l’utilisation des services psychiatriques et continuera d’en avoir. La discipline a su s’adapter et répondre aux besoins de la population. Il semble important de se pencher dès maintenant sur l’après-confinement, qui a déjà montré de fortes répercussions psychiatriques avec un retour à la normale du flux de patients au CPOA en moins de dix jours, et des motifs de consultations qui ne sont pas chiffrés à ce jour mais très souvent en lien avec la crise sanitaire. Sommes-nous en train de vivre la « vague psychiatrique » de la pandémie COVID-19 ?

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références

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