Abstract
À l’instar d’autres pandémies, celle de Covid-19 a eu un retentissement psychique important dans l’ensemble de la population. Néanmoins, cet impact s’est avéré encore plus aigu chez les personnels soignants, en lien avec l’exposition répétée au risque infectieux, la réorganisation des soins et leur positionnement spécifique. Les pharmaciens d’officine, qui ont assuré la continuité des soins dans un climat de télétravail généralisé, n’ont pas été épargnés. Des symptômes psychotraumatiques, anxieux et de dépression ont été observés.
Mots clés: anxiété, dépression, Covid-19, pharmacien, soignant, trouble de stress post-traumatique
Abstract
Like other pandemics, those of COVID-19 had a significant psychological impact on the general population. Nevertheless, this impact was even more acute among healthcare staff, in connection with repeated exposure to the risk of infection, the reorganization of healthcare and their specific positioning. Dispensary pharmacists, who ensured continuity of healthcare in a climate of widespread teleworking, were not spared. Psychotraumatic, anxiety and depressive symptoms were observed.
Keywords: anxiety, caregiver, COVID-19, depression, pharmacist, post-traumatic stress disorder
La Covid-19 est une maladie infectieuse d’origine virale, due au severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 (Sars-CoV-2). Elle se manifeste le plus souvent par des symptômes grippaux bénins, mais des variantes graves, prenant la forme d’une détresse respiratoire, ne sont pas rares chez les individus présentant des facteurs de risque [1].
Lors des dernières décennies, les épidémies à severe acute respiratory syndrome – Sras en 2003 (due au Sars-CoV-1), H1N1 en 2009 (virus Influenza A) et Ebola en 2013 en Afrique de l’Ouest (Zebov, espèce Zaïre du virus) – ont illustré le fait que les phénomènes infectieux de grande ampleur pouvaient avoir un impact sur la santé mentale des soignants qui avaient pris en charge des patients contaminés [2], [3], [4]. Si la Covid-19 se rapproche de ces exemples par certaines caractéristiques, elle est cependant singulière : d’une part, bien que moins agressive qu’Ebola, elle présente des taux de morbidité sévère et de mortalité non négligeables ; d’autre part, sa contagiosité s’avère élevée. Ainsi, après avoir débuté en décembre 2019 dans la province de Wuhan, en Chine, sa rapide progression a conduit l’Organisation mondiale de la santé à déclarer l’état de pandémie dès le 11 mars 2020. Ces facteurs, combinés à l’absence de traitement spécifique disponible, ont poussé le gouvernement français à imposer un confinement strict et généralisé de la population pour freiner la propagation du coronavirus du mardi 17 mars au lundi 11 mai 2020.
Cette situation de crise a eu un retentissement psychique chez nombre de personnels soignants.
Facteurs structuraux du retentissement psychique
La prise en charge de la pandémie a conduit à une réorganisation importante des outils de soins ambulatoires et hospitaliers, comme en ont attesté notamment les efforts pour augmenter le nombre de lits de soins intensifs disponibles. Les soignants ont été soumis à la double contrainte d’un afflux massif de patients à traiter et de la réalisation en temps réel de cette adaptation de l’offre de soins.
L’exposition à la Covid-19 et la peur d’être contaminés ont influencé l’état psychique des soignants de façon variable :
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en fonction du type de service : l’anxiété était plus élevée en soins intensifs et dans les secteurs n’accueillant que des patients Covid+, d’autant plus que les moyens de protection mis à disposition sont restés longtemps cruellement insuffisants ;
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en fonction de la profession : dans les études, les infirmiers semblaient plus impactés que les médecins, ce qui paraît en lien avec le fait que ces derniers sont moins longtemps exposés à un contact proche avec les patients [5]. De plus, les soignants dits de première ligne ont été soumis à la répétition d’une exposition au risque, ce qui explique un vécu d’épuisement, d’autant plus critique que l’hôpital public vit une crise systémique du fait d’une baisse des moyens matériels et humains, générant la perception d’un manque de considération de cette problématique par les pouvoirs publics.
Au cœur de la réanimation, témoignage d’un infirmier
Cette “vague” de Covid-19, je n’y croyais pas vraiment au début. Elle a toutefois fini par déferler au sein du service où j’exerce, une réanimation médicale lyonnaise. Habitué des syndromes de détresse respiratoire aiguë, dont j’apprécie plutôt la prise en charge, j’ai pourtant fini par être épuisé.Centre de référence en maladies et sevrages respiratoires, nous avons reçu les premiers cas de la région. Au départ, personne ne voulait vraiment s’occuper des personnes contaminées par le Sars-CoV-2. La répartition des postes se faisait plutôt en faveur de l’aile “saine”. Mais, petit à petit, le service s’est rempli, pour finalement être entièrement dédié à la Covid-19 avant que, devant l’augmentation exponentielle des cas, l’ouverture des autres services de réanimation lyonnais s’impose.Ce qui m’a le plus touché, évidemment, c’est l’affluence de patients parfois jeunes, les nombreux décès de sujets intubés, la dégradation rapide de certains d’entre eux, mais aussi le fait qu’ils ne puissent pas recevoir de visites. Nous organisions régulièrement des échanges par visioconférence avec les proches, mais cela n’a pas pu remplacer les rencontres physiques, et l’accompagnement personnalisé de la détresse qu’était celle des familles. Certaines images, violentes, resteront dans ma mémoire, comme le souvenir des corps de patients décédés que nous mettions rapidement dans des housses, sans qu’ils aient été accompagnés par leur compagne ou compagnon, enfants ou amis.Au-delà de cet aspect humain et relationnel, la réorganisation précipitée exigée par les circonstances a représenté un véritable défi pour chacun des professionnels du service. Nous devions faire aussi bien qu’à l’habitude, avec plus de demandes et moins de moyens : moins de dispositifs médicaux, moins de médicaments, moins de personnel spécialisé. Nous nous retrouvions à ventiler au long cours des patients avec des respirateurs de transport, sédations nos malades au strict minimum et devions parfois mélanger midazolam et morphine dans une même seringue afin d’économiser nos ressources, car nous recevions de nombreuses alertes sur les stocks et les probables pénuries à venir de médicaments. Ces pénuries, quand elles ont été d’actualité, nous ont d’ailleurs obligés à modifier des posologies et des molécules, ce qui était source d’éventuelles erreurs médicamenteuses et donc de stress supplémentaire.Il a fallu aussi former à la hâte de nouveaux collègues, venus en renfort des urgences ou de services conventionnels, parfois même réquisitionnés dans des cliniques, peu aguerris au savoir-faire d’une réanimation : les respirateurs, les sédations, les supports vasoactifs, les soins aux intubés, les surveillances particulières et les gestes spécialisés, comme la ventilation en décubitus ventral. À l’origine d’une grosse étude nommée Proseva (Proning Severe Acute respiratory distress syndrome Patients) sur les effets du décubitus ventral, nous sommes habitués à le mettre en œuvre. Toutefois, il était assez impressionnant de voir autant de malades en bénéficier. Je me souviendrai toujours d’une prise de service où, rejoignant mes collègues de nuit, je suis passé devant les chambres où la majorité des patients étaient placés sur le ventre, équipés de circulation extracorporelle dans les cas les plus graves.Cette crise sanitaire a été difficile à vivre, parfois dramatique, et a véritablement changé ma vision de la médecine. Auparavant, je disais parfois aimer les patients de réanimation intubés et sédatés : pas de sonnettes, pas d’exigences. Mais traiter des corps inertes à longueur de journée pendant plusieurs semaines s’est révélé éprouvant. Quel plaisir de s’occuper de patients qui s’en sortent, de recevoir des vidéos d’eux une fois qu’ils ont repris le travail ! Quoi qu’il en soit, cette période a été extrêmement formatrice, dans sa soudaineté et dans son intensité. De mon point de vue, les équipes en sont sorties plus fortes et plus soudées que jamais.Baptiste MiceliInfirmier de réanimation, Hôpitaux civils de Lyon (69)
L’afflux massif de patients a malmené les hôpitaux dans des proportions variables, même s’ils l’avaient anticipé. Lorsque la demande de soins dépassait l’offre, les soignants ont été confrontés à plusieurs facteurs de détresse : le stress lié à la recherche de ressources disponibles lorsqu’elles devenaient rares, voire le questionnement éthique associé au fait de devoir choisir les patients en fonction de l’ordre d’arrivée ou du pronostic vital. La confrontation répétée à cette situation a engendré un vécu d’impuissance et la perte perçue de la capacité à être soignant [6].
Si le travail de soignant et la mise à l’épreuve du système de soins comportent des facteurs intrinsèques favorisant l’émergence d’une tension psychique, la situation sanitaire inédite liée à la Covid-19 est venue bouleverser l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Le risque potentiel de contamination de leur famille a pu, en outre, créer un conflit, chez les professionnels de santé, entre devoir soignant et sécurité pour soi et ses proches [7]. Ce mal-être a été accru par la majoration du temps de travail et la modification répétée des plannings perturbant l’équilibre familial, tandis que le confinement constituait une période critique : moins de temps consacré aux enfants et à l’aide au travail scolaire alors que les écoles avaient fermé (même si certaines se sont adaptées pour accueillir les enfants de ces personnels).
Place particulière des pharmaciens d’officine
Bien que peu reconnus dans les médias et relativement peu pris en compte dans la littérature scientifique, les pharmaciens d’officine ont fait partie des soignants de première ligne dans la lutte contre la pandémie [8].
La réorganisation du temps de travail des officines a été variable selon le type de patientèle mais, en général, importante. Durant le confinement, la téléconsultation médicale a connu un développement fulgurant, qui a été favorisé par la possibilité assouplie de délivrance des traitements en pharmacie. Le travail de pharmacien d’officine est duel, entre le soin et le commerce de proximité, il constitue donc une activité présentielle. De ce fait, au plus fort de la crise sanitaire, les officinaux ont été des acteurs indispensables de la continuité des soins dans la population générale, et ils se sont trouvés au premier plan dans la délivrance d’informations et la lutte contre les infox [9].
Plusieurs facteurs de stress inédits ont caractérisé l’activité officinale pendant le pic de la circulation virale :
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confrontation au stress de la population générale, impactée par la pandémie et le confinement ;
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exposition répétée à l’incapacité de délivrance du fait d’une augmentation exponentielle de la demande de certains produits (masques chirurgicaux, gel hydroalcoolique) ;
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suppléance partielle du suivi médical liée au risque de perdre de vue les patients pendant le confinement, malgré l’émergence de la téléconsultation, alors même que les fonctions avancées de pharmacien d’officine ne sont pas encore organisées et généralisées en France [10].
Risques chez les soignants exposés au coronavirus
Le trouble de stress post-traumatique fait partie des conséquences éventuelles de l’impact de la pandémie de Covid-19 chez les soignants placés en première ligne durant la crise sanitaire. Ses signes pathognomoniques sont les symptômes de répétition, c’est-à-dire la reviviscence de scènes en lien avec un événement traumatique sous forme de flashs visuels diurnes, de cauchemars ou de ruminations envahissantes. Bien que l’exposition à la Covid (soignant confronté à des patients ou à des proches contaminés, ou contaminé lui-même) ne réponde pas stricto sensu à la définition de l’événement à potentiel traumatique, l’apparition de symptômes psychotraumatiques chez des professionnels de santé dans le cadre de la pandémie est renseignée dans une cohorte de grande ampleur [5].
La survenue d’épisodes dépressifs caractérisés, les symptômes anxieux, l’altération de la qualité du sommeil, la majoration de la consommation d’alcool, voire de son mésusage, font partie des autres risques de souffrance psychique retrouvés chez les soignants [5], [6], [7], [8], [9], [10], [11].
Conclusion
La pandémie de Covid-19 présente des caractéristiques cliniques et de contagiosité qui ont conduit à des mesures sanitaires exceptionnelles. Elle a provoqué un nombre important de cas avérés, mettant les soignants et le système de soins sous tension. Différents facteurs consécutifs de cette situation ont induit un impact psychique conséquent chez ces personnels, retrouvé de façon robuste dans la littérature scientifique internationale, notamment l’anxiété, le trouble de stress psychotraumatique et la dépression.
Points à retenir.
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L’infection au severe acute respiratory syndrome coronavirus 2, caractérisée par une grande contagiosité et une forte morbimortalité, a eu un impact psychique conséquent chez les soignants.
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Chez ceux qui étaient placés en première ligne, la surcharge de travail, l’inadéquation appréhendée ou réelle entre la demande de soins et les moyens disponibles, et l’exposition répétée à des patients infectés ont induit une peur d’être contaminés et un épuisement des ressources adaptatives.
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Les pharmaciens, confrontés directement au public et à des incapacités de délivrance (masques, gel hydroalcoolique), ont fait face à des facteurs de stress spécifiques.
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Dans ce contexte, les symptômes d’un trouble de stress post-traumatique, les symptômes non spécifiques d’anxiété et la dépression sont les principales manifestations de souffrance psychique observés chez les soignants.
Les soignants de première ligne ont été soumis à la répétition d’une exposition au risque de Covid-19, ce qui explique un vécu d’épuisement, d’autant plus critique que l’hôpital public connaît une crise systémique.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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