Abstract
En Suisse, comme ailleurs dans le monde, de nombreuses hotlines pour le soutien psychologique à la population ont vu le jour durant la phase aiguë de la pandémie de COVID-19. Les professionnels en charge, généralement des spécialistes de l’aide psychologique d’urgence, étaient aux prises avec une situation inédite, différente des catastrophes pour lesquelles ils se préparent habituellement. La pandémie et les mesures de distanciation menaçant potentiellement la cohésion sociale, ils ont cherché, avec les hotlines, à réintroduire une forme de proximité, en soignant et cultivant le lien. La situation de pression et d’urgence, les inquiétudes des autorités et de la population, ainsi que les attentes politiques et sociétales, ont favorisé le développement de ces structures. Des facteurs, comme le besoin d’être utile et d’occuper une place ou celui d’agir pour maîtriser les mouvements d’angoisse suscités par une situation inconnue et inquiétante, ont certainement aussi joué un rôle chez les professionnels impliqués. Dans l’ensemble cependant, ces hotlines n’ont été que peu sollicitées, et leur utilité peut poser question. Cela renvoie à d’autres domaines où ont pu naître de nombreuses nouvelles offres, pas toujours en adéquation avec les besoins identifiés, alors même que beaucoup de structures existantes étaient parallèlement sous-employées, en particulier dans le domaine sanitaire. Ces constats plaident pour la nécessité d’éviter les réponses dans l’urgence lors de situations de crise et de penser les dispositifs à mettre en place plutôt que de les agir.
Mots clés: COVID-19, Hotlines, Lignes d’appels, Pandémie
Abstract
In Switzerland and elsewhere, many psychological support hotlines were set up during the acute phase of the COVID-19 pandemic. Specialists in psychological first aid, in charge of developing and managing these hotlines, had to face an unknown situation, very different from the disasters for which they prepare themselves. Since the pandemic and the associated physical distancing were a potential threat to social cohesion, one could make the hypothesis that, by setting up hotlines, these professionals sought to reintroduce a form of proximity and to care for and cultivate the social connections among people. The pressure, feelings of emergency, anxious anticipation and expectation of the political authorities and the population may have favoured the development of these structures. Other factors certainly also played a role, such as the need to be useful and to exist as professional, or the need to act in order to reduce anxiety related to the pandemic. Altogether, these hotlines were little used, and their usefulness may be questioned. Similar phenomena have been observed – especially in the sanitary domain – with a multiplication of new offers, not always adjusted to specific identified needs, while health care services were on the same time under-used. Our observations plead against emergency responses in crisis situations and for reflecting on the measures to be put in place rather than to “act” them.
Keywords: COVID-19, Hotlines, Pandemic
1. Introduction
Nous écrivons ces lignes en mai 2020, alors que la plupart des pays occidentaux ont passé le pic du nombre de cas de COVID-19, et sont en phase de déconfinement. Il est maintenant crucial que les mesures adoptées dans l’urgence soient examinées de manière critique. Dans le domaine de la santé mentale, les professionnels impliqués ont dû trouver comment répondre aux difficultés psychiques pouvant émerger dans une situation pareille et les hotlines ont joué un rôle central dans les dispositifs de soutien psychologique qu’ils ont développés. Partant de la situation de la Suisse francophone, cet article se veut une réflexion sur la mise en place de ces hotlines et sur les conditions qui les ont vus naître.
2. Les hotlines de soutien psychologique
Le nombre d’appels aux centres recueillant habituellement les questions de santé de la population a augmenté de manière significative avec l’apparition des premiers cas de coronavirus en Suisse. En se basant sur l’expérience de crises précédentes (catastrophes naturelles, attentats impliquant des citoyens suisses, etc.), les services de santé publique ont d’abord mis sur pied des hotlines santé pour compléter l’offre existante, sans focalisation sur les aspects psychologiques. Cette question n’a été soulevée que quinze jours plus tard au sein des différents organismes de crise. Dans le cadre des dispositifs adoptés [11], la plupart des cantons1 , mais pas tous, ont ouvert des hotlines de soutien psychologique à la population. Ces différences d’approche se retrouvent à l’échelon international.
Comment ces hotlines ont-elles été utilisées ? Les données disponibles en Suisse francophone montrent un taux d’appel d’environ deux par jour et par 100 000 habitants au moment du « lancement » et une baisse progressive les quinze jours suivants, avant une stabilisation entre 0.5 et un appel par jour pour 100 000 habitants. À titre de comparaison, les centres d’appels pour la détresse psychologique de ces régions enregistrent en temps normal un à deux appels par jour pour 100 000 habitants, taux qui a évolué nettement à la baisse durant le premier mois de la pandémie.
On observe donc d’abord que, dans des situations relativement comparables, les réponses apportées ont été différentes. Et que, par ailleurs, alors que les données à disposition montrent un impact important des situations de confinement sur la santé mentale de la population [12], les hotlines n’ont été que faiblement sollicitées. Que peut-on tirer de ces observations ?
3. Une tendance à agir plutôt qu’à attendre
L’installation des hotlines date des premiers jours ayant suivi la décision de confinement de la population suisse, moment où la situation dans le pays et la proximité avec la Lombardie provoquaient une grande agitation. Ce climat, associé aux inquiétudes et attentes importantes de la population, mettait les autorités sanitaires et politiques sous pression, et on peut imaginer chez elles le souci d’éviter des reproches d’inaction. Dans ce contexte, des injonctions à « faire quelque chose pour l’aspect psychologique » sont apparues et les organes de crise se sont tournés vers les professionnels de l’aide psychologique d’urgence, habituellement en charge d’intervenir en cas de catastrophe. Ces derniers, qui oscillaient entre une attitude attentiste (rester à disposition) et proactive (proposer spontanément des actions concrètes), ont dû développer rapidement des concepts de soutien psychologique. Ils ont été « poussés à l’action », un mouvement qui peut avoir été en outre accentué par d’autres facteurs. Le système d’aide psychologique d’urgence étant rarement sollicité pour des événements de grande ampleur en Suisse, il est possible que les professionnels concernés aient été atteints, à différents degrés, d’une forme de syndrome du désert des tartares : la longue attente appelle l’action. Par ailleurs, la transformation des représentations du traumatisme de pathologie individuelle à pathologie sociale (et donc sous responsabilité politique) se traduit, en situation extraordinaire, par des attentes de la population en termes de soutien psychologique. Ne pas fournir de réponse spécifique peut être perçu comme une défaillance des systèmes politiques et engendrer un sentiment d’abandon [9].
Des facteurs plus généraux peuvent aussi avoir joué un rôle. La nouveauté de la situation et l’incertitude scientifique quant à la dangerosité et à la contagiosité du COVID-19 ont mis politique et population dans une situation susceptible de générer de l’angoisse, que l’action permettait de maîtriser et prévenir. Comme d’autres, les intervenants en santé mentale ont en outre pu ressentir le besoin d’être utiles et d’occuper une certaine place. On les a en effet vu répondre massivement aux appels à s’impliquer dans les hotlines, beaucoup proposant leurs services bénévolement, et exprimer une grande satisfaction liée à la possibilité d’intervenir. On peut ainsi se demander si la mise en place de ces hotlines n’a pas répondu aux besoins des responsables politiques et des intervenants plus qu’à ceux de la population. À cet égard, la littérature sur les hotlines laisse voir la forte motivation des personnes engagées [2] et les possibles effets bénéfiques d’un tel engagement [15], mais les données sur les appelants et les bénéfices pour eux sont plus rares [10]. L’intuition clinique de l’utilité du soutien psychologique par téléphone existe dans de nombreux domaines, mais la littérature empirique à ce propos est quasiment inexistante, et les bénéfices directs pour les usagers sont difficiles à démontrer [10].
S’agissant ensuite du choix des hotlines, il ne s’est pas appuyé sur le constat d’une augmentation des demandes à caractères psychologiques aux numéros habituels (comme ça a été le cas pour les hotlines santé), ni sur l’exemple d’autres pays. Les professionnels en charge, spécialistes de l’aide psychologique d’urgence, on l’a vu, se sont plutôt basés sur le contenu de leurs nombreux échanges, avec un possible effet d’entraînement : un canton fixe son choix, suivi rapidement par plusieurs autres. La pandémie représentait en outre pour eux un véritable défi car elle répondait peu aux critères classiques des catastrophes pour lesquelles ils se préparent [5]. De fait, la crise du COVID-19 confronte peu directement à la mort ; son installation a été progressive et prévisible, sa temporalité reste difficile à déterminer, et les mesures sanitaires sont susceptibles de donner un sentiment de contrôle. Dans cette situation inédite, les professionnels impliqués se sont appuyés sur les grands principes de leur champ : valoriser les ressources propres de l’individu, éviter de « psychiatriser » l’aide offerte, intervenir selon des principes d’immédiateté et de proximité [8]. L’intuition des cliniciens et les rares articles, qui circulaient sur les effets psychologiques de la situation [4] et sur la quarantaine [3], prévoyaient d’importantes répercussions psychologiques au sein de la population. De plus, la pandémie et les mesures de distanciation menaçaient potentiellement la cohésion sociale. Le choix d’un soutien téléphonique a visé, en réaction, à introduire une forme de proximité, en soignant et cultivant le lien. Enfin, les hotlines avaient déjà été utilisées en psychologie d’urgence [1] pour favoriser l’accès à du soutien pour les personnes ne pouvant pas se déplacer, ainsi que lors de l’épidémie de SRAS [6].
4. Les hotlines, illustration d’un phénomène plus large
Que peut-on apprendre de tout cela ? Le processus de mise en place des hotlines en Suisse francophone nous semble s’inscrire dans un mouvement plus global, qu’on a pu retrouver dans d’autres domaines lors de cette crise. Des injonctions « top-down » de diverses autorités sous pression rencontrent le besoin d’être utile de certains, et les initiatives d’aide se multiplient : on a ainsi pu voir fleurir pour une même ville des hotlines pour le personnel universitaire, les soignants, les étudiants en médecine, le personnel communal, etc. Au-delà des bénéfices psychiques pour les personnes engagées dans ces initiatives [14], leur utilité réelle pour la population pose question. La faible utilisation des hotlines de soutien psychologique signifie-t-elle que la pandémie a finalement un impact psychologique limité ? Probablement pas, même si des effets « contre-intuitifs » de cette crise peuvent être observés, comme la baisse du taux de suicide au Japon2 . D’autres éléments de réponse nous semblent pouvoir être avancés : la population a privilégié l’appui sur les ressources familiales et amicales ou le réseau psychologique existant ; les hotlines santé ont été en mesure de répondre à la grande majorité des demandes à caractère psychologique ; l’état d’alexithymie secondaire [7] dans lequel se trouvaient certaines personnes a fait taire – provisoirement – leur souffrance psychique.
5. Conclusion
Que ferions-nous si c’était à refaire ? Le temps long de la crise sera probablement riche d’enseignements, mais valoriser l’existant plutôt que de créer une nouvelle offre comme celle des hotlines de soutien psychologique pourrait être une piste. Il s’agirait alors de solliciter en première ligne les hotlines santé et les cabinets de généralistes. Pour les soutenir, les institutions psychiatriques seraient disponibles en deuxième ligne : elles craignaient l’engorgement et un important absentéisme, mais elles ont vu, au final, leur activité diminuer dans la phase aiguë de la pandémie. Enfin, la population – en ciblant les plus vulnérables [13] – devrait être activement informée des offres existantes et des effets psychologiques liés à une pandémie. Ne pas proposer d’emblée de nouveaux dispositifs et se rappeler l’urgence d’attendre n’est pas la position la plus facile à tenir en situation de crise, mais cela permet de penser les dispositifs plutôt que de les agir.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Footnotes
La Suisse est composée de 26 cantons ayant notamment la responsabilité de l’organisation sanitaire sur leur territoire.
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