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editorial
. 2020 Sep 17;48(12):847–849. [Article in French] doi: 10.1016/j.gofs.2020.09.006

Racisme systémique et inégalités de santé, une urgence sanitaire et sociétale révélée par la pandémie COVID-19

Systemic racism and health inequalities, a sanitary emergency revealed by the COVID-19 pandemic

E Azria a,b,q,, P Sauvegrain b,q, J Blanc c,d,q, C Crenn-Hebert e,q, J Fresson f,q, M Gelly g,h,q, P Gillard i,q, F Gonnaud j,k,q, S Vigoureux l,q, G Ibanez m,q, C Ngo n,o,q, N Regnault p,q, C Deneux-Tharaux b,q; Pour la commission Inégalités sociales et parcours de soins du Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français CNGOF1
PMCID: PMC7497546  PMID: 32950731

Alors que la pandémie mondiale de COVID-19 est loin d’être vaincue et domine l’actualité depuis maintenant plusieurs mois, la mort de George Floyd survenue aux États-Unis le 25 mai dernier et le mouvement de protestation contre les violences policières et pour « les vies noires » ont néanmoins pu trouver un écho médiatique suffisant pour s’étendre et gagner d’autres pays comme la France. Floyd n’est pas le premier noir américain victime de violences policières, alors pourquoi maintenant ? Certainement un drame, une injustice de trop, une étincelle dans un univers asséché par des siècles de droits bafoués. On est en droit de penser que la pandémie de COVID-19 n’est pas étrangère à cet embrasement tant elle donne à voir, dans le champ de l’éducation, celui des droits et bien sûr celui de la santé, des inégalités selon l’origine nationale, le lieu de naissance, l’ethnies ou encore raciales suivant les catégories mobilisées, d’une magnitude telle qu’elle oblige au questionnement et incite à la mobilisation. Depuis plusieurs semaines en effet, des publications pour beaucoup nord-américaines [1] ou anglaises [2], où les catégories ethno-raciales font partie de l’appareil statistique, mettent en évidence une surmortalité liée à la COVID-19 des personnes noires et originaires du sous-continent indien. Ces résultats amènent à se questionner sur les mécanismes qui pourraient être en jeu, mécanismes qui seraient autant de pistes pour en réduire l’ampleur.

C’est ainsi que sont avancées de multiples hypothèses quant aux différences de prévalences de l’infection selon les groupes ethniques et à cette susceptibilité différenciée au pathogène viral. La surexposition au virus dans les emplois peu qualifiés au contact du public (aide à domicile, emplois de la livraison et du commerce, transports publics, services de soins), dans lesquels les afro-américains (aux Etats-Unis) et les personnes d’origine indienne ou pakistanaise (au Royaume-Uni) sont surreprésentés, ainsi que l’exiguïté des logements de ces travailleurs pauvres, font partie des hypothèses les plus plausibles avancées pour rendre compte de l’excès de prévalence. Quant aux éléments pouvant expliquer la gravité différentielle de l’infection, des causes dites « biologiques » sont explorées, des comportements sociaux plus à risques dans certains groupes ethniques sont évoqués, ou encore ces inégalités sont expliquées par une fréquence plus importante de comorbidités telles que l’obésité ou le diabète ou par des conditions de vie plus souvent précaires. Tout cela est bien sûr très plausible, mais se limiter à une lecture faisant de ces facteurs les causes premières de ces inégalités est une façon simpliste d’interpréter ces données et peut-être une façon de préserver nos consciences en occultant la possibilité que des discriminations sociales, notamment ethniques, jouent un rôle causal important. L’histoire moderne de nos sociétés, la littérature scientifique internationale, tant médicale qu’en sciences sociales, mais aussi des rapports indépendants assoient l’existence de discriminations. Ces discriminations ethniques peuvent altérer la santé par deux types de mécanismes. D’une part un stress chronique lié à une mobilisation psychique constante (peur des contrôles policiers, discriminations répétées à l’embauche, dans l’accès au logement ou aux espaces de loisirs…) qui est susceptible d’avoir des conséquences biologiques. D’autre part, un accès différencié à des soins préventifs et curatifs de qualité qui peuvent contribuer à une plus grande fréquence ou gravité de comorbidités. À propos du stress chronique, il est désormais documenté que les discriminations, comme d’autres formes de stress engendrés par des difficultés sociales, sont susceptibles d’avoir sur le temps long et par accumulation des effets biologiques. On parle de charge allostatique, celle-ci étant associée à la survenue de certaines pathologies [3], [4]. Les discriminations sont ainsi susceptibles de se situer dans la chaine causale en amont de ces causes biologiques ; ne voir que ces dernières reviendrait à clore une enquête criminelle dès l’arrestation du tueur à gage. De la même manière, des discriminations ethniques sont susceptibles de déterminer des comportements de santé « à risque ». Comme cela a pu être montré dans le cadre du dépistage du cancer du col utérin, une stratégie de prévention peut générer des opportunités différenciées selon les groupes sociaux, en particulier les groupes ethniques. C’est ce qui s’observe aux États-Unis et qui conduit à une incidence plus importante de cancers invasifs dans certains groupes ethniques, dont les diagnostics sont établis à des stades plus avancés et, au final, à une mortalité plus importante dans ces mêmes groupes [5]. Voir en amont et se questionner sur les raisons des différentiels de participation au dépistage permet de comprendre qu’une stratégie de dépistage, même estampillée « santé publique », peut de par sa conception avoir des effets discriminants si elle ne prévoit pas des dispositifs répondant aux besoins de ceux qui de par leur statut social, ou de par leur appartenance à un groupe ethnique, se heurtent plus souvent à des barrières à l’accès aux soins [6]. Au-delà de ces phénomènes, la complexité de nos systèmes et institutions de santé et de protection sociale, leur coût et leur manque d’adaptabilité aux besoins spécifiques des groupes minoritaires, créent des barrières ou des retards à l’accès aux soins de certaines populations qui n’ont pas les ressources économiques et/ou culturelles permettant de s’en saisir et de s’y repérer, et sont en cela générateurs de discriminations. Une démarche aussi élémentaire que celle de téléphoner pour prendre un rendez-vous en consultation hospitalière dans un pays dont on maîtrise mal la langue ou les codes permet, au son de Vivaldi et de ses « Quatre saisons », de saisir l’ampleur du problème.

Les inégalités d’accès aux soins et de santé selon l’origine nationale ou l’appartenance ethno-raciale (selon l’appareil statistique permettant de les saisir) sont bien sûr intimement liées aux inégalités économiques. Les approches statistiques utilisées en épidémiologie pour isoler le « facteur ethnique » du facteur « économique », ne résistent pas à l’intrication extrême de ces dimensions. Quant à la discrimination ethnique, elle n’est qu’une part de la discrimination sociale qui s’ajoute aux discriminations socio-économiques. Les discriminations ethniques observées dans le monde du travail, tant à l’embauche qu’en termes de rémunération, ainsi que les discriminations dans l’accès au logement, sont autant de facteurs qui pérennisent les conditions de vie précaires qui à leur tour constituent des barrières à l’accès aux soins. Là encore, c’est en partie en amont de la chaîne causale qu’interviennent les discriminations.

Ce mécanisme de discrimination n’est pas nécessairement visible et n’émerge pas directement des travaux épidémiologiques. Il faut des approches mixtes mobilisant épidémiologie, sciences sociales et éventuellement biologie pour le voir apparaître et comprendre par exemple que les délais dans l’accès aux soins observés dans certains groupes ne sont pas le fait uniquement de décalages culturels ou de désavantages économiques, mais aussi de phénomènes discriminatoires [2].

Si le phénomène de discrimination est reconnu comme endémique dans certains pays et le racisme vu au-delà de déviances individuelles comme un phénomène systémique, la question des effets discriminatoires de la racialisation, en particulier dans le champ de la santé, n’est que rarement posée et objet de recherches en France. Mettre en évidence ces discriminations suppose aussi de pouvoir rendre visibles et travailler sur les catégories discriminées, et disposer pour cela de données. Or, au nom d’un universalisme qui consacre le principe d’une République une et indivisible, l’idée qu’existeraient des communautés est niée et la possibilité de travailler à partir de catégories racialisées rompant cette unité grevée. De fait, la production de statistiques ethniques est en France fortement encadrée et limitée, ce qui oblige les chercheurs à travailler à partir de proxys comme le pays de naissance qui ne permettent bien souvent pas de traiter la situation de certains groupes, comme par exemple celle des descendants d’immigrés. Pourtant, lorsqu’il est possible de prendre en compte le pays de naissance des parents, comme ce fut le cas dans la cohorte SIRS, on peut observer que les françaises filles d’immigrés sont moins bien dépistées pour le cancer du col que les française filles de parents français [7]. Un rapport récent de l’INSEE rend compte d’inégalités de mortalité liée à la COVID-19 selon le pays de naissance (https://www.insee.fr/fr/statistiques/4627049). Aussi précis soit-il, ce rapport, faute de pouvoir mobiliser des catégories d’intérêt, ne permet pas de mesurer les éventuelles inégalités ethniques suggérées et ne permet pas d’aller au-delà de l’hypothèse quant à l’intervention de discriminations. Or, comme le souligne François Héran intervenant dans le débat sur les statistiques ethniques : « C’est en regardant les réalités en face que nous pourrons promouvoir autrement qu’en paroles les idéaux de la nation. (…) A quoi bon brandir nos idéaux universalistes si l’on refuse de mesurer l’écart qui les sépare de la réalité ? Loin de saper le principe de l’égalité de traitement, la statistique ethnique le prend au mot, à condition qu’on ne la confonde pas avec la statistique ethnoraciale et qu’on ne l’étende pas aux fichiers de gestion. » [8].

L’idée selon laquelle un racisme systémique qui présiderait à un régime étendu et sournois de discriminations expliquerait une part des inégalités ethniques de santé observées, a quitté dans certains pays à haut niveau sanitaire comme les États-Unis ou le Royaume Uni le statut d’hypothèse pour passer à celui de cause avérée et cible d’action [9]. Avant même d’envisager l’existence d’un racisme systémique en France, nous semblons encore très frileux à l’idée d’envisager l’hypothèse selon laquelle des discriminations ethniques pourraient être en jeu dans les inégalités sociales de santé. Pourtant, qu’il s’agisse de la COVID-19 ou de bien d’autres questions de santé où se manifestent des inégalités ethniques, la question des discriminations se pose et doit être explorée scientifiquement au moyen d’outils adaptés.

Si peu nient aujourd’hui l’existence de comportements racistes dans nos sociétés, c’est-à-dire basés sur « un système de hiérarchies sociales entre les personnes, positionnées selon la façon dont elles sont perçues et rattachées à une supposée hérédité » [10], il est beaucoup plus difficile de percevoir, parce que bien plus insidieux, ce qu’on appelle le racisme systémique. Celui-ci correspond aux effets cumulés d’attitudes empreintes de préjugés et de stéréotypes bien souvent inconscients, mais aussi de pratiques et politiques souvent résultats de processus historiques et de rapports de pouvoir. Cette forme de racisme, véhiculée en grande partie de manière involontaire, perpétue dans bien des pays des inégalités en matière d’éducation, de revenus, de loisirs, d’accès au logement, à l’emploi, aux services publics, en particulier à la santé [11]. La France n’échappe pas au phénomène comme le décrit sans ambiguïté le Défenseur des droits dans un rapport récent montrant que : « Les discriminations auxquelles sont exposées les personnes perçues comme d’origine extra-européenne, au travers de ses saisines, sont confortées par les données officielles et la recherche : les différences de traitement fondées sur l’origine sont un phénomène de grande ampleur. Se déployant dans l’intégralité des sphères de la vie sociale, ces pratiques, parfois ouvertement discriminatoires, constituent pour les personnes immigrées, descendantes d’immigrés ou simplement perçues comme telles, une pression quotidienne aux effets durables et délétères sur les parcours de vie et les rapports sociaux d’une part importante de la population résidant en France. »[12].

Ce moment inédit dans l’histoire contemporaine, moment où le virus s’est propagé et s’est insinué dans les failles de nos civilisations, expose les manifestations d’une histoire de discriminations. Ce moment inédit aussi par les marques profondes que le passage de la COVID-19 nous a infligées et l’incertitude qu’elle fait planner sur notre futur proche est certainement une opportunité à ne pas manquer pour penser une société plus juste. Questionner l’existence de discriminations ethniques qui puissent participer des inégalités sociales de santé afin de prendre au sérieux les promesses de notre modèle universalistes et écarter le risque de la dérive identitaire, est une part de cet examen qui individuellement et collectivement nous permettra en tant que professionnels de santé, chercheurs et citoyens, de lutter contre des préjugés dévastateurs générateurs de soins différenciés. C’est également permettre à une recherche armée pour la tâche de documenter le phénomène et le combattre. C’est enfin repenser l’action politique à l’aune de cet enjeu de santé publique et social.

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références

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