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. 2020 Oct 1;30(4):304–308. [Article in French]

Soutien apporté aux Autochtones, aux Inuits et aux Métis dans un service d’oncologie : mon expérience comme infirmière pivot attitrée

Carolyn Roberts 1, Gwen Barton 2, Allyson McDonald 3
PMCID: PMC7597773  PMID: 33165353

J’ai passé ma jeunesse et une grande partie de ma carrière d’infirmière dans une région éloignée de la Basse-Côte-Nord du Québec. En tant qu’infirmière responsable d’une population d’environ 400 habitants, j’ai connu mon lot d’expériences risquées. Les dispensaires sont très différents des établissements de santé traditionnels. Il n’y a pas de laboratoire, pas de radiologie, pas d’ultrasons et parfois, pas de médecin. Le soutien vital de la communauté, ce sont les infirmières. Les urgences se produisent rarement au dispensaire, et transporter un patient à l’hôpital peut être extrêmement difficile. Cependant, une forte solidarité existe dans chaque village de la région. Les membres de la communauté peuvent être le plus grand atout dans le rétablissement des patients blessés ou malades. Ils sont votre bras droit, et parfois vos seuls bras en fait. J’ai transporté des patients en motoneige et en traîneau en hiver, sur une civière dans ma propre camionnette en été : mon style de soins infirmiers rime avec débrouillardise.

En 2009, j’ai décidé de déménager à Ottawa et accepté un poste à l’urgence du Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario. Après moins d’un an, je m’ennuyais terriblement des soins infirmiers en région rurale, alors pendant les sept années suivantes, j’ai enchaîné les mandats dans le Nord. Puis, en 2016, on m’a proposé un poste d’infirmière pivot pour les Autochtones à L’Hôpital d’Ottawa. Ce poste a été créé par Alethea Kewayosh, directrice de l’Unité des soins de cancérologie chez les peuples autochtones d’Action Cancer Ontario. Chaque réseau local d’intégration des services de santé en Ontario est doté d’un intervenant pivot pour Autochtones dont le bagage professionnel peut varier.

Ce nouveau poste m’a permis d’appliquer une fois de plus mon approche bien particulière des soins infirmiers. Mes expériences personnelles et professionnelles dans les régions rurales et nordiques m’ont apporté les connaissances et les compétences nécessaires pour établir une relation de confiance avec les patients et leur famille tout en les soutenant dans l’une des périodes les plus difficiles de leur vie.

HIER ET AUJOURD’HUI

Faire confiance au système de santé n’est pas chose facile pour les peuples autochtones et inuits. Et pourquoi donneraient-ils cette confiance? Depuis la fondation du Canada que les Autochtones, les Métis et les Inuits sont victimes de discrimination. L’élection même de John A. MacDonald, premier à occuper le poste de premier ministre du Canada, s’était notamment accompagnée d’une promesse d’assimiler cette population : « On m’a fortement recommandé, en tant que chef de ce département, de préserver le plus possible les enfants indiens de l’influence parentale, et la seule façon d’y arriver serait de les envoyer dans des écoles de formation industrielles et centralisées, dans lesquelles ils pourront acquérir les habitudes et les modes de pensées des hommes blancs. » Le dernier pensionnat a été fermé en 1996, il y a 24 ans. Nombreux sont ceux qui pensent que c’est du passé, mais en travaillant dans les communautés autochtones, je confirme que cette mentalité discriminatoire existe encore.

La dernière fois que cette attitude s’est manifestée devant moi, c’était avec une bénévole de l’hôpital, au printemps 2019. Elle s’était présentée à mon bureau pour me dire que, à ses débuts comme infirmière, elle avait travaillé dans une réserve en Alberta. Selon elle, les peuples autochtones vivant dans la réserve « n’avaient aucun instinct maternel » et il fallait leur « apprendre à être des humains civilisés ». Elle avait également mentionné l’utilité des pensionnats pour éduquer « ces gens-là ». Après avoir clairement exprimé son point, elle s’était ensuite défendue en déclarant qu’elle n’était pas raciste. La plupart du temps, ceux qui tiennent des propos dégradants ont souvent cette attitude défensive, comme si le fait d’affirmer qu’ils ne sont pas racistes leur permettait de débiter à tout vent n’importe quels propos racistes. En tant qu’infirmière pivot, mon rôle consiste notamment à remarquer ces comportements préjudiciables afin d’offrir à mes clients un milieu accueillant et sûr pendant qu’ils sont soignés à Ottawa.

LE RÔLE D’INFIRMIÈRE PIVOT

Quel est le rôle d’une infirmière pivot pour Autochtones? Il est diversifié, basé sur le terrain et entièrement centré sur le patient. Mon rôle n’est pas clinique et ne remplace aucun service de l’hôpital. Ce n’est pas non plus de la gestion de cas. C’est une forme de triage en fonction des besoins du patient et de sa famille. Je les rencontre sans programme préalable, car il n’existe pas de plan de soins unique adapté à tous les patients. Je me présente en leur demandant s’ils ont des questions, pas seulement sur leur cancer, mais sur n’importe quoi d’autre. Mon principal objectif est d’établir la confiance et d’être ce lien important entre eux et leur équipe de soins. Compte tenu du contexte historique, je sais que cela se fait progressivement. Pour aider à établir cette confiance, il est nécessaire de donner aux communautés autochtones leur propre voix. Souvent, elles sont éclipsées par d’autres qui parlent en leur nom. Leurs voix individuelles doivent être entendues et je me fais une priorité de les représenter et de les défendre.

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Exemples de besions des personnes ayant le cancer

(Fitch, 2008)

Les connaissances cliniques en soins infirmiers que j’ai acquises dans les dispensaires et les services d’urgence m’aident à soigner les patients, mais aussi à me faire accepter par le personnel de l’hôpital et de nos partenaires communautaires. Nouer des relations est essentiel, non seulement avec les patients autochtones, inuits et métis, mais aussi avec ceux qui les traitent. Le fait d’avoir vingt ans d’expérience unique dans les communautés autochtones et inuites donne de la crédibilité à mon rôle professionnel et m’aide à être plus crédible pour le représenter.

LE CADRE DES SOINS DE SOUTIEN

Depuis mes débuts dans le programme, nous utilisons une méthode non conventionnelle qui se concentre directement sur les besoins personnels des patients. Ce style de soins peut être illustré par la structure de soutien de Margaret Fitch pour les soins aux personnes atteintes de cancer. Une perspective globale de la prise en charge des patients atteints de cancer est fondée sur une variété de besoins, et pas seulement sur l’aspect physique (Fitch, 2008). « Le Cadre des soins de soutien pour les soins en oncologie se base sur les concepts de besoins humains, l’évaluation cognitive, le coping et l’adaptation pour conceptualiser la manière dont les êtres humains éprouvent le cancer et y font face. » (Fitch, 2008) Afin de répondre aux besoins non physiques de chacun, il est nécessaire d’avoir une compréhension respectueuse de qui ils sont en tant que personne et de ce qui est important pour eux.

Les communautés des Premières Nations, Métis et Inuits sont différentes en ce qui a trait à la culture, à la superficie occupée et au mode de vie, mais ce qui les unit, c’est leur lien avec la terre et la nature. Aujourd’hui comme hier, ils utilisent les ressources naturelles pour prospérer, grandir, guérir et trouver du réconfort. En gardant le Cadre des soins de soutien à l’esprit, j’ai développé une approche qui répond à leurs besoins non cliniques tout en complémentant les soins reçus par le personnel soignant. Quel meilleur moyen de renforcer ce lien qu’en dehors du cadre hospitalier, dans la nature, là où ces patients sont le plus à l’aise?

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Debra

MA PREMIÈRE PATIENTE

La première patiente que j’ai eue à titre d’infirmière pivot en oncologie dans le cadre du programme pour Autochtones, c’est Debra, une jeune femme de l’est du Nunavut. Lors d’un voyage scolaire à Québec, Debra a commencé à souffrir d’importantes migraines. Elle s’est donc rendue à l’urgence, et a reçu par la suite un diagnostic de glioblastome de stade 4. Dixhuit mois avant ce diagnostic, elle avait perdu deux soeurs, toutes deux emportées à moins de 24 ans par un cancer. J’ai fait la connaissance de Debra et de sa famille à l’extérieur du centre de dépistage génétique du Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario. Je me fais un devoir de ne pas m’immiscer dans la sphère médicale du traitement des patients, surtout lors de la première rencontre, car ce n’est pas mon rôle principal. Mon principal rôle est d’établir un lien de confiance et d’être ensuite le cordon qui relie le patient à l’hôpital et à tous les partenaires de soutien. Le personnel de L’Hôpital d’Ottawa fait un si bon travail d’information des patients sur le processus du cancer, les traitements et les effets secondaires, que je reçois peu de questions sur leur maladie même.

Lorsque Debra et ses parents sont sortis de leur rendez-vous, leurs trois visages affichaient la même mine défaite et hagarde. À ce stade, il était évident que l’hôpital ou un autre bureau ne conviendraient pas à notre première conversation, et qu’ils ne voulaient sûrement pas parler de cancer dans l’immédiat. Alors je leur ai demandé s’ils aimeraient faire un tour de la ville d’Ottawa en voiture pour se changer les idées et faire une pause de l’hôpital.

Venant moi-même d’un petit village, je sais à quel point le hockey a un effet rassembleur sur les gens au Canada. Même si je n’avais pas pris rendez-vous, j’ai décidé de les emmener au Centre Canadian Tire, la patinoire des Sénateurs d’Ottawa. On était en juin et il n’y avait pas de match, mais j’ai pensé que la visite de l’édifice leur plairait. La sécurité nous ayant permis d’entrer, j’ai rapidement senti un changement d’émotions chez Debra et ses parents. Avoir un moment de répit du milieu médical peut vraiment aider à créer un élan positif. L’intégration d’activités prenant place dans la collectivité aide à évacuer le stress intense causé par l’expérience du cancer, ce qui joue un rôle déterminant dans l’établissement du lien de confiance essentiel à mes fonctions.

Ce moment avec Debra et sa famille a été l’inspiration pour mon rôle d’infirmière pivot pour Autochtones. Les peuples des Premières Nations, les Inuits et les Métis, bien que différents à bien des égards, ont une chose en commun : les lieux sont des points d’ancrage pour eux. Visiter un lieu significatif offrant aussi une escapade en dehors du milieu hospitalier fait beaucoup de bien au patient sur le plan mental et constitue un premier pas heureux dans l’établissement d’une relation de confiance riche de sens avec l’infirmière pivot.

Comme Debra, les patients du Nunavut peuvent se sentir perdus dans un milieu urbain et dans un paysage géographiquement si différent. Il n’y a pas d’arbres au Nunavut. Pas de chevaux. Pas de vaches, ni de dindes sauvages. J’amène presque tous les patients faire une activité liée à la nature. S’asseoir au bord de la rivière des Outaouais pour regarder les oies. Marcher au milieu des feuilles dans le Parc de la Gatineau. Peler l’écorce d’un bouleau... Les décors calmes contribuent vraiment à faire tomber les barrières.

Par ces expériences, je leur apporte un soutien sur le plan mental et psychosocial. Une fois par an, on organise pour un groupe de patients cancéreux inuits et leurs familles une promenade en carriole avec visite d’une fermette. Beaucoup voient ces animaux pour la première fois de leur vie. Pour certains, approcher un cheval est un rêve qui se réalise. Le bonheur d’aider à créer de merveilleux souvenirs chez les patients qui luttent contre le cancer est inestimable.

LA COMMUNAUTÉ

Trop souvent, pour diverses raisons, notre équipe rencontre des patients autochtones qui ont reçu un diagnostic de cancer à un stade avancé. À tous, j’apporte soutien et aide sur le plan émotionnel durant tout leur séjour, même à ceux, trop nombreux, qui recevront des soins palliatifs. Les patients du Nunavut qui doivent se rendre à Ottawa pour des examens et des traitements ont besoin d’un degré de soutien vraiment particulier. Leur diagnostic et leur traitement les gardent des mois durant loin de leur famille, de leurs amis, de leur culture et de leur communauté. Ils sont donc immensément isolés et susceptibles de souffrir de solitude et d’ennui.

Mon objectif est d’aider les patients à penser à autre chose que leur diagnostic en leur faisant vivre autant d’expériences positives que possible. À vivre en ville, on finit par tenir pour acquises les diverses activités qu’Ottawa offre. Or, pour certains de nos patients, une multitude d’obstacles peuvent les empêcher d’en profiter. Lorsque j’exerçais dans les régions nordiques, je comptais beaucoup sur les ressources communautaires. Lorsque les patients viennent à Ottawa pour leurs traitements, ils sont coupés de leur famille, de leur communauté, de leur culture. À mon avis, notre rôle n’est pas juste de les aider à naviguer dans les services oncologiques, mais aussi à naviguer dans les services offerts par la ville.

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L’équipe du Programme de cancérologie pour les autochtones de L’Hôpital d’Ottawa

De gauche à droite : Treena Greene, MD, CCFP, FCFP, chef régional; Carolyn Roberts, infirmière pivot pour les Autochtones, Inuits et Métis; Gwen Barton, directrice du Programme; Meg Ellis, coordonnatrice.

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Quelques-unes des nombreuses personnes qui ont influencé ma carrière d’infirmière.

Le programme de navigation a apporté tellement de bons moments et de belles choses! Notre équipe a été à maintes reprises émue par l’appui massif de membres de la communauté d’Ottawa. Comme William Ellam, Bill, le chef de la sécurité et du service à la clientèle du Centre Canadian Tire. Maintenant membre officieux de notre équipe, Bill a offert à nos patients et à leurs familles d’innombrables expériences VIP lors de matchs de hockey des Sénateurs. Comme il dit : « Le hockey fait vraiment tomber les barrières. » Notre équipe a également été reconnue par l’organisation de football des Redblacks d’Ottawa et a reçu le prix du « héros communautaire » des Redblacks pour le travail de soutien que nous faisons auprès des patients, familles et communautés autochtones, inuites et métisses.

CONCLUSION

Je reconnais que l’approche pivot décrite dans cet article n’est pas pratique ou possible pour bien des services cliniques ou établissements de soins de santé. Cependant, pour fournir des soins centrés sur le patient rassurants sur le plan culturel, nous devons trouver des solutions qui vont au-delà de la médecine occidentale traditionnelle et envisager des approches « hors des sentiers battus » chaque fois que cela est possible. Comme l’indiquent clairement les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, nous devons reconnaître les problèmes que pose l’accès aux services de santé pour nombre de nos patients autochtones afin d’y trouver des solutions et de faire ce qu’il faut pour soutenir leur moral et veiller à leur bien-être mental pendant qu’on les soigne.

Figure 1.

Figure 1

Régions du territoire Inuit Nunangat et trajets courants effectués à des fins médicales au Canada

REMERCIEMENTS

Je veux terminer en soulignant le soutien inébranlable de l’équipe de gestion et de direction du Programme de cancérologie de L’Hôpital d’Ottawa, car je n’aurais jamais pu sans eux offrir ce type de soins non traditionnels et soutenir de manière aussi significative les patients. J’éprouve également une immense gratitude envers mes anciens collègues du dispensaire qui ont contribué à faire de moi l’infirmière que je suis aujourd’hui.

Mais surtout, je tiens à remercier ma famille. Car comme pour la plupart des infirmières, il arrive souvent que nous manquions les vacances et fêtes spéciales. Lorsque j’ai accepté des contrats dans le Nord, j’ai été séparée de ma famille jusqu’à huit semaines d’affilée. Sans leur amour et leur soutien constants et indéfectibles, je ne serais pas arrivée là où je suis aujourd’hui. Je suis extrêmement reconnaissante d’avoir reçu le prix Helene Hudson, qui m’a donné l’occasion de partager mon expérience avec tant d’infirmières de partout au Canada. J’encourage toutes les infirmières, qui sont un pilier essentiel des soins de santé, à chercher des moyens de se soutenir mutuellement. Si un collègue, un membre du personnel subalterne ou un membre de votre équipe vient vous voir avec une approche non traditionnelle, prenez le temps de vous demander « Est-ce sûr? Est-ce faisable? » et surtout « Est-ce bénéfique pour le patient? ».

Qujannamiik.

Footnotes

Note de la rédactrice en chef : Cet article reprend le contenu de la conférence à la mémoire de Helene Hudson présenté à la conférence annuelle 2019 de l’ACIO/CANO. Cette conférence commémore le leadership inspirant de cette infirmière manitobaine dans les soins oncologiques aux patients.

RÉFÉRENCES

  1. Fitch M. Supportive care framework. Canadian Oncology Nursing Journal /Revue Canadienne De Soins Infirmiers En Oncologie. 2008;18(1):6–14. doi: 10.5737/1181912x181614. Retrieved from http://canadianoncologynursingjournal.com/index.php/conj/article/view/248. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Inuit Tapiriit Kanatami. Inuit Statistical Profile 2018. 2018. Retrieved from https://www.itk.ca/wp-content/uploads/2018/08/Inuit-Statistical-Profile.pdf.
  3. Truth & Reconciliation Commission of Canada. Canada’s Residential Schools-Missing Children and Unmarked Burials: The Final Report of the Truth and Reconciliation Commission of Canada. Vol. 4. McGill-Queen›s Press-MQUP.; 2015. [Google Scholar]

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