Abstract
Introduction
Durant la pandémie de COVID-19, les mesures de confinement et les recommandations des sociétés savantes de cancérologie ont pu impacter le recours aux soins des patients.
Méthodes
Cette étude rétrospective unicentrique comparaît le nombre et les caractéristiques des patientes reçues pour une première consultation pour une tumeur du sein ou gynécologique entre la période du confinement et une période contrôle, ainsi que les délais de prise en charge et les traitements proposés.
Résultats
Durant le confinement, 91 patientes ont été vues pour une demande de prise en charge, contre 159 durant la période contrôle, soit une baisse de 43,5 %. Les patientes étaient plus âgées (62,9 contre 60,9 ans), sans que cette différence soit significative (p = 0,339). Le stade tumoral n’était pas modifié. En sénologie, le délai entre la biopsie et la première consultation a été allongé de 5,5 jours (différence non significative). Parmi les 51 patientes ayant une indication opératoire durant le confinement, 16 (31,4 %) ont été reportées après la levée du confinement. Malgré tout, le délai entre la consultation et le début des traitements n’a pas été impacté. Nous n’avons pas non plus mis en évidence de modification statistiquement significative des pratiques.
Discussion
Au plus fort de la pandémie, les bénéfices et les risques du traitement du cancer ont dû être évalués en permanence, face au risque d’exposition au SARS-CoV-2. L’évaluation des pratiques en oncologie est essentielle pour comprendre le réel impact de cette pandémie, et se préparer à d’éventuelles crises futures.
Mots clés: Cancer du sein, Cancer gynécologique, COVID-19, SARS-CoV2, Chirurgie oncologique, Qualité des soins
Abstract
Introduction
During the COVID-19 pandemic, the containment measures and the recommendations of several societies in oncology may have impacted the request for initial care for cancers.
Methods
In this monocentric retrospective study, the number and the characteristics of patients received for a first consultation for a breast or gynecologic tumor were compared between the containment period and a control period. The times from diagnosis to treatment and the type of initial care were compared too.
Results
During the outbreak, 91 patients were seen for a new request, versus 159 during the control period, a decrease of 43.5 %. Patients were older (62.9 versus 60.9 years old) but this difference was not significant. Tumor stage was not modified. Concerning senology, the time from the biopsy to the first consultation was 5.5 days longer during the outbreak (difference statistically insignificant). Among the 51 patients requiring a surgical treatment during the outbreak, 16 (31.48 %) were postponed after the end of the containment measures. After all, the average time from the consultation to the treatment was not modified. No modification of type of treatment was observed.
Discussion
At the height of the pandemic, benefits and risks of the cancer treatment had to be daily balanced against the risk of exposition to the COVID-19. The evaluation of practices for cancer care is essential to understand the real impact of COVID-19 outbreak on global cancer management, so as to get prepared to further crises.
Keywords: Breast cancer, Gynecologic cancer, COVID-19, SARS-CoV2, Surgical oncology, Quality of care
Introduction
Afin de limiter la progression de la pandémie de COVID-19, et devant l’échec des mesures barrières seules, un confinement a été instauré en France, le 17 mars 2020, pour ainsi limiter la saturation des unités de réanimation. Ce confinement s’est prolongé jusqu’au 11 mai 2020, impliquant la restriction des déplacements au strict nécessaire et la pénalisation des infractions liées à cette règle. Les déplacements pour les soins restaient autorisés, de même que pour les courses alimentaires, pour le travail si le télétravail n’était pas possible, et les sorties près du domicile dans un périmètre limité. Parallèlement, des sociétés savantes nationales et internationales ont édité de nombreuses recommandations, visant à maintenir la prise en charge des cancers, tout en limitant le risque d’infection à SARS-CoV-2 [1], [2], [3], [4]. En effet, les patients atteints de cancer ont été décrits comme une population vulnérable au COVID-19. Pour certains, ils auraient 3,5 à 8 fois plus de risque de développer des complications respiratoires sévères. Le risque semble surtout important s’ils ont été traités (séance de chimiothérapie, intervention chirurgicale) dans les semaines précédentes [5], [6], [7], même si les données sont insuffisantes pour établir, de façon certaine, un lien entre cancer et infection sévère au COVID-19 [8], [9]. Par précaution, les prises en charge ont été adaptées pour limiter les situations à haut risque d’infection grave comme les chirurgies lourdes et certaines chimiothérapies. Aussi, la chirurgie reconstructrice mammaire secondaire a été interrompue, la majorité des consultations de surveillance et les chirurgies considérées comme non urgentes ont été reportées. Mais les consultations pour les nouveaux patients ont été maintenues, en proposant une prise en charge dans le respect des règles sanitaires.
La plupart des études, à ce jour, se sont intéressées à l’infection par le COVID-19 chez les patients suivis pour un cancer [5], [6], [7], [10], mais peu évaluent les conséquences des mesures de confinement sur la prise en charge initiale de ces patients [11].
L’objectif de ce travail était d’évaluer l’impact des mesures de confinement, mises en place pour lutter contre la pandémie de COVID, sur la prise en charge initiale chirurgicale des patients venus consulter pour un diagnostic récent de tumeur du sein ou gynécologique. L’objectif principal était de comparer le nombre de nouveaux patients et leurs caractéristiques entre une période contrôle et la période de confinement. Par la suite, nos objectifs secondaires ont été de comparer les stratégies thérapeutiques proposées suite à la première consultation, de comparer les délais de prise en charge entre les deux périodes et le nombre d’écarts aux pratiques habituelles liées aux mesures de lutte contre la pandémie.
Méthodes
Une étude de cohorte rétrospective a été menée dans le Département de chirurgie oncologique, sénologique et gynécologique du Centre de lutte contre le cancer Antoine Lacassagne à Nice.
Les données de deux périodes distinctes de dix semaines ont été comparées : une première période dite de « préconfinement », qui regroupe les données allant du 2 septembre au 10 novembre 2019, et une deuxième période, où les mesures de confinement ont été mises en place, regroupant les données du 2 mars au 10 mai 2020. Les périodes ont été choisies comme telles, car l’équipe chirurgicale était superposable, et donc l’activité du service comparable.
Les données de tous les patients reçus en consultation pour une prise en charge initiale dans le département de chirurgie ont été recueillies en continu sur les deux périodes. Les patientes présentant une tumeur du sein ou gynécologique et les patientes consultant pour une reconstruction mammaire secondaire ont été incluses dans l’étude. Les patients consultant pour une tumeur cutanée ou des parties molles (sarcomes) ont été exclus.
Toutes les patientes ont été informées de l’utilisation de leurs données médicales par courrier. Aucun refus de participation n’a été enregistré. Toutes les analyses ont été faites rétrospectivement, en accord avec les lois de Bioéthique 2004–2008, la charte éthique de l’Institut national contre le cancer et le Département d’épidémiologie, de biostatistiques et des données de santé du Centre Antoine Lacassagne, l’étude a été déclarée à l’INDS sous la méthodologie de référence MR04 (numéro d’étude : MR 4119140520).
Les données suivantes ont été recueillies : l’âge à la consultation, le type de tumeur, la date du début de la prise en charge (date de l’intervention chirurgicale, de la première cure de chimiothérapie ou de la première séance de radiothérapie), le type de prise en charge proposée (chirurgie, radiothérapie, traitement systémique ou surveillance). Pour les patientes de la période « COVID », si la prise en charge avait été modifiée du fait des recommandations en lien avec la pandémie, cela était notifié (intervention reportée après la levée du confinement, mise sous hormonothérapie d’attente pour les cancers du sein exprimant les récepteurs hormonaux).
Pour les cancers du sein, les variables suivantes ont été également étudiées : le sous-type histologique (in situ, infiltrant de type luminal, Her2 surexprimé ou triple négatif), la taille tumorale, le statut ganglionnaire et le statut métastatique, la date de la biopsie ayant permis le diagnostic, le type de chirurgie réalisée pour les patientes opérées : traitement conservateur, mastectomie totale ou mastectomie totale avec reconstruction immédiate. L’effectif des patientes consultant pour une tumeur gynécologique étant faible et la population très hétérogène, la date du diagnostic n’a pu être recueillie de façon fiable et exploitée pour l’analyse.
Le critère de jugement principal était le nombre de nouvelles patientes vues en consultation pour une prise en charge initiale, selon le type de tumeur.
Plusieurs critères de jugement secondaires ont été analysés : l’âge des patientes, la taille et le stade tumoral, les délais de prise en charge et le type de traitement proposé à l’issue de la consultation. Deux délais ont été évalués : le délai entre la biopsie et la consultation au Centre, et celui entre la consultation et le début du traitement (intervention chirurgicale, première cure de chimiothérapie, première séance de radiothérapie). En sénologie, le délai de prise de rendez-vous pour un cancer du sein ne doit pas excéder 15 jours pour une urgence, trois semaines sinon [12]. Mais l’accès à cette information est difficile. C’est donc le délai entre la biopsie et la consultation qui a été utilisé comme critère de jugement. Un délai supérieur à 21 jours était considéré comme significatif d’une altération de la qualité de la prise en charge. Le nombre d’écarts à ces règles de bonnes pratiques a été comparé entre les deux périodes. L’évaluation de ce critère de jugement n’a pu être réalisée pour les patientes consultant pour une tumeur gynécologique. Quant au délai entre la consultation et le début du traitement, il est très variable selon le type de pathologie. De plus, en sénologie, la relecture du dossier radiologique, entraînant ou non une deuxième biopsie ou une cytoponction ganglionnaire, conduit à une grande hétérogénéité de la population. Une comparaison simple a été réalisée entre les deux périodes, sans définir de seuil a priori. Il s’agissait d’une étude de non-infériorité, l’objectif étant de mettre en évidence ou non une différence entre les deux périodes. Un allongement des délais de plus d’une semaine entre les deux périodes était considéré comme significatif d’une altération de la qualité de la prise en charge.
Concernant le type de traitement proposé, les proportions de chirurgie première, de chimiothérapie première ou de radiochimiothérapie ont été comparées entre les deux périodes, afin de mettre en évidence une éventuelle modification des pratiques en lien avec les recommandations spécifiques émises durant le confinement. En sénologie, les proportions de traitement conservateur, de mastectomie totale sans ou avec reconstruction immédiate ont été également comparées.
Des analyses en sous-groupe, selon le type de tumeur du sein, ont été réalisées : carcinome in situ ou carcinome infiltrant (de type luminal, Her2 surexprimé ou triple négatif). Pour chacun de ses groupes, le nombre de consultations, l’âge des patientes, les délais de prises en charge et le type de traitement proposé ont été comparés entre les deux périodes.
Analyse statistique
Les données qualitatives sont présentées sous la forme de fréquences absolues ou de fréquences relatives. Ces données ont été comparées à l’aide de test du Chi2 ou du test de Fisher en cas de non-respect des conditions d’application du Chi2. Les données quantitatives sont présentées sous la forme de moyennes, de médianes, d’écarts-types, de minimales et maximales. La normalité de ces données a été évaluée à l’aide du test de Shapiro. Les données quantitatives ont été comparées à l’aide de test-t de Student ou test de Wilcoxon–Mann–Whitney en cas de non-respect des conditions d’application du test de Student. La saisie et le data management ont été effectués sur Microsoft Excel®. Toutes les analyses statistiques ont été réalisées au risque alpha = 5 % en hypothèse bilatérale à l’aide du logiciel R 3.2.2 pour Windows®.
Résultats
Au cours des deux périodes analysées, 267 patients ont été vus en consultation pour une première prise en charge dans le Département de chirurgie. Dix-sept patients ont été reçus pour des tumeurs dermatologiques ou des parties molles et ont été exclus de l’analyse, 14 dans la période contrôle, trois dans la période COVID. Au total, 159 patientes ont consulté durant la période contrôle, contre 91 durant la période de confinement, soit une baisse de 42,8 % (figure 1 ). L’âge moyen des patientes était plus élevé durant la période de confinement (60,9 ans contre 62,9), sans que cette différence soit significative (p = 0,339).
La baisse des consultations a concerné aussi bien la sénologie (138 patientes ont été reçues pendant la période témoin, contre 78 patientes pendant le confinement, soit une baisse de 43,5 %) que la gynécologie (21 patientes versus 13, soit une baisse de 38,1 %). En sénologie, le motif de consultation était différent entre les deux périodes (p = 0,002). Durant la période de confinement, plus de patientes ont consulté pour des lésions frontières ou bénignes (17 patientes (21,8 %) versus 15 (10,9 %)) et des lésions in situ (12 patientes (15,4 %) versus 9 (6,6 %)). Le nombre de consultations pour des lésions infiltrantes était plus faible : 43 patientes (55,1 %) versus 79 (57,2 %). Enfin, le nombre de consultations pour une reconstruction secondaire a fortement chuté, reflet de l’annulation de cette chirurgie non urgente durant le confinement : six patientes durant la période COVID (7,7 %) versus 35 patientes (25,5 %) durant la période contrôle. Même en ne tenant pas compte de ces consultations volontairement limitées, cela représente une baisse de 31,5 % des demandes de première prise en charge (124 patientes versus 85). En gynécologie, le nombre de consultation pour une pathologie maligne était plus élevé durant la période de confinement (huit patientes (61,5 %) contre neuf (42 %)) sans que cette différence soit significative. Le délai moyen de prise en charge n’était pas différent d’une période à l’autre : 37,69 versus 37,36 jours, p = 0,855. Ces résultats sont présentés dans le tableau I .
Tableau I.
Période contrôle | Période COVID | p | ||
---|---|---|---|---|
Âge (moyenne – écart-type) | 60,9 (15,3) | 62,9 (15,3) | 0,339 | |
Nombre de patientes reçues pour une première consultation | n = 159 | n = 91 | ||
Sénologie (n (%)) | 138 (86,8) | 78 (85,7) | 0,962 | 0,002 |
Lésions bénignes/frontières | 15 (10,9) | 17 (21,8) | ||
Carcinome in situ | 9 (6,6) | 12 (15,4) | ||
Carcinome infiltrant | 79 (57,2) | 43 (55,1) | ||
Reconstruction secondaire/prophylaxie | 35 (25,5) | 6 (7,7) | ||
Gynécologie (n (%)) | 21 (13,2) | 13 (14,3) | 0,962 | |
Lésions bénignes/prophylaxie | 12 (57,1) | 5 (38,5) | 0,481 | |
Lésions malignes | 9 (42,9) | 8 (61,5) | ||
Détail par organe | ||||
Col utérin | 6 (28,6) | 2 (15,4) | 0,776 | |
Corps utérin | 3 (14,3) | 3 (23,1) | ||
Annexes | 11 (52,4) | 7 (53,8) | ||
Vulve | 1 (4,7) | 1 (7,7) | ||
Délais entre la consultation et le début de prise en charge (moyenne (médiane [écart-type]) | 37,69 (28 [33,71]) | 37,36 (27 [30,78]) | 0,949 |
En sénologie, l’âge des patientes n’était pas statistiquement différent entre les deux périodes (62,07 versus 63,27 ans, p = 0,566). La taille tumorale était superposable (20 versus 21 mm). Le stade tumoral, le taux d’envahissement ganglionnaire et de patientes métastatiques n’étaient pas différents entre les deux périodes. Le type de prise en charge proposé était similaire, il n’y a pas eu de modification significative des pratiques en faveur d’une chirurgie première au lieu d’une chimiothérapie néoadjuvante. Lorsqu’une chirurgie était programmée, il a été observé une augmentation de la proportion de chirurgie radicale durant la période de confinement (31,1 % versus 15,4 %). Le taux de reconstruction mammaire immédiate a été réduit, passant de 6,2 % à 4,4 %. Mais ces variations de prises en charge ne sont pas statistiquement significatives. Le délai entre la biopsie et la première consultation a été allongé en moyenne de cinq jours et demi durant la période de confinement. Cette différence n’était pas statistiquement significative mais montre une tendance (p = 0,063). Le délai entre la consultation et le début de la prise en charge n’était pas modifié, quel que soit le sous-type histologique. L’ensemble de ces résultats est détaillé dans le tableau II . Durant la période « COVID », 13 interventions ont été reportées après la levée des mesures de confinement, trois pour des lésions bénignes (hyperplasie canalaire atypique), deux pour des carcinomes in situ, neuf pour des carcinomes infiltrants. Parmi ces neuf dernières, huit patientes avaient un sous-type histologique de type luminal et ont reçu une hormonothérapie d’attente. Ces reports correspondent à un délai moyen entre la consultation et la chirurgie allant de 39 à 78,7 jours selon le type histologique, soit de 13 à 33,5 jours de plus que le délai moyen pour la même période (tableau III ).
Tableau II.
Période contrôle n = 88 |
Période COVID n = 55 |
p | |
---|---|---|---|
Âge lors de la consultation (moy – EC) Population globale Carcinome in situ Carcinome infiltrant |
62,07 (14,78) 61,5 (14,85) 64,77 (14,29) |
63,27 (14,82) 63,32 (15,23) 67,56 (14,67) |
0,566 0,424 0,31 |
Taille tumorale en mm (médiane – IQR) | 20 (12,30) | 21 (12,2,40) | 0,475 |
Sous type histologique (n (%)) In situ Infiltrant Luminal Her2 surexprimé Triple négatif |
9 (10,2) 61 (69,3) 7 (8) 10 (11,4) |
12 (21,8) 38 (69,1) 3 (5,5) 2 (3,6) |
0,057 |
Stade T (n (%)) T1 T2 T3 T4 |
69 (89,6) 8 (10,4) |
35 (83,3) 7 (16,7) |
0,486 |
Envahissement ganglionnaire (n (%)) | 21 (26,6) | 17 (39,5) | 0,204 |
Métastase à distance (n (%)) | 6 (7,7) | 0 | 0,092 |
Prise en charge proposée à l’issue de la consultation (n (%)) | |||
Chirurgie Tumorectomie Mastectomie totale Mastectomie totale avec reconstruction immédiate |
65 (71,4) 51 (78,5) 10 (15,4) 4 (6,2) |
45 (81,8) 29 (64,4) 14 (31,1) 2 (4,4) |
0,614 0,154 |
Traitement systémique | 16 (17,6) | 7 (12,7) | 0,614 |
Délai entre la biopsie et la consultation | |||
Délai en jours moyenne (médiane [écart type]) Toute pathologie confondue Carcinome in situ Carcinome infiltrant |
18,64 (16 [12,97]) 18,84 (16 [13,27]) 19,07 (16 [13,32]) |
24,08 (18,5 [19,66]) 20,1 (20 [1,1]) 25,13 (17 [21,67]) |
0,063 0,075 0,065 |
Nombre de patientes consultant dans un délai supérieur à 21 jours | 26 (29,5 %) | 20 (36 %) | 0,45 |
Délai entre la consultation et le début de la prise en charge | |||
Délai en jours moyenne (médiane [écart-type]) Toute pathologie confondue Carcinome in situ Carcinome infiltrant |
39,11 (28 [34,81]) 40,21 (29 [35,98]) 29,64 (27 [14,51]) |
38,84 (27 [31,16]) 39,54 (27 [32,62]) 31,22 (27 [19,06]) |
0,962 0,424 0,618 |
Tableau III.
Sous type histologique |
||||
---|---|---|---|---|
Tumeur bénigne n = 17 |
Carcinome in situ n = 12 |
Carcinome infiltrant luminal n = 38 |
Carcinome infiltrant Her2 surexprimé ou triple négatif n = 5 |
|
Indication de chirurgie Délai entre la consultation et l’intervention (moy – min–max) Dont interventions reportées Délai entre la consultation et l’intervention pour les patientes reportées (moy – min–max) Perdues de vue, non reprogrammées |
7 62,4 (17–103) 3a 78,7 (60-103) +16,3 jours 3 |
10 39,5 (13–88) 2 73 (66-80) +33,5 jours 0 |
31 33,3 (8–83) 8b 60,6 (31-83) +27,3 jours 0 |
3 26 (11–39) 1 39 +13 jours 0 |
Chimiothérapie première |
3 |
4 |
5 |
2 |
Autre (2d avis, surveillance) | 10 | 2 | 2 | 0 |
Hyperplasie canalaire atypique.
Hormonothérapie d’attente.
En gynécologie, les patientes étaient plus âgées durant la période de confinement (60,5 ans versus 53,6), sans que cette différence soit statistiquement significative (p = 0,278). Le très faible effectif des groupes n’a pas permis de réaliser d’analyse statistique pour comparer les prises en charge. À titre d’exemple, concernant les cancers de l’ovaire, il y a eu deux propositions de chimiothérapie néoadjuvante durant la période de confinement, aucune au cours de la période contrôle. Trois patientes ont vu leur intervention reportée après la levée du confinement (une pour un polype utérin, une pour une annexectomie prophylactique et une pour une suspicion de tumeur borderline). Ces résultats descriptifs sont détaillés dans le tableau IV .
Tableau IV.
Période contrôle n = 21 |
Période COVID n = 13 |
p | |
---|---|---|---|
Âge lors de la consultation (moy – EC) |
53,6 (17,2) |
60,5 (18,7) |
0,278 |
Prise en charge proposée à l’issue de la consultation – n (%) |
|||
Chirurgie Dont interventions reportées à la levée du confinement |
11 (52,4) |
6 (46,2) 3a |
0,278 |
Traitement systémique |
0 |
2 (15,4) |
|
Radiothérapie/radiochimiothérapie |
1 (4,7) |
2 (15,4) |
|
Autre (surveillance, second avis) |
9 (42,9) |
3 (23) |
|
Détail pour les tumeurs malignes |
n = 9 |
n = 8 |
|
Col utérin Chirurgie Radiochimiothérapie |
4 2 2 |
1 – 1 |
|
Corps utérin Chirurgie Radiothérapie palliative |
0 – – |
2 1 1 |
|
Annexes Cœlioscopie exploratrice Cytoréduction chirurgicale Chimiothérapie première Autre (avis) |
4 1 2 – 1 |
4 1 1 2 – |
|
Vulve Chirurgie Autre (palliatif) |
1 – 1 |
1 1 – |
Détail des interventions reportées : hystéroscopie pour polype utérin, annexectomie prophylactique, annexectomie pour suspicion de tumeur borderline.
Discussion
Dans notre établissement, nous avons observé une baisse de près de 43 % du nombre de demandes de prises en charge initiales pour une tumeur du sein ou gynécologique, malgré le maintien de ces plages de consultations ouvertes. Même en ne tenant pas compte des consultations pour reconstruction mammaire secondaire volontairement annulées, cela représente une baisse de 31,5 % des demandes de première prise en charge (124 patientes versus 85). En sénologie, le délai entre le diagnostic et la première consultation au centre a été allongé de plus de cinq jours, sans que cette différence soit statistiquement significative. En revanche, le délai de prise en charge après la consultation n’a pas été impacté par les mesures de confinement. Nous n’avons pas non plus mis en évidence de modification statistiquement significative des pratiques.
Cette étude présente un certain nombre de limites. La petite taille des effectifs en gynécologie et dans certains sous-groupes de cancers du sein n’a pas permis de mettre en évidence des variations de prise en charge, seuls des résultats descriptifs ont pu être rapportés. Il serait intéressant de recueillir ces données à l’échelle nationale pour plus de puissance dans l’analyse statistique. Par ailleurs, la période étudiée correspond à celle des mesures de confinement. Il était donc probablement trop tôt pour observer une modification significative dans le profil des patientes comme une taille tumorale plus importante ou l’augmentation du taux d’envahissement ganglionnaire. La poursuite du recueil sur les mois suivants sera essentielle pour analyser l’impact de la pandémie sur les facteurs pronostiques des patientes atteintes d’un cancer du sein ou gynécologique.
En France, les autorités françaises ont mis en place des mesures de confinement à partir du 16 mars 2020. Cependant, si les hôpitaux généraux et les centres hospitaliers universitaires ont priorisé leur activité pour prendre en charge les patients atteints de COVID-19, la pandémie n’a pas directement affecté les Centres de lutte contre le cancer. Sans service d’accueil des urgences générales, l’activité chirurgicale en cancérologie a pu être préservée tout en garantissant la sécurité des patients. Nous concernant, le circuit des patients a été réorganisé afin de sanctuariser le centre : prise de température et questionnaire à la recherche de symptômes évocateurs systématiquement réalisés à l’entrée, masque et gel hydro-alcoolique remis. Tous les patients sont testés avant une intervention chirurgicale. Du 2 mars au 10 mai 2020, 378 tests ont été réalisés dans l’établissement, seuls dix patients et quatorze salariés se sont révélés positifs au COVID-19, dont aucun chirurgien du département. Les visites des proches ont été suspendues, y compris les accompagnants en consultation. Une unité dédiée a été créée pour les patients infectés ou suspects d’infection par le COVID-19 et nécessitant une prise en charge oncologique (quatre patients au plus fort de l’épidémie). Les autres étaient transférés vers un hôpital général. Afin de réduire la circulation des patients, l’activité de reconstruction a été suspendue et l’usage de la télémédecine développé pour les consultations de surveillance. Malgré toutes ces mesures de sécurité visant à éviter le risque de contamination, une baisse importante des consultations pour une première prise en charge a été observée. Plusieurs explications peuvent être avancées. Concernant le cancer du sein, la Société française de radiologie a recommandé l’arrêt temporaire du dépistage et de réserver les examens aux patients présentant des symptômes (autopalpation d’une masse, par exemple) [4]. Plus inquiétant, bien que les déplacements pour les soins continuent d’être autorisés, les médecins généralistes ont observé une baisse significative de leurs consultations. Selon l’Assurance maladie, les mesures de confinement mises en place à partir du 17 mars ont freiné considérablement le recours aux soins. La fréquentation des cabinets de médecins généralistes a chuté de près de 30 % même en comptabilisant les téléconsultations, par rapport à la même période en 2019. En conséquence, le nombre de patients adressé à un spécialiste a lui aussi diminué, le taux de remboursement de ces consultations a ainsi baissé de plus de 50 % [13]. Pour certains Français, la pandémie de COVID-19 semble avoir dépassé toutes les autres préoccupations de santé [14]. Plus que les mesures de confinement, c’est la crainte d’être infecté qui a freiné le recours aux soins.
Dans notre étude, les patientes venues consulter durant la période du confinement étaient plus âgées, surtout en gynécologie (bien que la différence ne soit pas significative). C’est un constat étonnant, puisque les sujets âgés étant plus vulnérables au SARS-CoV-2, on pouvait s’attendre à ce qu’ils se déplacent moins. Cela peut être lié à l’arrêt du dépistage, qui a pu faire chuter les diagnostics des patientes les plus jeunes. En sénologie, la répartition par sous-type de lésions était différente selon les périodes, avec un taux plus important de consultations pour une lésion bénigne durant la pandémie. Ces lésions sont souvent découvertes à l’autopalpation. Peut-être que la baisse de diagnostic a surtout concerné les lésions infracliniques dépistées par la mammographie ou détectées à la palpation habituellement faite par le médecin traitant.
Concernant la prise en charge des patients, nous avons suivi les directives de l’Agence Régionale de Santé et les recommandations des sociétés savantes [2], [4], [15], [16]. Afin de limiter les risques de contamination pour les patientes et d’augmenter les capacités d’accueil potentielles des unités de soins intensifs, les protocoles habituels ont été modifiés de façon importante. Pour les cancers du sein, par exemple, une hormonothérapie était possible en cas de comorbidités et de tumeur exprimant les récepteurs hormonaux, afin de retarder la chirurgie. La chirurgie première était à privilégier pour les tumeurs triple-négatives T1N0. La chirurgie des carcinomes in situ pouvait être reportée jusqu’à six semaines, voire plus, pour les tumeurs de bas grade [2]. En gynécologie, la radiochimiothérapie concomitante devait, si possible, être envisagée en première ligne dans le cancer du col utérin. Pour les cancers de l’ovaire de stade avancé, où la chirurgie peut nécessiter une prise en charge postopératoire en soins intensifs, la chimiothérapie néoadjuvante devait être préférée même si une cytoréduction était possible. Pour les cancers de l’endomètre à bas risque, la chirurgie pouvait être reportée d’un ou deux mois [16]. Ces recommandations ont permis de standardiser les prises en charge durant cette période inédite. Elles n’ont néanmoins pas tenu compte de l’hétérogénéité de l’épidémie sur le territoire national. Tout en suivant ces recommandations, nous n’avons pas observé de modifications significatives de nos pratiques et nous avons continué à prendre en charge nos patients atteints de cancer en toute sécurité. Il est important de souligner que le délai de prise en charge, notamment pour les lésions mammaires à haut risque, n’a pas été affecté par les mesures de confinement. Aucun patient de l’étude n’a par ailleurs été infecté par le SARS-CoV-2 à ce jour.
Conclusion
Devant cette situation sans précédent, les pratiques ont dû être adaptées pour faire face à une pandémie qui aurait pu avoir de graves conséquences pour les malades atteints de cancer. Cependant, nous devions continuer à proposer des traitements qui ne peuvent être reportés trop longtemps du fait du risque propre au cancer. En conséquence, nous avons dû en permanence évaluer les bénéfices et les risques du traitement du cancer face au risque d’exposition à la COVID-19. Cela a nécessité, et requiert encore aujourd’hui, une réactivité totale et de grandes capacités d’adaptation. Au sein de l’établissement, des cellules de crises se sont tenues initialement chaque jour, puis chaque semaine, afin de faire le point sur la progression de l’épidémie localement et de proposer des stratégies de prise en charge. Au plus fort de l’épidémie, il a pu y avoir des réactions de peur de la part des patients qui n’ont pas consulté. La communication des chirurgiens et médecins oncologues et, plus largement, des professionnels de santé était alors fondamentale pour sécuriser, rassurer les patients afin qu’ils puissent être traités en toute sécurité et qu’ils n’échappent pas à une prise en charge de fond qui est cruciale. L’évaluation des pratiques en oncologie au décours de la pandémie de COVID-19 est essentielle pour en comprendre le réel impact, et se préparer à d’éventuelles crises futures.
Déclaration de liens d’intérêts
les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
- 1.Akladios C., Azais H., Ballester M., Bendifallah S., Bolze P.A., Bourdel N. Recommendations for the surgical management of gynecological cancers during the COVID-19 pandemic – FRANCOGYN group for the CNGOF. J Gynecol Obstet Hum Reprod. 2020;49(6):101729. doi: 10.1016/j.jogoh.2020.101729.Epub. [PubMed PMID : 32247066. Pubmed Central PMCID : 7118621] [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 2.Gligorov J., Bachelot T., Pierga J.Y., Antoine E.C., Balleyguier C., Barranger E. COVID-19 and people followed for breast cancer: French guidelines for clinical practice of Nice-St Paul de Vence, in collaboration with the Collège nationale des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), the Société d’imagerie de la femme (SIFEM), the Société française de chirurgie oncologique (SFCO), the Société française de sénologie et pathologie mammaire (SFSPM) and the French Breast Cancer Intergroup-UNICANCER (UCBG) Bull Cancer. 2020;107(5):528–537. doi: 10.1016/j.bulcan.2020.03.008. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 3.National University Cancer Institute of Singapore Workflow T A segregated-team model to maintain cancer care during the COVID-19 outbreak at an academic center in Singapore. Ann Oncol. 2020;31(7):840–843. doi: 10.1016/j.annonc.2020.03.306. [PubMed PMID : 32243893. Pubmed Central PMCID :7174823] [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 4.radiologie Sfd. Examens de dépistage, et notamment mammographies systématiques https://ebulletin.radiologie.fr/actualites-covid-19/examens-depistage-notamment-mammographies-systematiques.
- 5.Guan W.J., Ni Z.Y., Hu Y., Liang W.H., Ou C.Q., He J.X. Clinical characteristics of coronavirus disease 2019 in China. N Engl J Med. 2020;382(18):1708–1720. doi: 10.1056/NEJMoa2002032. [PubMed PMID : 32109013. Pubmed Central PMCID : 7092819] [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 6.Liang W., Guan W., Chen R., Wang W., Li J., Xu K. Cancer patients in SARS-CoV-2 infection: a nationwide analysis in China. Lancet Oncol. 2020;21(3):335–337. doi: 10.1016/S1470-2045(20)30096-6. [PubMed PMID : 32066541. Pubmed Central PMCID : 7159000] [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 7.Dai M., Liu D., Liu M., Zhou F., Li G., Chen Z. Patients with cancer appear more vulnerable to SARS-CoV-2: a multicenter study during the COVID-19 outbreak. Cancer Discov. 2020;10(6):783–791. doi: 10.1158/2159-8290.CD-20-0422. [PubMed PMID : 32345594] [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 8.Wang H., Zhang L. Risk of COVID-19 for patients with cancer. Lancet Oncol. 2020;21(4):e181. doi: 10.1016/S1470-2045(20)30149-2. [PubMed PMID : 32142621. Pubmed Central PMCID : 7129735] [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 9.Xia Y., Jin R., Zhao J., Li W., Shen H. Risk of COVID-19 for patients with cancer. Lancet Oncol. 2020;21(4):e180. doi: 10.1016/S1470-2045(20)30150-9. [PubMed PMID : 32142622. Pubmed Central PMCID : 7130057] [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 10.Vuagnat P., Frelaut M., Ramtohul T., Basse C., Diakite S., Noret A. COVID-19 in breast cancer patients: a cohort at the Institut Curie hospitals in the Paris area. Breast Cancer Res. 2020;22(1):55. doi: 10.1186/s13058-020-01293-8. [PubMed PMID: 32460829. Pubmed Central PMCID : 7254663] [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 11.Grosclaude P., Azria D., Guimbaud R., Thibault S., Daubisse L., Cartron G. COVID-19 impact on the cancer care structuration: example of the multidisciplinary team meeting dedicated to oncology in Occitanie. Bull Cancer. 2020;107(7–8):730–737. doi: 10.1016/j.bulcan.2020.05.001. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 12.ANAES . 2020. Evaluation des pratiques professionnelles dans les établissements de santé – Chirurgie des lésions mammaires : prise en charge de première intention.https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2 [Google Scholar]
- 13.Maladie CNdA . 2020. L’actualité en quelques chiffres – Les remboursements de soins du régime général à fin avril 2020.https://wwwamelifr/fileadmin/user_upload/documents/Communique_des_depenses_Fin_avril_2020pdf [Google Scholar]
- 14.ODOXA . 2020. Le Carnet de santé : les Français, les soignants et le COVID-19 Baromètre Carnet de santé, réalisé par Odoxa pour la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH)http://www.odoxa.fr/sondage/soignants-cruellement-touches-covid-19-plus-aimes-jamais-francais/ [Google Scholar]
- 15.Ceugnart L., Delaloge S., Balleyguier C., Deghaye M., Veron L., Kaufmanis A. Breast cancer screening and diagnosis at the end of the COVID-19 confinement period, practical aspects and prioritization rules: recommendations of 6 French health professionals societies. Bull Cancer. 2020;107(6):623–628. doi: 10.1016/j.bulcan.2020.04.006. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 16.Classe J.M., Dolivet G., Evrard S., Ferron G., Lecuru F., Leufflen L. French Society for Surgical Oncology (SFCO) guidelines for the management of surgical oncology in the pandemic context of COVID-19. Bull Cancer. 2020;107(5):524–527. doi: 10.1016/j.bulcan.2020.03.010. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]