Dans une tribune intitulée « la salle d’accouchement est-elle une zone de non-droit ? » publiée dans Libération le 9/11/2020, les signataires expliquent que « l’obligation du port du masque [pour les femmes durant l’accouchement] aurait de graves conséquences : hausse de l’utilisation des forceps, des déchirures périnéales, des fièvres, des injections d’ocytocines, des stress post-traumatiques ou des dépressions du post-partum » [1].
La métropole de Nancy a été durement touchée lors de la première vague de COVID-19 dès mars 2020. Le port du masque lors des efforts expulsifs a fait partie des mesures de sécurité mises d’emblée en œuvre par notre équipe, reposant sur une compréhension et une adhésion des femmes, et non sur une stricte obligation, en accord avec les recommandations successives du CNGOF et du Haut Conseil de santé publique : « pendant les efforts expulsifs, le port du masque est souhaitable car il protège les soignants et la femme elle-même. Il ne peut être imposé » [2], [3]. Cette recommandation est expliquée aux femmes en fin de grossesse et en début de travail. Les femmes se savent libres de retirer leur masque en cas de mauvaise tolérance, ce qui n’arrive qu’exceptionnellement.
N’ayant pas retrouvé d’arguments dans la littérature en faveur des « graves conséquences » obstétricales dues au port du masque évoquées dans Libération, affirmations à la fois anxiogènes pour les femmes enceintes et culpabilisantes pour les équipes soignantes, nous avons évalué les taux d’aides instrumentales, de césariennes, d’épisiotomies et de déchirures complètes dans notre centre sur les accouchements après 36 SA. Nous avons comparé trois périodes : la période « port du masque » de mars à octobre 2020, et les périodes de mars à octobre 2019 et 2018.
Aucune différence statistiquement significative n’a été retrouvée pour les taux d’aides instrumentales, de césariennes et de déchirures complètes entre ces périodes. Nous avons noté cependant une baisse significative du taux d’épisiotomie entre 2018 et 2020 (2,3 % vs 1,1 % p = 0,009) (Tableau 1 ). La même absence de modification des pratiques à l’accouchement, entre périodes avec et sans port du masque, a également été vérifiée au CHU de Lyon et à la maternité de Saint-Cloud.
Tableau 1.
Évolution des issues des accouchements au-delà de 36 SA.
2020 | 2019 | 2018 | |
---|---|---|---|
Nombre d’accouchements | 1720 | 1563 | 1564 |
Taux d’aides instrumentales | 16,0 % | 16,0 % | 17,5 % |
Taux de césariennes | 17,0 % | 15,2 % | 14,2 % |
Taux d’épisiotomie | 1,1 % | 1,0 % | 2,3 % |
Taux de déchirures complètes | 1,1 % | 1,1 % | 1,0 % |
Ce qui est affirmé dans cette tribune est donc faux. Le port du masque n’a pas été à l’origine d’une augmentation du taux d’interventions ou de lésions périnéales pour les femmes prises en charge dans notre maternité depuis le début de la pandémie.
L’impact psychologique de la pandémie est effectivement un sujet de préoccupation majeur. Notre équipe coordonne, depuis avril 2020, une étude multicentrique concernant l’impact des mesures liées à la pandémie de COVID-19 en salle de naissance sur le vécu des femmes enceintes (étude CONFINE, NCT04348929). Une évaluation objective des risques de stress post-traumatiques pourra ainsi être très prochainement disponible.
Les questions portant sur toute forme de prise en charge de la grossesse, de l’accouchement ou de la période post-natale, pouvant être ressenties comme une « violence obstétricale », doivent être une préoccupation majeure des différents acteurs de la périnatalité. Ces questions devraient cependant être traitées avec la même rigueur scientifique que celles portant sur la sécurité ou une égalité d’accès à des soins de qualité.
La situation sanitaire actuelle est source de nombreuses inquiétudes pour le vécu des futurs parents : impact des confinements successifs, isolement relatif des proches et des familles, risques sociaux…mais également, est-il utile de le rappeler, risques liés au coronavirus pour les mères et les nouveau-nés [4] ! Nos connaissances et notre capacité commune à lutter contre l’épidémie restent incomplètes. Les données actuellement disponibles plaident en faveur du port du masque. Celui-ci n’a pas d’impact évident sur les issues d’accouchement.
Ne laissons pas affirmer le contraire à tort. Ne laissons pas attaquer sans fondement nos collègues, nos équipes, soignants et non soignants, qui travaillent depuis le début de la pandémie dans le but d’assurer la sécurité des patientes et de leurs enfants dans ce contexte sanitaire exceptionnel.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
- 1.Petit V. 2020. La salle d’accouchement va-t-elle devenir une zone de non-droit ? Libération.fr. [cité 17 nov 2020 ; disponible sur : https://www.liberation.fr/debats/2020/11/09/la-salle-d-accouchement-va-t-elle-devenir-une-zone-de-non-droit_1804877] [Google Scholar]
- 2.CNGOF. 2020. Protocole de gestion des cas contacts, possibles ou confirmés. [Google Scholar]
- 3.HCSP. Haut Conseil de la santé publique; Paris: 2020. COVID-19 : port du masque chez les femmes qui accouchent. Rapport de l’HCSP. [cité 22 nov 2020 ; disponible sur : https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=941] [Google Scholar]
- 4.Hascoët J.-M., Jellimann J.-M., Hartard C., Wittwer A., Jeulin H., Franck P. Case series of COVID-19 asymptomatic newborns with possible intrapartum transmission of SARS-CoV-2. Front Pediatr. 2020:8. doi: 10.3389/fped.2020.568979. [cité 22 nov 2020 ; disponible sur : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fped.2020.568979/full] [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]