Abstract
Introduction
La pandémie au coronavirus SARS-CoV-2 a profondément impacté la pratique des soignants. L’objectif est d’analyser les questionnements éthiques soulevés par la communauté ORL française pendant la première vague d’infections au COVID-19.
Méthodes
Un appel à témoignage a été lancé à propos des questionnements éthiques en ORL au mois d’avril 2020, avec quatre questions ouvertes standardisées : (i) les difficultés de prise en charge pour les patients COVID-19 positifs ; (ii) le retentissement de la crise sanitaire sur les patients COVID-19 négatifs ; (iii) la communication avec les équipes soignantes et/ou le personnel de consultation et de bloc ; et (iv) le traitement des informations par la presse et les instances nationales de l’ORL. Une analyse thématique de contenu a été effectuée en croisant avec les données épidémiologiques de chaque répondant.
Résultats
Trente et un réponses provenant de 13 départements français différents, dont 21 hospitaliers et 10 libéraux, âge médian de 45 ans et 17 hommes pour 14 femmes, ont été analysées. Les questionnements éthiques concernaient la prise en charge par les ORL des patients COVID-19 positifs, la modification des pratiques en consultation et au bloc opératoire, la crainte de perte de chance pour les patients COVID-19 négatifs, l’usage approprié des téléconsultations et du télétravail et les conséquences délétères des fausses informations pour le grand public.
Conclusion
En préparation de possibles futures pandémies, les aspects éthiques clés sont d’adapter la prise en charge des patients aux ressources et à la prévalence locale, et de diffuser des recommandations institutionnelles claires.
Mots clés: Éthique, COVID, ORL, Pandémie, Témoignages
Abstract
Introduction
The current new SARS-CoV-2 pandemic has had a profound impact on medical practice. The objective was to analyse the ethical questions raised by the French ENT community during the first wave of COVID-19 infections.
Methods
Four open-ended questions concerning ethical considerations in ENT were sent out in April 2020: (i) difficulties to care for COVID-19 positive patients; (ii) impact of the health crisis on COVID-19 negative patients; (iii) communication within the healthcare teams and with hospital staff; and (iv) management of information by the press, or national ENT societies. A thematic analysis was carried out and crossed with the epidemiological data of each respondent.
Results
Thirty-one responses from 13 different French Departments, including 21 from public institutions and 10 from private practice, median age of 45 and 17 men for 14 women, were analysed. The main ethical considerations concerned the management by ENTs of COVID-19 positive patients, the modification of practices in consultation and in the operating room, the fear of loss of chance for COVID-19 negative patients, the appropriate use of teleconsultations and teleworking and the consequences of fake-news for the population.
Conclusion
In preparation of possible future pandemic outbreaks, key ethical aspects are to adapt patient management to local resources and infection prevalence, and circulate clear institutional guidelines.
Keywords: Ethics, COVID, ENT, Pandemic, Questionnaires
Introduction
La pandémie actuelle au nouveau coronavirus SARS-CoV-2, communément appelée COVID-19, a profondément altéré la pratique des soignants.
Ce bouleversement brutal et rapide des missions de soins a généré des problèmes éthiques, relatifs entre autres à la prise en charge de tous les patients (infectés ou non), aux relations interprofessionnelles dans les équipes et avec les institutions, et à la crainte de la contamination des soignants eux-mêmes, auxquels tous les praticiens ont été confrontés et ont dû faire face [1]. Lors de la première vague, les ORL se sont retrouvés dans une situation inédite d’inactivité (consultations et interventions massivement annulées) avec la nécessité de s’adapter quotidiennement pour assurer le maintien de leurs missions de soins. Spécialité requérant l’examen répété des cavités nasales et buccales, les ORL sont particulièrement à risque de contamination. Ce contexte angoissant pour leur santé et celle de leurs proches, était ajouté aux difficultés déontologiques liées à la sensation d’abandon des patients faute de pouvoir prendre en charge les pathologies ORL dans des délais ou conditions satisfaisantes.
Cette transformation, imposée des pratiques professionnelles, a ainsi entraîné non seulement l’émergence de questionnements éthiques et déontologiques nouveaux sur les missions de soins et le rapport à autrui dans les équipes professionnelles, mais également le déploiement foudroyant de nouveaux outils, comme le télétravail et la téléconsultation, eux-mêmes à l’origine de nouveaux questionnements quant à leur utilisation dans les missions de soins.
L’objectif était de faire une analyse des questionnements éthiques soulevés par la communauté ORL française pendant la première vague de COVID-19, par analyse qualitative de témoignages.
Matériel et méthodes
Une liste de diffusion nationale a été utilisée pour lancer un appel à témoignage, à propos des questionnements éthiques en ORL liés à la crise sanitaire du COVID-19 au mois d’avril 2020, au sommet de la première vague de cas en France. Pour cadrer les réponses, des questions ouvertes ont été formulées, s’inspirant à la fois de retours informels de la part de collègues et des points d’attention formulés par le Comité consultatif national d’éthique le 13 mars 2020, qui insistent sur les problématiques liées à l’accès au soin mais aussi à la communication en temps de crise [2]. Quatre questions ouvertes étaient diffusées : (i) les difficultés de prise en charge pour les patients COVID-19 positifs ; (ii) le retentissement de la crise sanitaire sur les patients COVID-19 négatifs ; (iii) la communication avec les équipes soignantes et/ou le personnel de consultation et de bloc ; et (iv) le traitement des informations par la presse et les instances nationales de l’ORL (la Société française d’otorhinolaryngologie, le Collège français d’otorhinolaryngologie et chirurgie cervico-faciale, le Syndicat national d’otorhinolaryngologie et le Conseil national professionnel d’otorhinolaryngologie et chirurgie cervico-faciale).
Pour chaque question, une analyse thématique de contenu a été réalisée, en nous aidant des champs lexicaux utilisés [3], [4]. Les thèmes ont été statistiquement analysés (Wilcoxon, Chi2 ou Fisher) en fonction des caractéristiques des répondants pour rechercher des facteurs explicatifs : âge, sexe, type d’exercice (libéral ou hospitalier), gravité de la pandémie dans le département d’exercice [5] (ratio de patients hospitalisés pour COVID-19 par rapport à la population en personnes pour 10 000 habitants soit ‱; données obtenues le 12 avril 2020 sur le site Santé Publique France ; cartographie représentée en Fig. 1 ). Les résultats chiffrés sont exprimés en médiane [1er quartile ; 3e quartile].
Résultats
Les 31 réponses recueillies entre le 31 mars et le 21 avril 2020 ont été analysées. Les répondants provenaient de 13 départements différents (Fig. 1) et comprenaient 21 salariés hospitaliers (68 %) pour 10 médecins ORL libéraux et 17 hommes (55 %) pour 14 femmes. L’âge médian des répondants était de 45 ans [39 ; 57]. Le nombre médian d’hospitalisés pour COVID-19 était de 6,8 ‱ [3 ‱ ;15 ‱]. Le nombre médian de mots à chaque réponse était de 155 [86 ; 237], 166 [89 ; 366], 94 [40 ; 131] et 97 [45 ; 138] pour les questions 1 à 4 respectivement. Sur les 31 personnes interrogées, 27 ont répondu à la question 1 ; 30 à la 2 ; 27 à la 3 et 28 à la 4.
Les mots utilisés par les répondants sont répertoriés dans le Tableau 1 et les thèmes dans le Tableau 2 . La Fig. 2 montre le nuage de mots généré automatiquement.
Tableau 1.
Question 1 | Question 2 | Question 3 | Question 4 |
---|---|---|---|
Prise en charge (52 % ; 20) | Patient (93 % ; 132) | Équipe (70 % ; 33) | Information (61 % ; 39) |
Réanimation (48 % ; 35) | Consultation (70 % ; 39) | Communication (67 % ; 28) | Société savante (50 % ; 16) |
ORL (42 % ; 19) | COVID (67 % ; 55) | Soignant (44 % ; 24) | Recommandation (43 % ; 17) |
Risque (39 % ; 33) | Urgent (57 % ; 36) | Information (34 % ; 14) | ORL (43 % ; 15) |
Protection (39 % ; 22) | Téléconsultation (47 % ; 22) | Difficile (30 % ; 11) | Presse (43 % ; 14) |
Masques (39 % ; 20) | Chirurgie (47 % ; 38) | Réunion/visio (27 % ; 7) | COVID (39 % ; 20) |
Difficulté (32 %) | Prise en charge (43 % ; 29) | Patient (23 % ; 10) | Scientifique (39 % ; 14) |
Consultation (29 % ; 18) | Difficultés (43 % ; 24) | Crise (20 % ; 7) | Patient (32 % ; 15) |
Cancer (29 % ; 6) | Risque (40 % ; 32) | Crise (32 % ; 11) | |
Service (26 % ; 11) | ORL (40 % ; 30) | Prise en charge (29 % ; 11) | |
Trachéotomie (23 % ; 12) | Perte de chance (37 % ; 13) | Anxiété (25 % ; 10) | |
Personnes (23 % ; 14) | Cancérologie (33 % ; 22) | ||
Place (23 % ; 11) | Protection (30 % ; 13) | ||
Réanimation (23 % ; 17) | |||
Soins (23 % ; 13) | |||
Crise (23 % ; 13) | |||
Éthique (20 % ; 14) | |||
Trachéotomie (20 % ; 12) |
Pour chaque question, les mots utilisés plus de 10 fois ou par plus de 20 % des répondants sont présentés par nombre décroissant (en retirant les conjonctions, et en combinant les familles de mots, adjectifs, verbes et noms). Il est indiqué le pourcentage de répondant utilisant le mot puis le nombre total d’utilisations entre parenthèses : question 1 : quelles étaient les difficultés de prise en charge pour les patients COVID-19 positifs ? ; question 2 : quelle était la gestion et le retentissement sur les patients COVID-19 négatifs ? ; question 3 : questionnements sur la communication avec les équipes soignantes et/ou votre personne de consultation et de bloc ? ; question 4 : questionnements sur le traitement des informations par la presse et des instances nationales de l'ORL ?
Tableau 2.
Thèmes | Nombre (%) de répondants |
---|---|
Question 1 | 27 |
Matériel de protection et de dépistage | 15 (56 %) |
Crainte du COVID-19 | 14 (52 %) |
Difficulté de prise en charge | 13 (48 %) |
Question 2 | 30 |
Perte de chance du patient | 23 (78 %) |
Téléconsultation | 14 (47 %) |
Respect des recommandations officielles | 10 (33 %) |
Double contrainte (limiter les consultations en assurant la mission de soin) | 7 (23 %) |
Question 3 | 27 |
Communication entre les soignants | 22 (81 %) |
Relations interprofessionnelles | 13 (48 %) |
Innovation | 11 (41 %) |
Vécu émotionnel | 9 (33 %) |
Question 4 | 28 |
Diffusion de la connaissance par les sociétés savantes | 26 (93 %) |
Information médiatique | 19 (68 %) |
Crise pandémique | 9 (32 %) |
Question 1 : quelles étaient les difficultés de prise en charge pour les patients COVID-19 positifs ? ; question 2 : quelle était la gestion et le retentissement sur les patients COVID-19 négatifs ? ; question 3 : questionnements sur la communication avec les équipes soignantes et/ou votre personne de consultation et de bloc ? ; question 4 : questionnements sur le traitement des informations par la presse et des instances nationales de l'ORL ? En gras : nombre (%) de répondants aux 4 questions.
Question 1 : les difficultés de prise en charge pour les patients COVID-19 positifs
Le thème du matériel de protection et de dépistage du SARS-CoV-2 a été le principal rapporté. Le besoin de protection est rapporté par 15 répondants (« matériel », « blouse », « masque », « ffp2 »). Parmi-eux, 8 répondants évoquent le champ lexical du manque de matériel de protection des personnes (« manque », « pénurie », « absence », « insuffisant ». Enfin, cinq répondants utilisent le champ lexical de la fiabilité, concernant le test diagnostic PCR du SARS-CoV-2 (« risque », « faux-négatif », « suspicion »). La crainte était le deuxième thème, avec le champ lexical de la peur de la maladie exprimé par 14 répondants (« gravité », « anxiété », « contamination »). Concernant le patient, le champ lexical de la crainte de ne pas pouvoir prendre en charge les patients atteints de COVID-19 pour leur pathologie infectieuse était exprimée par 4 répondants (« impossibilité », « limites », « saturation »). Le troisième thème était la prise en charge de ces patients, avec en premier lieu chez 13 répondants la difficulté de correctement prendre en charge une pathologie ORL chez un patient COVID positif (« morbidité », « dégradé », « risque »), 7 répondants prenant l’exemple de la trachéotomie. Le champ lexical de la difficulté de la réalisation d’actes ORL (nasofibroscopies) est rapporté par 13 répondants (« contrainte », « précautions », « limiter »). Un champ lexical questionnant le rôle soignant de l’ORL dans leur prise en charge est rapporté chez 11 répondants, dont 7 faisaient référence à leur expérience en équipes COVID (« mission », « secteur COVID », « réaffectation », « brancardage ») et 4 à leur place dans le réseau de soin avec les urgences ou la réanimation en tant qu’ORL (« trachéotomie », « dépistage », « adresser »).
Question 2 : le retentissement de la crise sanitaire sur les patients COVID-19 négatifs
Le thème de la crainte de perte de chance pour le patient est abordé par 23 répondants plus fréquemment dans les zones géographiques les moins touchées (6,8 ‱ vs 15,1 ‱ ; p = 0,043), associé au champ lexical évoquant le report de patients dans 21 réponses (« annulation », « fermeture », « déprogrammation »), surtout dans les zones moins touchées (6,8 ‱ vs 15,1 ‱ ; p = 0,022). Il est également associé au champ lexical évoquant l’autocensure de patients dans 14 réponses, et à celui du principe de précaution (« refus de prise en charge », « pas une priorité », « minimisé ») dans 5 réponses. Le thème de l’usage de la téléconsultation pour la discipline ORL est abordé par 14 répondants, surtout dans les zones les plus touchées (15,1 ‱ vs 6,3 ‱ ; p = 0,032). Il est associé au champ lexical de l’altération de la qualité des soins (« dégradé », « coup de téléphone », « expérience malheureuse ») dans 5 réponses et à celui de la nécessité (« déploiement éclair », « rassurer », « impératif déontologique ») dans 9 réponses. Le thème du respect des recommandations des sociétés savantes nationales dans la pratique clinique est abordé par 10 répondants, associé au champ lexical de la difficulté (« comment faire ? », « difficile », « choix ») chez 13 répondants, cette association étant plus fréquente chez les femmes (9 femmes vs 4 hommes ; p = 0,025) et chez les praticiens les plus jeunes (âge 39 vs 49 ; p = 0,040). Le thème de la double contrainte (limiter les consultations pour diminuer la transmission du virus mais continuer à assurer ses missions de soins) est abordé par 7 répondants, le plus souvent dans les zones les moins touchées (2,3 ‱ vs 9,8 ‱ ; p = 0,039). Ces répondants se demandent jusqu’à quel point la qualité de la prise en charge médicale doit être « dégradée » ou « diminuée » pour protéger les soignants et patients du SARS-CoV-2. Ce dilemme s’exprime aussi dans la peur d’exposer inutilement les patients au SARS-CoV-2 (8 répondants).
Question 3 : la communication avec les équipes soignantes et/ou le personnel de consultation et de bloc
Le thème de la communication entre soignants est abordé par 22 répondants, associé au champ lexical de la facilité dans 13 réponses (« quotidienne », « optimale », « peu problématique », « fluide », « régulière », « excellente ») et celui de la difficulté ou l’absence (« pas de … », « difficile ») pour deux. Il est également associé au champ lexical de la manipulation de l’information dans 4 réponses (« rumeurs », « contradictoires », « compte-goutte », « changeantes », « bruit de couloir »), considérée par ces répondants comme un frein à la communication. Le thème des relations interprofessionnelles est abordé par 13 répondants, entre personnels médicaux et paramédicaux dans 10 cas et entre personnel médical et l’administration (« administration », « administratifs », « instances administratives », « direction ») dans cinq cas. Il est associé au champ lexical de la cohésion (« cohésion », « lien », « soudés », « famille », « solidarité », « convivial ») dans les 10 cas entre soignants et un cas avec l’administration et à celui de la désunion et la dispersion dans les quatre autres cas avec l’administration (« ramant », « morcellement », « cacophonie », « martial », « non participatif »). Le thème de l’innovation est abordé par 11 répondants et est associé au champ lexical de l’outil numérique (« outils numériques » « tchat », « WhatsApp », « Microsoft Team », « Zoom », « visio », « téléconsultation », « télétravail ») dans 7 réponses, et celui de l’adaptation comportementale (« réaffectation », « mise en place », « mise en route », « réorganisation » « créer », « développer des solutions ») dans 7 réponses. Le thème du vécu émotionnel des équipes soignantes, abordé par 9 répondants, est associé au champ lexical des émotions négatives (« en souffrance », « anxiété majeure », « inquiétude », « peur », « stress », « confusion », « attente ») dans 7 réponses et celui des émotions positives (« en confiance », « pas de stress ») dans 2 réponses. Ce thème était uniquement abordé par les salariés hospitaliers (9 hospitaliers ; p = 0,026), ainsi que par les plus jeunes (41 vs 50 ; p = 0,035).
Question 4 : le traitement des informations par la presse et les instances nationales de l’ORL
Le thème de la diffusion de la connaissance scientifique par les sociétés savantes et fédération professionnelles nationales est abordé par 26 répondants et est associé au champ lexical de l’appréciation positive, sur le plan qualitatif (« clair », « apprécié », « qualité », « bonne », « excellents ») dans 7 réponses, sur le plan quantitatif (« complets », « fréquentes ») dans 2 réponses, et sur le plan de la cohérence eu égard à la situation pandémique (« adapté », « cohérence », « utilité », « indispensables », « à propos ») dans 7 réponses. Il est également associé au champ lexical de la rapidité concernant les mesures mises en œuvre par les instances nationales (« rapide », « rapidement », « rapidité », « réactivité », « précocement », « dynamisme ») dans 7 réponses. Le thème de l’information médiatique est abordé par 19 répondants et est associé au champ lexical du vecteur de l’information (« médias », « médiatisation », « presse », « journaux », « radio », « télévision », « internet », « réseau sociaux ») dans 14 réponses. Il est également associé au champ lexical de la manipulation de l’information, tant par une dérégulation quantitative (« trop », « foisonnement », « inonder », « excessive », « énormément ») dans 7 réponses, que par une dérégulation qualitative (« sensationnalisme », « sensationnaliste », « sensationnel », « scoop ») dans 5 réponses, ou par désinformation (« fake news », « erronée ») dans 5 réponses. Il est associé au champ lexical de la légitimité de ceux qui diffusent la connaissance scientifique dans les médias (« légitimité », « ni scientifiques, ni médecins » « non formés », « néophytes ») dans 4 réponses. Il est aussi associé au champ lexical des émotions négatives (« anxiogène », « panique », « peur ») dans 8 réponses. Enfin, il est associé au champ lexical des émotions positives (« acceptation », « respect », « adhésion ») dans 3 réponses. Le thème de la crise est abordé par 9 répondants, associé au champ lexical de la santé (« sanitaire ») dans 4 réponses, à celui de l’économie (« financière », « économique ») dans 2 réponses et à celui des émotions négatives de type anxiété (« ampleur » « maudite » « inquiétude » « danger » « fragilise » « panique générale ») dans 5 réponses.
Discussion
Les répondants ont rapporté de nombreuses problématiques éthiques, celles-ci variant surtout en fonction de l’incidence du COVID-19 dans le département d’exercice, mais rarement en fonction de l’âge, du sexe ou du type d’exercice des soignants.
Plusieurs questions ont été soulevées concernant le rôle qui était celui de l’ORL pendant la première vague de la pandémie, plus particulièrement auprès des patients COVID-19 positifs. De nombreux répondants se sont portés volontaires et ont participé à l’effort collectif sans pratiquer leur spécialité (liaison avec les familles, brancardiers, infirmiers, etc.). D’autres ont pu assister les services de réanimation en pratiquant des trachéotomies, soulevant des questions de légitimité de nouvelles pratiques ou d’innovation en matière de protection [6], [7], [8], [9].
Dans la réponse aux quatre questions, le sentiment de crainte et d’inquiétude a été retrouvé de façon répétée. En premier lieu, la crainte de ne pas avoir le matériel et l’équipement de protection nécessaire était source d’angoisse et parfois de colère. Spécialistes particulièrement exposés, les ORL ont exprimé la difficulté de trouver l’équilibre entre se protéger et s’occuper des autres [10]. La question de nombreux ORL était de savoir quels actes il fallait continuer à faire chez les patients : les soins courants (examens buccaux, nasofibroscopies, aspirations, etc.) exposants à la projection de gouttelettes, ont été remis en question, tous les patients étant considérés comme potentiellement SARS-CoV-19 positifs pendant la première vague [11]. Cette prise en charge dégradée des soins a fait craindre une perte de chance pour le patient. De nombreuses recommandations ont été rédigées et diffusées par les sociétés savantes, s’appuyant sur les consensus émanant d’un groupe d’expert [12], pour encadrer ces nouvelles pratiques et permettre de justifier la modification et les reports de prise en charge des patients [11], [13], [14], [15], [16], [17]. Ces démarches sont nécessaires pour garantir une équité de l’accès aux soins. Globalement plébiscitées par les répondants, des recommandations transparentes et responsables sont clés pour une prise en charge éthique, permettant une prise en charge déontologique uniforme d’un praticien à un autre et facilitant la lutte à l’échelle nationale contre la propagation du SARS-CoV-2 [18]. Cependant, elles soulèvent d’autres questionnements éthiques pour la prise en charge des patients COVID-19 négatifs à l’échelle locale, pouvant paraître rigide et entrer en contradiction avec les moyens à disposition (notamment de protection) de chacun et la réalité de contagiosité du terrain. Ceci est particulièrement vrai dans les départements les moins touchés, qui mettent en avant l’excès du principe de précaution et rapportent davantage les thèmes de perte de chance et report de prise en charge, reflétant une volonté de retour à la normale. La réponse à la question est probablement locale, avec la nécessité d’une flexibilité et d’une adaptabilité en temps réel des recommandations nationales en prenant en compte l’épidémiologie et la disponibilité des plateaux techniques dans différents départements à un moment donné [19].
La sensation de ne pas remplir son devoir médical auprès du patient était très présente, à la fois en n’étant pas disponible pour le prendre en charge et à l’inverse en l’exposant au risque infectieux du covid-19 en insistant pour qu’il se déplace. Ainsi, la déshumanisation de la relation médecin-malade était palpable, avec la disparition de la majorité des consultations face-à-face, soit à cause des reports ou l’autocensure des patients, soit à cause du recours à la téléconsultation. Cette technologie est éthiquement ambivalente, car d’un côté elle rejoint la dégradation de la qualité du soin, l’ORL étant une spécialité orificielle dont l’examen clinique est difficile à numériser, mais de l’autre elle permet de garder le lien avec le patient et de répondre au devoir médical de ne pas l’abandonner en permettant de mieux cibler les indications de consultation face-à-face [11], [20].
La cohésion entre les équipes de soignants et avec l’administration a été mise en avant par une majorité de répondants comme quelque chose positif. En situation de crise, l’exigence de solidarité peut rentrer en conflit avec la liberté individuelle, par exemple avec des comportements de défiance ou le recours au droit de retrait qui ont pu être constaté parmi les soignants [2]. L’effort de communication entre les différents corps de métiers lors des réorganisations en urgence des rôles et des emplois du temps lors de la première vague, nous a semblé être un enjeu éthique pour améliorer à la fois la pédagogie et l’efficience de la réorganisation sur le terrain. Des plateformes ont aussi permis une explosion des pratiques de télétravail (visioconférences, webinars, etc.), facilitant la communication au sein des équipes soignantes, mais soulevant la question de leur devenir lors du retour à la normale du contexte sanitaire dans plusieurs mois. Certains effets délétères du télétravail sur le travailleur, en termes de surcharge temporelle, physique, émotionnelle et cognitive de travail, mais également sur son entourage, ont déjà été signalés [21]. Le contexte sanitaire actuel rendra ainsi peut-être nécessaire une réflexion sur les bonnes pratiques en télétravail et téléconsultation.
Un dernier mode de communication à dimension éthique est celui des médias et des réseaux sociaux, qui a été rapporté de façon négative par les répondants. En diffusant les informations relatives au coronavirus, les médias remplissent leur rôle d’information du public en se faisant le relai d’experts et en vulgarisant leurs messages. Toutefois, cet excès d’information anxiogène peut être délétère en jouant sur l’émotion et en amplifiant des comportements irrationnels [22], [23]. Aussi, la course au sensationnalisme, avec un contrôle faible ou inexistant du contenu, peut participer à une crise plus générale de désinformation et de manipulation de l’information en temps de crise sanitaire [24]. Cette problématique, pointée du doigt dans le secteur juridique, car elle met en balance l’exercice légitime de la liberté d’expression, sur un sujet d’intérêt général et la manipulation des informations, relatives au coronavirus, par absence d’éditorialisation des plateformes de partage de contenus en ligne et décloisonnement des sources d’information [25], fait de la crise du COVID-19 non seulement une crise sanitaire, mais aussi une crise de l’information.
Conclusion
L’incertitude et la crainte face à cet agent infectieux inconnu ont été à l’origine de la majorité des questionnements éthiques en ORL lors de la première vague du COVID-19, en avril 2020, en France. L’enjeu éthique principal a été le maintien de l’équité dans l’accès aux soins. Contraints par le risque de transmission de l’infection (dans un contexte de pénurie de matériel de protection personnelle) et l’ORL étant une spécialité particulièrement exposée, les répondants ont fortement exprimé leur angoisse de manquer à leur devoir médical. Dans les départements à faible prévalence d’infection, la perte de chance des patients COVID négatifs (et dont la prise en charge a été affectée par la limitation de l’accès aux soins) a été particulièrement mise en avant. La télémédecine n’a pas semblé technologiquement suffisamment avancée pour soigner en ORL, mais a tout de même permis d’humaniser le suivi et maintenir un rapport médecin-malade.
Il semble important de tenir compte de la prévalence de l’infection et de la réalité des moyens locaux pour prendre en charge au mieux les patients infectés mais aussi les pathologies courantes, ce qui a été tenté sans succès lors de la troisième vague devant l’emballement de la pandémie. La communication (instances nationales ORL, médias et dans les équipes de soignants) doit être adaptée aux connaissances scientifiques changeantes mais rester cohérente et assez forte pour favoriser la solidarité et l’équité de l’accès aux soins sur le territoire.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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