Un médecin de campagne fait ses visites …
Et tous reconnaissent
Sa voix, son sourire, sa démarche,
Sa présence au village;
Et ils se souviendront pour toujours
De son nom à Wensleydale.
Joan Pomfret (1913-1993, traduction libre)1
Il est rare pour un médecin généraliste (MG) d’être le sujet d’un poème, mais le Dr William Pickles, immortalisé par Joan Pomfret2, était légendaire. Non seulement a-t-il soigné la population du village de Wensleydale et de ses alentours, dans le Yorkshire (R.-U.), pendant plus de 50 ans, mais il a aussi fait de remarquables observations sur les maladies infectieuses. Il est probablement surtout connu pour sa description de la présentation clinique, de l’évolution naturelle et de l’épidémiologie de « l’ictère catarrhal », dont nous savons aujourd’hui qu’il est causé par le virus de l’hépatite A3. En 1968, le Royal College of General Practitioners a instauré en son honneur la Conférence annuelle William Pickles. Pickles incarnait le généraliste dévoué qui était aussi un observateur astucieux et méticuleux des maladies dans sa communauté1. Mais comment définir le généraliste contemporain?
À l’instar de nombreux résidents en médecine familiale, j’étais attiré par le genre d’exercice médical généraliste incarné par Pickles. Cet intérêt s’est davantage exalté durant ma pratique d’enseignement dans une petite ville pittoresque de l’Ontario et par l’effet envoûtant d’une première lecture d’A Fortunate Man4 de John Berger à peu près au même moment.
Dans sa Conférence William Pickles en 2017, la Dre Clare Gerada, MG britannique et directrice du programme de la santé des professionnels du National Health Service, a présenté une critique réfléchie de la mythologie de la pratique générale qui a plané au-dessus de notre travail jusqu’à ce jour5. Plusieurs influences importantes dans la vie de la Dre Gerada l’ont amenée à devenir médecin. La première fut son père MG; elle avait l’habitude de l’accompagner durant ses visites. Dr Pickles a aussi eu une influence considérable sur sa vie, de même que John Sassall, le MG protagoniste dans A Fortunate Man, la même influence que la mienne. Par ailleurs, comme elle le fait remarquer, les récits de la vie de médecins ont contribué au « folklore » de notre profession, et l’édification d’un avenir fondé sur une version déformée du passé complique la vie de la présente génération de MG et de la prochaine5.
Or, les sociétés ont besoin plus que jamais de généralistes. Mais les exigences imposées à un généraliste n’ont probablement jamais été réalistes, et ce rôle a souvent été joué au prix de grands sacrifices personnels ou au détriment des conjoints et des familles. Les demandes envers les généralistes sont plus grandes encore de nos jours. Confronté à la pandémie, une population vieillissante, le rythme rapide des progrès biomédicaux, une culture de déni et de contrôle de la mort, une société de plus en plus fragmentée et inégale, et le fait qu’on s’attende que les MF s’acquitteront de rôles non médicaux additionnels, le travail des généralistes est plus colossal que jamais. C’est pourquoi nous voyons bien moins qu’avant des résidents en médecine familiale qui s’intéressent au vaste rôle de généralistes6.
Comment pourrions-nous à la fois tirer le meilleur du passé et redéfinir les généralistes de l’avenir?
Pour ce faire, selon la Dre Gerada, nous pourrions adapter notre vocation à l’époque où nous vivons, afin de refléter le fait que nous sommes tous des êtres humains qui aspirons à faire ce qu’il y a de mieux pour nos patients. Si nous nous attendons à ce que les médecins se consacrent entièrement à autrui, il faut en contrepartie les protéger, de même que les interactions qui les soutiennent5.
Une autre façon tout aussi judicieuse est de redéfinir les généralistes, non par la portée de leur pratique ou par le nombre de rôles qu’ils assument, mais plutôt par leurs ensembles de compétences et leur vision du monde. Dans le présent numéro (page 326), l’article intitulé « Définir le généraliste spécialiste. L’impératif de l’expertise adaptative en médecine familiale », par la Dre Nicole Woods et ses collègues, formule brillamment cet ensemble de compétences et cette vision du monde7. Cette réflexion est complétée par un article inspirant, par la Dre Melissa Nutik et ses collègues, qui décrit un outil qu’ils ont élaboré et évalué pour analyser le contenu généraliste du cursus médical prédoctoral (page 358)8. Enfin, la Dre Sarah Fraser, boursière en rédaction, lève le voile sur l’un des aspects les plus sombres d’être un généraliste (page 367)9.
Toutes les générations de médecins de famille et de MG font face à des défis médicaux, culturels et sociétaux qui nous forcent à réévaluer l’identité du généraliste. Les travaux des Dres Gerada, Woods, Nutik et de leurs collègues peuvent aider à nous montrer le chemin à suivre.
Footnotes
This article is also in English on page 315.
Références à la page 315.