Introduction
Le SARS-CoV-2 (Severe acute respiratory syndrome coronavirus 2) est à ce jour responsable de plus de 130 millions de contaminations et de plus de 3 millions de décès dans le monde. Le syndrome de détresse respiratoire aigüe (SDRA) correspond à la forme la plus sévère de la maladie, responsable d’une mortalité en réanimation d’environ 30 % [1].
Physiopathologie des formes sévères d’infection à SARS-CoV-2
La lésion
Le syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA) est défini par quatre critères : une insuffisance respiratoire aigüe apparue dans les 7 jours suivant l’agression initiale (pathologie pulmonaire ou extra-pulmonaire), des opacités pulmonaires bilatérales à l’imagerie, un œdème pulmonaire dont la participation hydrostatique n’est pas prédominante, et une hypoxémie définie par un rapport PaO2/FiO2 ≤ 300 chez un patient ventilé avec une pression expiratoire positive (PEP) ≥ 5cmH2O [[2], [3]]. On distingue 3 grades de sévérité du SDRA selon la profondeur de l’hypoxémie : 200 < PaO2/ FiO2 ≤ 300 : SDRA léger ; 100 < PaO2/FiO2 ≤ 200 : SDRA modéré ; PaO2/FiO2 ≤ 100 : SDRA sévère.
À l’histologie, le SDRA correspond typiquement à des lésions de dommage alvéolaire diffus (DAD), avec classiquement 3 phases qui en réalité se chevauchent dans le temps. À la phase précoce, il existe un exsudat intra-alvéolaire composé de protéines plasmatiques, de fibrine et de cellules inflammatoires avec une prédominance de polynucléaires neutrophiles. Il s’y associe des membranes hyalines qui tapissent la paroi alvéolaire. Lors de la seconde phase dite proliférative, on observe une infiltration de macrophages et de fibroblastes. Parallèlement à ces deux phases, la perméabilité capillaire est accrue, il y a une diminution en nombre et en volume de ces capillaires associés à des micro-thromboses. L’évolution peut enfinse faire vers une troisième phase fibrosante, qui conditionne le pronostic, au cours de laquelle sont décrit des dépôts endoalvéolaires de collagène de type I et III sécrétés par les fibroblastes [[4], [5]].
Les spécificités des anomalies histo-pathologiques décrites dans les séries autopsiques de SDRA secondaires à la COVID, outre des lésions de DAD avec peu de membranes hyalines, sont une souffrance endothéliale particulièrement importante, associée à la présence du virus au sein des cellules endothéliales volontiers vacuolisées et se détachant au sein des artères pulmonaires de moyen et petit calibre [6], des thromboses étendues associées à une microangiopathie et une néoangiogénèse importante comparativement à des SDRA grippaux [7]. L’œdème intraalvéolaire semble particulièrement marqué avec fréquemment un aspect de pneumopathie organisée fibrineuse aigue (AFOP: acute fibrinous and organizing pneumonia) associant d’importants dépôts fibrineux intra-alvéolaires denses entourés de corps fibroblastiques et de fibroblastes, un infiltrat interstitiel lymphocytaire T et plasmocytaire, et une hyperplasie des pneumocytes de type 2 avec atypies cellulaires. L’atteinte endothéliale, ainsi que les lésions d’AFOP, suggèrent une certaine corticosensibilité de la maladie [6].
La réponse de l’hôte
Schématiquement, l’infection à SARS COV 2 va provoquer un défaut d’activité de l’immunité adaptative et une suractivation de l’immunité innée. On décrit ainsi une lymphopénie précoce et prolongée, plus importante que dans le SDRA non COVID, touchant à la fois les lymphocytes T CD4 et CD8 et les lymphocytes B [8]. En parallèle, l’immunité innée est surrégulée : on constate une augmentation des monocytes, un orage cytokinique associé notamment une élévation de l’IL-6 qui a été étudié comme cible thérapeutique. Cependant l’augmentation des cytokines est moins importante que dans les SDRA non COVID [4].
Conséquences sur la mécanique respiratoire
Au printemps 2020, L. Gattinoni proposait deux phénotypes de l’atteinte à SARS CoV 2 : un phénotype L, caractérisé par des opacités en verre dépoli périphériques, une élastance basse, une mécanique respiratoire conservée et peu de recrutabilité par la PEEP, et un phénotype H, caractérisé par davantage de condensations au scanner, une élastance élevée et une plus importante recrutabilité, ce phénotype se rapprochant plus de celui de la majorité des SDRA non COVID [10].
Cette théorie a cependant été remise en question, notamment par l’étude de Ferrando et al. qui rapportait les caractéristiques ventilatoires de 742 patients atteints de SDRA COVID, leur analyse ne permettant pas de segmenter les patients selon les deux phénotypes décrits par Gattinoni, avec des profils ventilatoires plus proches de ceux décrits dans les SDRA dits « classiques » [11].
On remarque par contre, au cours des SDRA COVID, une incidence plus élevée d’infections nosocomiales (50 % vs 30 % pour des SDRA grippaux et 25 % pour des SDRA non viraux) [12].
Prise en charge de l’hypoxémie dans le cadre de l’infection à SARS-CoV-2
La première vague de la pandémie Covid-19 a généré un afflux massif de patients graves requérant de la ventilation invasive, saturant rapidement les services de réanimation. Il a alors été indispensable de recourir plus largement à des techniques d’oxygénation intermédiaires, telles que l’oxygénothérapie à haut débit (OHD) ou la ventilation par pression positive continue (CPAP, continuous positive airway pressure), en unité de soins intensifs, dans des unités intermédiaires voire en unité de soins conventionnels selon les organisations locales.
Dans une étude multicentrique rétrospective observation-nelle portant sur 274 patients hospitalisés pour une infection à SARS-CoV-2, A. Demoule et al. ont observé un certain bénéfice à l’OHD, avec une diminution de la probabilité d’intubation, sans toutefois de différence de survie entre les patients ayant eu recours à l’OHD et ceux traités par oxygénothérapie conventionnelle [13]. L’oxygénothérapie à haut débit semble donc pouvoir permettre, dans un tel contexte, de limiter l’afflux massif de patient en réanimation.
La CPAP n’a pas montré de bénéfice dans la prise en charge des SDRA dans la littérature. Elle a pourtant été utilisée dans la prise en charge des SDRA COVID. Oranger et al. ont ainsi comparé, parmi 66 patients hospitalisés pour une pneumopathie documentée à SARS-CoV-2 nécessitant un débit d’oxygène jusqu’à 6 L/min pour avoir une saturation en oxygène ≥ 92 %, 20 patients traités par oxygénothérapie conventionnelle à 46 patients traités par CPAP (8 à 12 cm H2O) au minimum deux fois 2 h dans la journée et durant la nuit. Ils observaient une tendance à la diminution du recours à l’intubation sur la période où la CPAP a été utilisée, avec toutefois une puissance insuffisante pour évaluer son impact sur la mortalité [14].
L’usage de tels supports ventilatoires pourrait cependant favoriser la diffusion de particules virales dans l’environnement du patient. Afin de limiter ce risque, Carteaux et al. ont proposé l’utilisation de la CPAP de Boussignac associée à un filtre mis en place entre le masque naso-buccal et la valve de CPAP. Ce filtre n’aurait pas d’impact franc sur le niveau de pression délivré au patient et l’utilisation d’un tel dispositif pourrait permettre de limiter le nombre de patients nécessitant une intubation [15]. Concernant le risque d’aérosolisation des particules virales induite par l’OHD, il paraît similaire à l’utilisation d’une oxygénothérapie au masque [16].
Par analogie à la prise en charge des patients atteints de SDRA sous ventilation invasive, la réalisation de séances de décubitus ventral a également été proposé aux patients en ventilation spontanée. L’acceptation et la tolérance de la technique paraissent malheureusement limitées, et le bénéfice semble également modeste, avec une réponse sur l’oxygénation dans seulement 25 % des cas, volontiers non persistante au décours [17]. Aucun bénéfice de la technique n’a pu être démontré concernant le recours à l’intubation ou la mortalité [18].
Atteintes extra pulmonaires de l’infection à SARS-CoV-2
La présentation clinique de l’infection à SARS-CoV-2 correspond typiquement à un syndrome pseudo grippal associé à des signes respiratoires en cas de pneumonie, et dans un certain nombre de cas à des signes extra respiratoires tels qu’une insuffisance rénale, une symptomatologie digestive ou neurologique notamment. Le point commun entre ces différentes atteintes est un emballement du système immunitaire responsable d’une endothéliopathie diffuse [19,20].
L’association d’un SDRA à des phénomènes thrombotiques semble être la forme clinique la plus grave, la survenue d’une embolie pulmonaire étant indéniablement plus fréquente au cours des SDRA COVID comparativement aux SDRA non COVID (Odds ratio = 6,2) [21].
L’atteinte systémique semble expliquée par la cascade inflammatoire cytokinique déclenchée par le virus suite à sa liaison au récepteur ACE 2 (récepteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine II) à la surface de la cellule endothéliale (sécrétion d’IL-6, IL-2et TNF-α, activation du complément), rendant l’endothélium « pro coagulant » et favorisant ainsi la formation de micro et de macro-thrombi.
L’atteinte rénale survient préférentiellement chez les patients admis en réanimation (près d’un patient de réanimation sur deux). Les facteurs de risque sont principalement liés au terrain (âge, comorbidités), à la sévérité du tableau clinique initial (état pro-inflammatoire, profondeur de l’hypoxie) et à la réanimation (amines vasopressives, hypovolémie, médicaments néphrotoxiques). Il semble exister une susceptibilité génétique liée au polymorphisme du récepteur ACE 2 qui influerait sur la capacité du virus à entrer dans les cellules. La nécrose tubulaire aigue semble en être la cause la plus fréquente, des atteintes glomérulaires, tubulointerstitielles, de néphro-angiosclérose ou secondaires aux thromboses étant également décrites [22].
Au niveau cardiaque, on décrit principalement des myocardites inflammatoires. Alors qu’il est établi que le récepteur à l’ACE 2 est fortement exprimé par les cellules myocardiques, le SARS-CoV-2 n’a que très peu été isolé au niveau cardiaque [23,24]. Des atteintes pancréatiques ou hépatiques ont également été décrites comme liées à des infiltrats lymphocytaires et aux microthromboses [20].
Le virus atteint le système nerveux central par deux voies principales, via le bulbe olfactif ou en franchissant la barrière hémato-encéphalique. Il migre ensuite entre dans les neurones par endocytose (majorée par l’hyperperméabilité cellulaire liée à l’inflammation), conduisant in fine aux lésions responsables de l’atteinte du système nerveux [25]. La physiopathologie de l’atteinte neurologique est multifactorielle, impliquant l’action directe du virus et/ ou des phénomènes post viraux, l’hypoxémie prolongée, la défaillance hémodynamique, les traitements (e.g. les sédatifs) et l’inflammation systémique intense responsable d’une endothéliopathie et de phénomènes thrombotiques. L’atteinte neurologique est polymorphe et ne préjuge pas de la sévérité de l’infection. On décrit ainsi des céphalées, une agueusie et/ou une anosmie pour les formes les plus bénignes (30 % des patients), des atteintes ventriculaires, des AVC ischémiques et hémorragiques, des encéphalites parfois nécrosantes, des méningites, des syndromes de Guillain-Barré ou des déliriums [25,26,27,28].
La récupération clinique est variable selon les patients, les atteintes initiales et leur sévérité. Les principales séquelles décrites sont une asthénie prolongée, une faiblesse ou une fatigabilité musculaire, des troubles du sommeil et des séquelles psychologiques [29].
Liens d’intérêts
N. Taghboulit déclare n’avoir aucun lien d’intérêt.
Cet article fait partie du numéro supplément Mission e-CPLF 2021 réalisé avec le soutien institutionnel des laboratoires Sanofi Genzyme et Stallergenes Greer.
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