L’image de la page couverture a fait partie d’une plus grande exposition intitulée « Brave New World »1, inspirée du roman du même titre publié par Aldous Huxley en 19322. Le récit dépeint un futur dystopique, rempli d’iniquités sociales saisissantes, sans doute semblables au monde où nous vivons aujourd’hui. Cette image de Kane et de son père reflète le thème de cette édition : la santé de l’enfant. Heureusement, jusqu’à présent, les enfants ont largement été épargnés par les conséquences plus graves de l’infection au coronavirus 2019 (COVID-19). Par ailleurs, les jeunes ne sont pas immunisés contre la pandémie. Mes nièces de 6 ans suivent leurs cours en ligne. De nombreux adolescents ne peuvent pas aller à leur remise des diplômes du secondaire, l’un des événements les plus importants de leur vie. Les pertes d’emploi subies par de nombreux parents affectent la santé de leurs enfants.
Toutes les séquelles de la pandémie ne seront probablement pas connues avant des années, et c’est pourquoi la surveillance du développement des enfants au temps de la COVID-19 importe particulièrement. Le présent numéro (page e157) met en évidence la version de 2020 du Relevé postnatal Rourke (RPR)3, initialement publié dans Le Médecin de famille canadien en 19854. Il a été produit par les médecins de famille James et Leslie Rourke. Non seulement étaientils mariés, mais ils étaient aussi partenaires en médecine. Ils ont élaboré de nombreux diagrammes pour aider à orienter les soins cliniques dans leur pratique familiale, y compris un guide pour suivre le développement des enfants. Réalisant que le guide était utile pour leurs collègues et les médecins remplaçants, ils ont décidé de le publier. Le RPR a depuis fait l’objet de plusieurs actualisations, en collaboration avec des collègues des disciplines de la médecine familiale, de la pédiatrie et des soins infirmiers.
La version de 2020 comporte des révisions particulièrement appropriées à la pandémie. Par exemple, même si le temps d’écran devrait continuer à être évité chez les enfants de moins de 2 ans, les vidéobavardages sont maintenant considérés comme acceptables dans ce groupe d’âge, parce que ce type de communication peut aider les enfants à se développer et à rester connectés avec la famille et les amis. Pour remplacer le temps d’écran, il est encore très recommandé de faire la lecture aux enfants, et le chant a été ajouté comme activité importante, propice à leur développement.
Le RPR recommande aussi aux parents et aux aidants de réduire le plus possible le temps d’écran. Les lignes directrices publiées par la Société canadienne de physiologie de l’exercice préconisaient que les adultes limitent leur temps de récréation à l’écran à moins de 3 heures par jour5. Bien que ces recommandations aient porté sur le temps de récréation, le temps d’écran excessif, qu’importe le type, pourrait avoir des conséquences négatives pour la santé. La plupart des adultes que je connais (moi-même y compris ces jours-ci) dépassent ce seuil, surtout en raison de notre migration vers l’exercice de la médecine à distance.
La médecine virtuelle présente d’autres défis au chapitre de l’examen physique. Le RPR actualisé recommande un examen du cœur, des poumons et de l’abdomen à toutes les visites, et d’autres mises à jour ont pour but de faciliter la détection précoce des troubles du spectre de l’autisme et de la paralysie cérébrale. Les soins à de tels patients sont aussi examinés dans le présent numéro (page 506)6, mais quelles sont les importantes nuances susceptibles de passer inaperçues en raison de la réduction des évaluations en personne?
Le RPR actualisé inclut aussi des questions validées pour dépister la pauvreté et l’insécurité alimentaire. L’évaluation des déterminants sociaux de la santé est cruciale en médecine familiale, en particulier celle de leurs effets sur les enfants7. En raison de la pandémie, plusieurs de nos patients ont souffert de difficultés financières; il importe donc de poser ce genre de questions. Il est aussi important de réfléchir aux injustices sociétales et à la violence. L’article de la Dre Leason dans la section du Troisième rail (page 525) traite de l’histoire de la stérilisation forcée de femmes autochtones, dont plusieurs se sont vu voler leur droit à la procréation8.
L’année et demie écoulée a entraîné de nombreux changements dans les politiques, les comportements et les mentalités, qu’il s’agisse de la transition vers les soins virtuels, de la communication à travers les barrières de l’équipement de protection individuelle ou de la reconnaissance des injustices raciales. La médecine a dû s’adapter. Fait intéressant, l’adaptabilité est une caractéristique que j’ai observée chez de nombreux enfants qui ont vécu l’apprentissage à la maison, le port du masque et divers degrés de confinement.
Notre nouveau monde exige de la bravoure, mais aussi de l’adaptabilité. Comme adultes, nous essayons de notre mieux d’agir en modèles de rôles pour les enfants dans nos vies. Mais les enfants nous donnent aussi de l’inspiration et des leçons. C’est un privilège de pouvoir soigner des enfants dans le cadre de notre profession. Ils ont besoin de nous maintenant, autant que nous avons besoin d’eux.