RÉSUMÉ
Les survivantes de cancers gynécologiques ont des besoins complexes très souvent négligés. La présente étude indonésienne vise à établir les liens entre les besoins non satisfaits, la qualité de vie et certaines caractéristiques particulières de ces survivantes. Au total, 298 participantes ont rempli le questionnaire sur les besoins non satisfaits des survivants au cancer (Cancer Survivor Unmet Needs ou CaSUN), le questionnaire sur la qualité de vie EORTC QLQ-C30 ainsi que les questionnaires démographiques et cliniques. L’étude, réalisée suivant un devis corrélationnel transversal, a établi un lien entre les besoins non satisfaits et la dégradation de la qualité de vie perçue. Plusieurs facteurs sont associés à l’augmentation des besoins insatisfaits: patients jeunes, revenu moindre, niveau d’éducation moyen, diagnostic récent, stade avancé de la maladie, et polythérapie (p < .05). Chez les survivantes indonésiennes d’un cancer gynécologique, le soutien financier (70,5 %) constitue le besoin le plus souvent insatisfait. À la fin des traitements primaires, elles ont besoin de soins globaux et continus pour gérer les problèmes, nouveaux comme anciens, causés par le cancer et le traitement.
Mots-clés: cancer, femmes, survivance, qualité de vie, Indonésie
INTRODUCTION
Les cancers gynécologiques s’attaquent au système reproducteur féminin, c’est-à-dire à l’utérus, au col, aux ovaires, à l’endomètre, aux trompes de Fallope et au vagin (National Cancer Institute, 2019). De tous les cancers féminins, le cancer du col occupe le quatrième rang en matière de fréquence. Selon les estimations, il y a eu, en 2018, 570 000 cas et 311 000 décès dans le monde (Bray et al., 2018). La majorité des cas sont recensés en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Est. C’est en Asie occidentale, notamment en Arabie saoudite et en Irak, que l’incidence du cancer du col est la plus faible, tandis que certains pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale constatent une tendance à la hausse (Bray et al., 2018).
En Indonésie, le cancer du col est le deuxième en importance chez les femmes après le cancer du sein (ministère de la Santé de la République d’Indonésie, 2019b). On estime son incidence à 23,4 femmes sur 100 000, et le taux de mortalité à 13,9 sur 100 000 (ministère de la Santé de la République d’Indonésie, 2019b). Toujours en Indonésie, on estime aussi que les autres types de tumeurs gynécologiques, comme le cancer de l’utérus ou des ovaires, touchent respectivement 8 et 6 femmes par 100 000 (ministère de la Santé de la République d’Indonésie, 2015).
Les preuves sont là: améliorer le dépistage et le traitement du cancer a contribué à la hausse du nombre de survivants, y compris pour les cancers gynécologiques (Schlumbrecht, Sun, Huang, Milbourne et Bodurka, 2018). Les survivantes de ces cancers forment un groupe à part, car le traitement cause des effets secondaires et des problèmes particuliers pour la qualité de vie, comme la dysfonction sexuelle et les fractures par insuffisance osseuse de la ceinture pelvienne (Schmeler et al., 2010; Shih et al., 2013). Pourtant, ces besoins complexes sont trop souvent négligés (Rosenberg et Partridge, 2017). Pour améliorer l’état de santé des survivantes à court et à long terme, il faut comprendre les défis individuels et les besoins non satisfaits; c’est la clé pour adapter au mieux les interventions (Rosenberg et Partridge, 2017).
Les soins aux survivants sont devenus la norme dans de nombreux établissements disposant de ressources suffisantes pour offrir ces services (Fitch, 2014; Nekhlyudov, Ganz, Arora et Rowland, 2017; Rosenberg et Partridge, 2017; Salani, Khanna, Frimer, Bristow et Chen, 2017). Une étude menée dans dix pays de l’Asie du Pacifique (Chine, Japon, RAS de Hong Kong, Corée du Sud, Myanmar, Thaïlande, Inde, Singapour, Philippines et Australie) a mis en lumière l’écart dans les services aux survivants entre les pays à revenu élevé et ceux à revenu relativement faible et intermédiaire (Molassiotis et al., 2017). L’Indonésie travaille actuellement à mettre en place un programme de soins pour les survivantes de cancers gynécologiques. La présente étude s’est penchée sur les besoins insatisfaits, la qualité de vie (QV) perçue et les liens entre ces variables afin d’orienter les politiques et pratiques encadrant les soins prodigués à ce groupe particulier.
MÉTHODOLOGIE
Une étude transversale de patientes atteintes d’un cancer gynécologique a été menée dans trois grands hôpitaux de recours situés dans les provinces indonésiennes de Jakarta, Yogyakarta et de Java-Est. Le recrutement des participantes a duré 3 mois.
L’échantillon de commodité se composait de patientes adultes (plus de 18 ans) atteintes d’un cancer gynécologique et ayant terminé leur traitement primaire depuis au moins un mois. Étaient exclues les patientes ayant subi une récidive ou souffrant d’un trouble cognitif les empêchant de participer à l’étude. Dans les établissements choisis pour l’étude, les infirmières travaillant dans les unités de soins ambulatoires ont participé au recrutement des participantes ainsi qu’à la collecte de données à l’aide de questionnaires sur papier. Au total, 310 patientes ont été approchées et 298 ont accepté de participer (taux de réponse = 96,13 %).
Les participantes ont rempli un questionnaire sociodémographique, version indonésienne du questionnaire CaSUN (Cancer Survivors’ Unmet Needs) (Hodgkinson et al., 2007a), et le questionnaire EORTC QLQ-C30 (Aaronson et al., 1993; Perwitasari et al., 2011). Le questionnaire sociodémographique, conçu par les auteurs, visait à recueillir des données sur l’âge, l’état civil, le niveau de scolarité, le statut d’emploi et le revenu familial mensuel des participantes. Des données cliniques ont aussi été prélevées dans leur dossier médical: temps écoulé depuis le diagnostic, stade de la maladie, présence de métastases et type de traitement primaire reçu.
Le questionnaire CaSUN, qui comprend 35 items, divise les besoins des survivants en quatre catégories: 1) besoins existentiels, 2) soins globaux, 3) information, 4) qualité de vie, et 5) relations (Hodgkinson et al., 2007a). Dans le questionnaire CaSUN, les items reçoivent une note différente selon que le besoin est satisfait ou non; par la suite, on calcule le total des besoins, ainsi que l’intensité. Autrement dit, les répondants précisent si l’item constitue un besoin pour eux ou s’il ne s’applique pas à leur situation, et si ce besoin est satisfait ou non. L’intensité du besoin non satisfait peut être faible (1 point), modérée (2 points) ou forte (3 points). Le score total s’obtient en additionnant les points pour l’ensemble des 35 items (Hodgkinson et al., 2007a). Dans de nombreux pays, cet outil s’est révélé fiable pour évaluer les besoins non satisfaits des survivants à différents cancers (Bender et al., 2012; Molassiotis et al., 2017; Smith et al., 2013). La version indonésienne montre également que la validité et la fiabilité sont bonnes (alpha de Cronbach = 0,75–0,95).
Le questionnaire EORTC QLQ-C30 mesure différents aspects de la qualité de vie (QV) perçue par les patients cancéreux: le rôle, les dimensions physique, cognitive, émotionnelle et sociale, de même que les répercussions financières du cancer (Aaronson et al., 1993). Le questionnaire EORTC QLQ-C30 utilise quant à lui cinq échelles fonctionnelles, trois échelles de symptômes, une échelle mesurant l’état de santé et la QV globales, ainsi que six items indépendants. Toutes les échelles et tous les items reçoivent un score de 0 à 100. Un score élevé sur une échelle dénote un haut niveau de fonctionnement; par exemple, si le score d’une échelle fonctionnelle est élevé, le niveau de fonctionnement est très bon (Aaronson et al., 1993). Le questionnaire EORTC QLQ-C30 est largement reconnu comme un outil valide et fiable pour mesurer la qualité de vie des patients atteints de cancer, même en Indonésie (Perwitasari et al., 2011).
Une fois les questionnaires remis, on a écarté ceux qui étaient incomplets. Seuls les questionnaires entièrement remplis ont été conservés pour l’analyse des données. Les caractéristiques démographiques et cliniques, ainsi que les besoins non satisfaits (CASUN), et la qualité de vie (EORTC QLQ-C30) des participantes ont été analysés à l’aide de statistiques descriptives (moyenne, médiane, écart type, pourcentage, minimum et maximum). Le score total des besoins insatisfaits correspondait à la somme des points (de 1 à 3) pour les 35 items du questionnaire CASUN. Au score total de QV (EORTC QLQ-C30), qui correspond à la moyenne des items (score brut), on a appliqué une transformation linéaire pour obtenir une note sur une échelle de 0 à 100 et ensuite procéder à des analyses bivariées et multivariées afin d’établir le lien entre le score total des besoins non satisfaits et de la QV pour une valeur p de .05. Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide de la version 22 du logiciel SPSS (SPSS Inc., Chicago, Illinois, États-Unis).
L’étude a été approuvée par le comité d’éthique de la Faculté de médecine de l’Université Gadjah Mada et par la Faculté de sciences infirmières de l’Université d’Indonésie (numéro de référence: 28/UN2.F12.D/HKP.02.04/2018). Toutes les participantes éventuelles ont reçu l’information de base sur l’étude et celles qui ont accepté d’y participer devaient, avant d’être admises, fournir un consentement éclairé.
RÉSULTATS
En tout, 298 participantes sur 310 ont rempli les questionnaires en entier. La moyenne d’âge était de 50,3 ans (ÉT = 9,6). La plupart des participantes étaient mariées (88,3 %) et avaient fréquenté l’école primaire et secondaire. Près de la moitié (48,7 %) étaient femmes au foyer et avaient une situation économique précaire, avec un revenu familial inférieur à 71 $US par mois. Plus du tiers des participantes (37,6 %) souffraient d’un cancer gynécologique de stade III et la moitié avaient reçu de la chimiothérapie (voir tableau 1).
Tableau 1.
Caractéristiques | Moyenne (ÉT) |
---|---|
Âge (ans) | 50,3 (ÉT 9,6; écart 20–71) |
État civil | f (%) |
Mariée | 263 (88,3) |
Célibataire | 12 (4,0) |
Veuve | 23 (7,7) |
Niveau de scolarité | |
Non scolarisée | 20 (6,7) |
École primaire | 106 (35,6) |
École secondaire de premier cycle | 54 (18,1) |
École secondaire de deuxième cycle | 90 (30,2) |
Collège/université | 28 (9,4) |
Revenu familial mensuel (approx. en $US) | |
< 71 | 143 (48,0) |
71–141 | 75 (25,2) |
141–212 | 28 (9,4) |
212–282 | 23 (7,7) |
282–353 | 8 (2,7) |
> 353 | 21 (7,0) |
Emploi | |
Femme au foyer | 145 (48,7) |
Fonctionnaire | 11 (3,7) |
Employée privée | 27 (9,1) |
Travailleuse autonome | 59 (19,8) |
Ouvrière d’usine | 44 (14,8) |
À la retraite | 12 (4,0) |
Stade du cancer | |
I | 54 (18,1) |
II | 86 (28,9) |
III | 112 (37,6) |
IV | 13 (4,4) |
Inconnu | 33 (11,1) |
Temps écoulé depuis le diagnostic | |
< 1 an | 110 (36,9) |
≥ 1 an, < 2 ans | 124 (41,6) |
≥ 2 ans, < 4 ans | 35 (11,7) |
≥ 4 ans | 29 (9,8) |
Cancer métastatique | |
Oui | 57 (19,2) |
Non | 241 (80,9) |
Traitement primaire | |
Chimiothérapie | 149 (50) |
Chimiothérapie et radiothérapie | 49 (16,4) |
Radiothérapie | 38 (12,8) |
Chirurgie | 26 (8,7) |
Autre | 36 (12,1) |
Besoins non satisfaits
Chez les survivantes de cancers gynécologiques, le besoin insatisfait le plus fréquemment rapporté était le soutien financier (70,5 %). À l’opposé, le besoin le moins fréquent était l’aide pour s’adapter aux changements corporels – seulement 29,9 % des survivantes ont mentionné que ce besoin n’était pas satisfait, et 43 % ne le ressentaient pas du tout. Plus de la moitié des participantes ont dit se sentir en confiance dans les communications avec de l’équipe de soins (à l’écoute des difficultés); pour elles, ce besoin était comblé. En ce qui concerne les scores totaux, les trois catégories de besoins non satisfaits les plus importantes étaient les soins globaux (96,6 %), les besoins existentiels (79 %) et l’information (62 %) (voir le tableau 2).
Tableau 2.
Besoins des survivantes – items individuels | Pas un besoin | Besoin satisfait | Besoin non satisfait |
---|---|---|---|
Besoins existentiels (14 items) | |||
10 Réduire le stress | 29,9 | 29,9 | 40,3 |
19 Apaiser mes inquiétudes concernant la récidive | 16,4 | 27,5 | 56,0 |
20 Trouver du soutien émotionnel | 8,1 | 56,0 | 35,9 |
23 Rebâtir ma relation avec mon partenaire | 36,9 | 22,5 | 40,6 |
24 Discuter avec d’autres patients atteints de cancer | 45,3 | 17,8 | 36,9 |
25 Expliquer le cancer aux autres | 12,8 | 46,3 | 40,9 |
26 M’adapter aux changements corporels | 43,0 | 27,2 | 29,9 |
29 Tourner la page sur le cancer | 7,0 | 49,0 | 44,0 |
30 Renforcer mes croyances | 10,1 | 53,0 | 36,9 |
31 Reconnaître les répercussions de la maladie | 39,9 | 23,2 | 36,9 |
32 Savoir à quoi m’attendre comme survivante | 16,4 | 44,0 | 39,6 |
33 Prendre des décisions concernant l’avenir | 12,8 | 51,7 | 35,6 |
34 Renforcer ma foi | 6,7 | 54,0 | 39,3 |
35 Donner une valeur à ma vie | 6,7 | 49,3 | 44,0 |
Soins globaux | |||
4 Obtenir les meilleurs soins médicaux | 1,7 | 57,0 | 41,3 |
5 Avoir accès à des soins de santé locaux | 11,7 | 35,6 | 52,7 |
6 Collaborer avec l’équipe de soins | 4,7 | 59,7 | 35,6 |
7 Savoir que l’équipe de soins travaille de concert | 2,7 | 62,8 | 34,6 |
8 Me faire entendre et me faire prendre au sérieux quand je signale une difficulté | 2,3 | 55,0 | 42,6 |
18 Stationnement accessible à l’hôpital | 31,9 | 31,5 | 36,6 |
Information (3 items) | |||
1 Information à jour | 2,7 | 45,3 | 52,0 |
2 Information pour les membres de la famille | 4,0 | 54,4 | 41,6 |
3 Information facile à comprendre | 1,3 | 54,7 | 44,0 |
Qualité de vie | |||
11 Contrôle des effets secondaires | 13,4 | 38,3 | 48,3 |
12 Changements dans la qualité de vie | 18,1 | 41,3 | 40,6 |
Relations (3 items) | |||
21 Soutien au partenaire/à la famille | 19,5 | 45,3 | 35,2 |
22 Gestion des répercussions du cancer sur ma relation de couple | 36,9 | 22,5 | 40,6 |
27 Problèmes sexuels | 52,0 | 10,4 | 37,6 |
Autre | |||
9 Information sur les traitements complémentaires | 54,0 | 10,7 | 35,2 |
15 Soutien financier et prestations gouvernementales | 13,1 | 16,4 | 70,5 |
17 Aide pour l’accès aux services juridiques | 21,8 | 12,4 | 65,8 |
14 Aide au maintien de l’emploi | 33,6 | 30,2 | 36,2 |
Selon les analyses, les patientes plus jeunes, les femmes à faible revenu et celles ayant un meilleur niveau de scolarité affichaient davantage de besoins non satisfaits (scores totaux élevés). En ce qui concerne le profil clinique, les patientes ayant reçu une polythérapie et dont le diagnostic était plus récent et le cancer plus avancé rapportaient aussi plus de besoins insatisfaits (scores totaux plus élevés) que celles qui n’avaient reçu qu’une seule forme de traitement primaire, dont le diagnostic était moins récent ou le cancer moins avancé (voir le tableau 3).
Tableau 3.
Variable | Modèle complet | Modèle final | ||
---|---|---|---|---|
B | Sig. | B | Sig. | |
Constante | 22,3 | 0,000 | 23,3 | 0,000 |
Âge (an) | −0,2 | 0,010 | −0,2 | 0,006 |
Revenu (rupiah) | −1,4 | 0,003 | −1,5 | 0,002 |
Temps écoulé depuis le diagnostic (an) | −1,6 | 0,007 | −1,6 | 0,005 |
Éducation École primaire (réf.) | ||||
École secondaire de premier cycle | 3,1 | 0,065 | 3,0 | 0,066 |
École secondaire de deuxième cycle | 2,5 | 0,123 | 2,4 | 0,127 |
Collège/université | 4,6 | 0,068 | 4,1 | 0,091 |
Stade du cancer I (réf.) | ||||
II | 3,2 | 0,069 | 3,1 | 0,079 |
III | 7,2 | 0,000 | 7,0 | 0,000 |
IV | 3,2 | 0,127 | 2,8 | 0,158 |
Traitement primaire Radiothérapie (réf.) | ||||
Chimioradiothérapie | 2,9 | 0,040 | 3,1 | 0,028 |
Chirurgie | −2,5 | 0,112 | −2,4 | 0,121 |
Métastases | −1,3 | 0,421 | NS | |
État civil | −0,4 | 0,836 | NS | |
Profession Fonctionnaire (réf.) | ||||
Employée d’une entreprise privée | 1,1 | 0,532 | NS | |
Femme au foyer | 0,9 | 0,551 | NS |
Qualité de vie
Le score total de qualité de vie (QV) est corrélé négativement avec le score total des besoins insatisfaits (p = .000) (voir le tableau 4). Par contraste, les six variables liées aux symptômes (c.-à-d. fatigue, nausées et vomissements, douleur, perte d’appétit, constipation et difficultés financières) sont corrélées positivement avec les besoins insatisfaits (p < .05), ce qui signifie que les survivantes de cancers gynécologiques qui ont une moins bonne qualité de vie perçue et qui éprouvent des symptômes plus intenses ont davantage de besoins non satisfaits. On a également constaté un lien significatif entre les besoins non satisfaits et dix des quinze domaines relatifs à la qualité de vie (QV). De plus, quatre variables (santé générale, fonctionnement physique, fonctionnement émotionnel et fonctionnement cognitif ) étaient négativement corrélées avec les besoins insatisfaits. Les participantes ayant un meilleur état de santé général, fonctionnement physique, fonctionnement émotionnel et fonctionnement cognitif rapportaient moins de besoins non satisfaits. Les trois symptômes les plus fréquents étaient l’insomnie (43,2 %), les difficultés financières (38,8 %) et la douleur (36,8 %).
Tableau 4.
Variable | Analyses | |
---|---|---|
Moyenne (ÉT) | valeur p (coefficient de corrélation) | |
Qualité de vie (score total) | 76,4 (16,5) | 0,000*(−0,253) |
État de santé général | 67,0 (20,1) | 0,000* (−0,345) |
Aspect fonctionnel | ||
Fonctionnement physique | 75,9 (22,9) | 0,015* (−0,142) |
Rôle | 73,8 (29,8) | 0,071 (−0,105) |
Fonctionnement émotionnel | 80,5 (20,9) | 0,000* (−0,241) |
Fonctionnement cognitif | 84,5 (20,3) | 0,000* (−0,273) |
Fonctionnement social | 81,5 (23,3) | 0,124 (−0,090) |
Symptôme | ||
Fatigue | 35,7 (26,2) | 0,008* (0,155) |
Nausées/vomissement | 16,4 (25,6) | 0,006*(0,160) |
Douleur | 32,6 (30,5) | 0,001*(0,191) |
Dyspnée | 8,1 (19,5) | 0,167 (0,081) |
Insomnie | 30,2 (34,2) | 0,507 (0,039) |
Perte d’appétit | 29,6 (34,5) | 0,000* (0,212) |
Constipation | 17,4 (29,2) | 0,029* (0,127) |
Diarrhée | 8,9 (21,3) | 0,219 (0,072) |
Difficultés financières | 39,0 (36,4) | 0,001*(0,197) |
DISCUSSION
Notre principal constat: plus il y a de besoins non satisfaits, plus la QV perçue est faible. Ces observations concordent avec celles d’études antérieures réalisées auprès de patientes indonésiennes atteintes d’un cancer gynécologique en traitement actif (Putri, Afiyanti, Ungsianik et Milanti, 2017) et de survivantes australiennes de cancers gynécologiques en post-traitement (Hodgkinson et al., 2007b; Urbaniec, Collins, Denson et Whitford, 2011). D’autres études portant sur la survivance à différents types de cancers (Molassiotis et al., 2017; So et al., 2013) et au cancer du sein (So et al., 2014) ont également produit des résultats similaires.
Nos résultats montrent que les besoins non satisfaits ont des répercussions négatives sur la qualité de vie. Cette situation serait attribuable au fait qu’en Indonésie, les survivants au cancer ne reçoivent qu’un minimum de soins. Ils se rendent habituellement à des rendez-vous de suivi en consultation externe où l’on vérifie leur état de santé et l’absence de récidive de la maladie. Toutefois, la continuité des soins infirmiers est très mauvaise.
En revanche, dans la présente étude, la plupart des survivantes n’ont rapporté aucune insatisfaction quant aux soins psychosociaux ou à l’information, contrairement aux autres études menées en Occident et à Hong Kong (Armes et al., 2009; Knobf et al., 2012; So et al., 2013). Peut-être ne savaientelles pas qu’il existe des soins pour les survivants, alors elles n’en ont pas demandé. Elles étaient davantage préoccupées par les difficultés financières.
Dans la présente étude, le plus gros problème rencontré par les survivantes indonésiennes de cancers gynécologiques était de nature financière. Non seulement il s’agissait du plus important besoin non satisfait, mais c’était aussi le second point en importance (après l’insomnie) mentionné par les survivantes dans leur expérience des symptômes. Plus de 70 % des participantes vivaient avec un revenu mensuel familial moyen inférieur à ~141 $US. Ce montant est même inférieur au coût de la vie pour une personne selon les estimations du salaire minimum régional (qui varie selon les différents milieux où l’étude a été réalisée; Jakarta = ~281 $US, Surabaya = ~276 $US, Yogyakarta = ~112 $US). Toutefois, nous ignorons si le revenu familial a changé entre le moment du diagnostic et du traitement, la productivité des patientes pouvant avoir été limitée par la maladie.
Ces résultats sont le signe d’une toxicité financière, terme qui désigne la précarité et la détresse financière subjective due au cancer et au coût des traitements (Ratain, 2009; Yabroff, Lawrence, Clauser, Davis et Brown, 2004). De plus en plus, on considère la toxicité financière comme un lourd et inquiétant fardeau pour les survivants du cancer, particulièrement aux États-Unis, où les coûts des traitements, y compris les dépenses personnelles associées, continuent d’augmenter (Altice, Banegas, Tucker-Seeley et Yabroff, 2017; Hastert et al., 2018; Yabroff et al., 2004). En Indonésie, il y a très peu d’études sur la toxicité financière. Selon un sondage à petite échelle tenu à Jakarta, les survivants du cancer, même ceux qui détiennent une assurance maladie, seraient touchés par la toxicité financière (Pangestu et Karnadi, 2018).
Dans une étude indonésienne de 2014 portant sur les besoins insatisfaits de patients cancéreux de stade avancé, on soutient qu’il pas surprenant que de nombreux patients rapportent des besoins financiers étant donné la grande proportion (3/4) de la population ne disposant pas d’une assurance adéquate (Effendy et al., 2014). Toutefois, depuis 2014, le gouvernement indonésien a créé une assurance maladie nationale qui inclut les traitements du cancer (Agustina et al., 2019). Ce régime offre une couverture complète des traitements du cancer, bien que certains médicaments soient exclus (ex. bevacizumab et cétuximab) (ministère de la Santé de la République d’Indonésie, 2019a). Mais même dans les pays d’Asie du Sud-Est disposant d’un régime universel de soins de santé comme la Malaisie, les dépenses personnelles associées au traitement représentent tout de même une charge très lourde pour les patients (Tangcharoensathien et al., 2011).
Pour les survivants du cancer, l’ampleur des difficultés financières englobe les dépenses personnelles de nature médicale ou non médicale (ex. transport), les coûts indirects dus à la perte de revenus, ainsi que les dettes et les faillites causées par les traitements (Altice et al., 2017). La plupart des participantes à l’étude étaient avaient été dirigées vers l’établissement de santé par des médecins de différentes régions de l’Indonésie; par conséquent, le transport était dispendieux. Selon la coutume indonésienne, les patients sont toujours accompagnés par des proches, souvent le mari dans le cas des patientes souffrant d’un cancer gynécologique. Par conséquent, ce proche aidant doit parfois quitter son emploi malgré les dépenses supplémentaires qu’entraînent le traitement du cancer et les rendez-vous de suivi (Anggraeni et Ekowati, 2011; Kristanti, Setiyarini et Effendy, 2017). D’autres études seront nécessaires pour examiner la toxicité financière, sa source et ses répercussions sur les patientes indonésiennes atteintes d’un cancer gynécologique et sur les proches qui s’occupent d’elles.
Pour les familles pauvres, le cancer peut avoir des conséquences encore plus désastreuses (Kimman et al., 2015). La présente étude a aussi établi des liens entre un faible revenu familial, des niveaux élevés de besoins non satisfaits et une piètre qualité de vie, confirmant ainsi les résultats de nombreuses études antérieures réalisées tant dans les pays à revenu élevé que dans les pays à revenu relativement faible et à revenu intermédiaire (Chang et al., 2014; Kimman et al., 2017; Molassiotis et al., 2017; Rahman, Ahsan, Monalisa et Rahman, 2014; Sleight, Lyons, Vigen, Macdonald, et Clark, 2018). Les patients de milieux socioéconomiques défavorisés ont parfois plus de bâtons dans les roues pour accéder aux services de santé, aux traitements du cancer et au suivi (DiMartino, Birken et Mayer, 2017; Niksic et al., 2015). En Indonésie, les coûts médicaux indirects, qui ne sont pas couverts par les assurances, ainsi que les procédures d’aiguillage complexes et chronophages sont reconnus comme les principales contraintes d’accès aux services de santé pour les patients cancéreux (Fles et al., 2017).
En outre, la présente étude montre que certains groupes de survivantes de cancers gynécologiques ont besoin de plus de soutien pour améliorer leur qualité de vie. Nos résultats confirment ceux des études antérieures selon lesquels les survivants dont le traitement vient de se terminer, de même que ceux dont la maladie est plus avancée, qui reçoivent une polythérapie ou qui sont plus jeunes nécessitent une attention particulière (Hodgkinson et al., 2007b; Kimman et al., 2017; Molassiotis et al., 2017; Urbaniec et al., 2011). Par exemple, les femmes plus jeunes s’inquiètent de leur fertilité et de leur fonction reproductive.
LIMITES
Les conclusions de la présente étude doivent être interprétées avec prudence. Bien qu’il s’agisse de la première étude multicentrique se penchant sur les besoins non satisfaits des survivantes de cancers gynécologiques en Indonésie, l’échantillon de commodité de taille relativement faible nous empêche de généraliser les résultats à grande échelle. Le devis transversal de l’étude et l’inclusion à la fois de survivantes tout juste sorties de traitement et de survivantes ayant terminé leur traitement depuis longtemps entraînent également leur part de réserve, sachant que le temps est un élément déterminant lorsqu’il est question de survie au cancer (Broom, Kenny et Kirby, 2017). Les besoins et la qualité de vie des survivantes peuvent changer tout au long de leur expérience de la maladie (Kimman et al., 2017).
CONCLUSION
La présente étude, qui porte un regard nouveau sur les survivantes de cancers gynécologiques, s’ajoute à la recherche montrant le lien existant entre un taux élevé de besoins insatisfaits et une mauvaise qualité de vie en matière de santé. Nos conclusions devraient inciter le gouvernement à offrir un filet de sécurité socio-économique aux gens atteints de cancer et à leurs familles. Elles aideront aussi à créer des services pour les survivants, services qui n’existent pas encore en Indonésie.
Remerciements
La présente étude a été subventionnée par la Direction de l’enseignement supérieur du ministère de l’Éducation nationale de la République d’Indonésie (No 285/UN2.R3.1/HKP.05.00/2018).
Footnotes
Conflit d’intérêts: Les auteurs n’ont pas de conflits d’intérêts à déclarer concernant la présente étude.
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