Quelles leçons tirerons-nous de la pandémie de Covid-19 ?
De nombreuses voix, souvent discordantes, se sont déjà fait entendre : « on aurait dû réagir plus tôt, plus vite, plus fort, plus intelligemment, prendre modèle sur les Allemands, les Anglais, ou les Israéliens (…) ».
Il y a eu, et il y a encore, beaucoup de donneurs de leçons. Mais ce n’est pas là le rôle de l’Académie de Médecine. Depuis 200 ans, sa mission est de prodiguer des conseils et des recommandations en réponse aux demandes du gouvernement ; et même quand le gouvernement ne lui a rien demandé, ce à quoi nous nous sommes accoutumés.
L’Académie de Médecine ne pouvait rester coi devant une telle crise sanitaire. Ayant créé la Cellule de veille Covid-19 dès le 19 mars 2020, elle s’est auto-saisie pour émettre 5 avis et 136 communiqués, dont on peut retenir 5 enseignements.
Les maladies infectieuses n’appartiennent pas au passé
Dès 1934, Charles Nicolle annonçait dans ses cours au Collège de France : « Il y aura donc des maladies nouvelles. C’est un fait fatal. Un autre fait, aussi fatal, est que nous ne saurons jamais les dépister dès leur origine ». Mais ses leçons ont été oubliées. À la fin des années 1970, certains scientifiques s’apprêtaient à refermer le grand livre des maladies infectieuses, estimant qu’elles pouvaient désormais être maîtrisées par l’hygiène, l’assainissement, les antibiotiques et les vaccins. Que de désillusions avec l’émergence du sida (1983), du SRAS (2002), de la peste aviaire H5N1 (2003), du Chikungunya (2005), de la grippe H1N1 (2009), du MERS (2012), de la maladie à virus Ebola (2013), du Zika (2015), et enfin, de la Covid-19 !
Mais aucun de ces avertissements n’aura suffi. L’amnésie post-pandémique, selon l’expression de Didier Houssin [1], est dans la nature de l’Homme. Faussement rassurés par la faible gravité de la grippe pandémique de 2009 et confortés par le plan OMS de préparation à une nouvelle pandémie grippale, les États ont été pris de court par l’émergence et la diffusion rapide d’un Bétacoronavirus qui s’est révélé capable, en quelques mois, de tuer des millions de personnes et d’interrompre les échanges commerciaux, économiques, scientifiques et culturels dans le monde entier.
Relisons Camus : « Nos concitoyens n’étaient pas plus coupables que d’autres, ils oubliaient d’être modestes, voilà tout, et ils pensaient que tout était encore possible pour eux, ce qui supposait que les fléaux étaient impossibles. Ils continuaient de faire des affaires, ils préparaient des voyages et ils avaient des opinions. Comment auraient-ils pensé à la peste qui supprime l’avenir, les déplacements et les discussions ? Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu’il y aura des fléaux. »
(Camus A. La Peste)
Première leçon : d’autres pandémies surgiront, on ne sait ni où, ni quand.
L’impréparation est une faute collective grave ; l’anticipation est un devoir.
Les méthodes non spécifiques de lutte contre la transmission des virus respiratoires ne doivent pas être dédaignées quand elles sont efficaces
Le port du masque facial a d’abord été considéré comme inutile par l’OMS ainsi que par les autorités sanitaires de plusieurs pays, dont la France. Après bien des hésitations, il a fini par s’imposer parmi les mesures prioritaires, voire obligatoires en certains lieux, pour éviter la transmission du virus de personne à personne par les gouttelettes et les aérosols.
En amont de ce revirement, dès le 2 avril 2020, l’Académie de Médecine recommandait « que le port d’un masque “grand public”, encore appelé “alternatif”, soit rendu obligatoire pour les sorties nécessaires en période de confinement ».
Déjà en octobre 1918, l’Académie avait constitué une commission spéciale à la demande du gouvernement, pour lutter contre la grippe espagnole. Sa principale recommandation était prémonitoire : « Le port d’un masque analogue à celui dont les chirurgiens font usage au cours des opérations [..] constitue une précaution très utile dont il importerait de généraliser l’emploi pour toute personne soignant les grippés et pour les malades eux-mêmes, quand ils commencent à se lever ».
Cent ans plus tard, la doctrine pour l’utilisation des masques n’avait pas évolué : elle limitait leur indication à la protection des soignants par des masques FFP2 et à l’isolement des malades et des cas suspects avec les masques chirurgicaux. Le concept de « masque grand public » n’était pas envisagé. Pire, les autorités sanitaires, ayant estimé que l’entretien du stock national stratégique de masques avait un coût excessif en regard des risques potentiels, ont toléré un non-renouvellement à partir de 2015, qui a conduit à une situation de pénurie face au SARS-CoV-2.
Deuxième leçon : comme en Extrême-Orient, chaque famille française détient aujourd’hui une réserve domestique de masques que chacun sait utiliser. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.
L’analyse des eaux usées est l’indicateur épidémiologique le plus précoce
La détection d’agents pathogènes dans les eaux usées est une méthode ingénieuse pour révéler leur présence au sein d’une population. Elle s’est appliquée pour différents microorganismes éliminés par les fèces, en particulier pour la poliomyélite, le choléra, la typhoïde et les hépatites virales. L’observatoire épidémiologique des eaux usées (OBEPINE) a été créé au mois d’avril 2020 pour détecter la présence du SARS-CoV-2 dans une trentaine de stations d’épuration. Le suivi de la charge virale dans les eaux usées par RT-PCR montre que la quantité d’acides nucléiques est corrélée au niveau de circulation du virus dans la population desservie et que les variations observées sont prédictives des tendances évolutives de l’épidémie de Covid-19. Approuvé par l’Académie de Médecine au mois de juillet 2020, cet outil de contrôle virologique de l’environnement s’est étendu à un échantillon représentatif de 150 stations de traitement des eaux usées réparties sur l’ensemble du territoire national. Il s’intègre à présent dans le dispositif de surveillance épidémiologique de la Covid-19 en fournissant un indicateur précoce de la circulation du coronavirus dans les territoires. Il permet également de détecter très tôt l’apparition d’un virus variant. Cette avancée scientifique majeure mettant à profit les techniques modernes de biologie moléculaire pourrait initier la création d’un réseau sentinelle pour la surveillance d’autres agents infectieux à tropisme entérique, viraux (grippe, gastro-entérites) ou bactériens (souches multi-résistantes aux antibiotiques).
Troisième leçon : l’échec de la stratégie « tester - tracer–isoler » tient à son manque d’exhaustivité et de réactivité ; il faut s’efforcer de détecter les foyers épidémiques avant l’apparition des premiers cas.
La vaccination de masse est efficace contre les épidémies, pas seulement dans les pays en développement
La France n’avait pas l’expérience d’une vaccination de masse pour interrompre une épidémie sur son territoire. C’est pourtant une stratégie qui a connu son plein succès au Brésil en 1974 : une épidémie foudroyante de méningites à méningocoque A avait causé la mort de 4000 habitants de Sao Paulo. Deux hommes ont pris l’affaire en mains : Charles Mérieux et Léon Lapeyssonie. À Marcy l’Étoile, des millions de doses de vaccin ont été produites en 3 mois, permettant de vacciner 10 millions d’habitants de Sao Paulo en 5 jours et 90 millions de Brésiliens en 6 mois. Cette vaccination de masse exemplaire a mis fin à l’épidémie. Elle a inspiré, 10 ans plus tard, la création de la Bioforce militaire qui est intervenue une vingtaine de fois dans différents pays pour des vaccinations de masse en situation épidémique. Plus récemment, des interventions similaires ont été conduites avec succès pour contrôler les foyers épidémiques de maladie à virus Ebola.
Échaudé par le fiasco de la vaccination contre la grippe pandémique A/H1N1 en 2009, le gouvernement a d’abord récusé le concept de « vaccinodromes », estimant qu’une vaccination de proximité suffirait à immuniser la population. Le concept de vaccination de masse, associant des centres fixes pouvant accueillir plusieurs centaines à plusieurs milliers de personne chaque jour et des équipes mobiles allant au-devant des populations éloignées, avait fait la preuve de son efficacité Outre-mer, mais il n’était pas concevable chez nous.
Quatrième leçon : face à une épidémie meurtrière, une vaccination de masse ne peut s’accommoder de compromissions avec une opinion gagnée par la défiance. Quand l’adhésion de l’ensemble de la population ne peut être acquise, l’obligation vaccinale est une option nécessaire.
La communication de crise ne s’improvise pas
La communication gouvernementale est probablement la charge la plus délicate à assumer pendant une crise sanitaire car elle doit, en même temps, informer sans inquiéter et rassurer sans mentir :
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Elle doit être continue, honnête, transparente et ne pas susciter l’angoisse ;
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Elle doit être compréhensible par tous et employer des messages simples et de courte durée ;
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Elle ne doit rien omettre et ne rien cacher afin d’éviter que se propagent des rumeurs sur une supposée dissimulation de données ;
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Elle doit reconnaître ses erreurs lorsque l’évolution des connaissances l’amène à se contredire, afin de ne pas compromettre sa crédibilité et altérer la confiance du public ;
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Elle doit être cohérente et se défier des « injonctions contradictoires » ;
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Elle ne doit pas laisser prospérer les fausses nouvelles colportées par les réseaux médiatiques, ni les déclarations péremptoires et médiatisées émanant de certaines personnalités scientifiques, en particulier celles qui suscitent de faux espoirs thérapeutiques et d’inutiles polémiques.
Cinquième leçon : dans un contexte de crise sanitaire, la prise de décision incombe au politique et à lui seul. Il lui faut donc en assumer l’entière responsabilité. Il doit informer le grand public de sa stratégie et s’efforcer de le convaincre de la pertinence de ses choix, sans se défausser sur ses conseillers scientifiques, surtout en cas de discordance.
Bien d’autres leçons pourront être tirées de cette pandémie et il ne manquera pas d’experts tatillons, pour tenter de dresser la liste complète des erreurs, des omissions et de proposer des remèdes pour éviter leur reproduction.
Espérons que l’expérience acquise tout au long de cette crise ne laissera pas la prochaine pandémie nous surprendre dans un coupable état d’impréparation.
Selon Albert Einstein, « Les amères leçons du passé doivent être réapprises sans cesse ».
Mais réjouissons-nous aussi des progrès scientifiques considérables que la Covid-19 aura suscités, notamment dans le domaine du diagnostic rapide, dans la prise en charge des formes graves de la maladie et dans l’innovation en vaccinologie.
La prochaine pandémie nous trouvera sans doute encore mal préparés, mais à coup sûr beaucoup mieux armés.
Déclaration de liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Référence
- 1.Houssin D. Éd. Odile Jacob; Paris: 2021. L’ouragan sanitaire - Comment sortir de la pandémie COVID-19 et préparer l’avenir ? [Google Scholar]
