Abstract
Objectifs
L’objectif est de comprendre les changements au sein des familles durant le confinement motivé par la pandémie de la COVID-19 et explorer le vécu psychoaffectif des enfants et de leurs parents face à cette situation.
Méthode
Il s’agit d’une enquête en ligne anonyme avec méthodologie associant des analyses quantitatives et qualitatives. Les questions ciblaient plusieurs thèmes tels que le contexte de vie, le vécu émotionnel et les répercussions sur les habitudes quotidiennes chez les enfants et adolescents, tels que perçus par les parents.
Résultats
Au total, 439 parents ont répondu au questionnaire. Les familles sont globalement restées dans leur lieu de vie habituel et ont réussi à bien s’adapter. En moyenne, le niveau d’inquiétude des enfants (estimé par les parents) était moins élevé que celui que les parents s’attribuent. L’état psychologique des enfants et adolescents était globalement stable mais pour ceux qui ont vécu davantage d’émotions négatives que d’habitude, il s’agissait d’une augmentation de l’ennui, de l’irritabilité et de la colère. Une baisse de la qualité de sommeil a aussi été constatée par un tiers des répondants. En revanche, une progression de l’autonomie a été soulignée. Les parents ont aussi rapporté une amélioration des relations familiales, mais aux dépens des liens sociaux habituels induisant un sentiment de privation.
Conclusion
Malgré des émotions négatives ressenties chez certains enfants, le confinement a permis de développer de nouvelles ressources dans la plupart des familles. Certains facteurs rapportés, tels que le renforcement des liens, pourraient être des facteurs protecteurs et constituent de bonnes pistes dans les interventions à proposer aux enfants et leur famille.
Mots clés: Confinement, Enfant/adolescent, Famille, Pandémie COVID-19, Retentissements psychologiques
Abstract
Objectives
The aim of this study is to understand the changes within families during confinement motivated by the COVID-19 pandemic and to explore the psycho-emotional experiences of children and their parents in this new situation. Confinement necessarily induced significant changes in daily family routines, particularly for work, education, leisure and social activities. In the more vulnerable pediatric population, several authors have warned of the need to consider the impact of lockdown measures during COVID-19 on the psychological impact and well-being.
Method
This is an anonymous online survey with methodology combining quantitative and qualitative analyses. The questions targeted several themes such as life context, emotional experience and the impact on daily habits in children and adolescents, as perceived by parents. Participants are adults and parents of at least one child. They were recruited through social media and email.
Results
A total of 439 parents responded to the questionnaire. The families generally stayed in their usual place of residence and managed to adapt well. On average, the children's level of worry (as estimated by parents) was lower than the level of worry parents attributed to themselves. For the majority, the parents did not observe any change, the psychological state of the children and adolescents was generally stable, but for those who experienced more negative emotions than usual, it was an increase in boredom, irritability and anger. A decrease in the quality of sleep was also observed by a third of the respondents. On the other hand, an increase in autonomy was noted. Regarding the quality of family cohabitation, an important result showed that confinement had improved family relationships for 41% parents but at the expense of usual social ties inducing a feeling of deprivation. Indeed, the participants evoke a lack of “social link” and “social contact with friends”. Lack became synonymous with absence, a feeling of loneliness and separation.
Conclusion
Our results confirm European and international data collected in children in countries where strict lockdown measures have been applied. Despite the negative emotions felt in some children, confinement has helped develop new resources in most families. Families seem to have been successful in maintaining a stable and secure routine which has certainly been a protective factor against anxiety. Some reported factors, such as bonding, could be protective factors and constitute good leads in interventions to be offered to children and their families.
Keywords: Child/adolescent, Confinement, COVID-19 pandemic, Family, Psychological impact
1. Introduction
La pandémie de SARS-COV-2 (COVID-19) a émergé en Chine en décembre 2019, puis a atteint la France début février 2020. L’évolution rapide de ce nouveau coronavirus a incité le gouvernement français à mettre en place des mesures de protection exceptionnelles pour la population, incluant notamment un confinement strict au domicile pendant deux mois (du 17 mars au 11 mai 2020). Celui-ci a nécessairement induit des changements importants dans les routines quotidiennes familiales, particulièrement au niveau du travail, de la scolarité, des loisirs et des liens sociaux.
Les mesures de confinement peuvent aussi exercer une pression sur la santé mentale, en générant notamment des troubles anxieux, dépressifs, addictifs, du sommeil ou bien encore être à l’origine d’une majoration des violences à domicile [1]. En Chine, une augmentation des problèmes psychopathologiques a effectivement été constatée en février 2020, période de confinement et de progression du virus vécue de manière très anxiogène au sein de la population adulte [2]. Dans la population pédiatrique, plus vulnérable [3], plusieurs auteurs alertent sur la nécessité de considérer l’impact des mesures du confinement durant la COVID-19 sur le retentissement et le bien-être psychologiques, que ce soit en Asie [4], [5], [6], [7] ou en Europe [8], [11], [12]. Les données principalement recueillies auprès des parents indiquent des changements sur le plan émotionnel (ex. : irritabilité, sentiment d’impuissance), comportemental (ex. : agitation, opposition, régression), cognitif (ex. : inattention) et physiologique (ex. : perturbation du sommeil, de l’alimentation). De manière générale, les auteurs rapportent tous une augmentation des préoccupations anxieuses et des symptômes dépressifs chez les enfants et adolescents.
Les facteurs susceptibles de favoriser ces manifestations sont multiples : la diminution des rapports sociaux, la réduction de l’activité physique, la désynchronisation du rythme circadien ou encore l’augmentation du temps d’ennui prolongé ainsi qu’une consommation plus importante d’écrans [2], [6]. L’intensité des symptômes dépend également d’autres facteurs externes, tels que le degré de restriction des mesures prises par le gouvernement, l’environnement familial ou encore la durée du confinement [7], [8].
L’enquête CONFAMI -CONfinement en FAMIlle- a pour objectif d’explorer le vécu émotionnel des enfants face à la COVID-19 et au confinement, en lien avec le vécu subjectif des parents quant à cette situation exceptionnelle. L’étude s’intéresse aux changements familiaux en fonction du contexte de vie, du niveau de stress et d’inquiétude ressentis par les parents et les enfants. Les avis des parents quant aux aspects négatifs et positifs ont également été explorés, afin de déterminer si cette situation a généré des émotions qui pourraient potentiellement conduire à des difficultés psychologiques, mais également pour identifier des facteurs de ressources. Ainsi, cette enquête permet aux professionnels de mieux comprendre le vécu de ces familles pour adopter les meilleures stratégies d’intervention et d’accompagnement, pour faire face aux problèmes de santé mentale liés au contexte de pandémie dans les familles.
2. Méthode
2.1. Recueil des données
Les données ont été recueillies à l’aide d’un sondage anonyme dématérialisé, réalisé via le logiciel Qualtrics®, avec une méthodologie associant des analyses quantitatives et qualitatives, intégrant des questions fermées (à choix multiple) (par exemple : « Avez-vous donné des explications sur le coronavirus à votre/vos enfant(s) ? Non pertinent, enfant trop jeune ou trop âgé ; Non je n’en ai pas donné ; Oui, à l’oral ; Oui, à l’aide d’un support ; Oui, avec l’aide d’un professionnel, enseignant, psychologue ») et ouvertes (réponse rédigée ou par série de mots, par exemple : « D’après vous, quels sont les aspects négatifs du confinement ? Entre 1 et 5 mots ») ou encore sous forme d’échelles visuelles analogiques (par exemple : « Depuis le début du confinement, estimez la participation des enfants aux tâches de la vie quotidienne : −10 moins qu’avant, 0 pareil, +10 plus qu’avant » les participants disposaient d’un curseur à bouger sur une échelle graduée de −10 moins qu’avant, à +10 plus qu’avant, en passant par 0 indiquant l’absence de changement). Le questionnaire comportait des items généraux (ex : sexe, âge, situation professionnelle, structure familiale) et des questions plus précises en lien avec les conditions du confinement de la famille (par exemple : « Est-ce le lieu de vie habituel de la famille ?). Les items proposés s’intéressaient aussi aux inquiétudes des parents, et à celles des enfants et adolescents par le biais d’échelles allant de 0 (pas d’inquiétude) à 10 (très inquiet). Pour cela des échelles visuelles analogiques ont été créées avec les termes stress et inquiétude, par exemple, la question « Estimez le degré d’inquiétude de votre famille concernant la situation sanitaire que nous vivons actuellement » était suivie de deux échelles, l’une concernant les enfants, l’autre les parents.
La consigne du début de l’enquête indiquait aux participants (parents) que l’objectif de l’étude était de recueillir des informations sur les habitudes de vie, leur vécu émotionnel et la perception qu’ils ont de celui de leur(s) enfant(s) (émotions, sentiments, ressentis) ainsi que les changements d’habitudes quotidiennes pendant le confinement (ex : scolarité, loisirs, sommeil, alimentation, autonomie). Enfin, les questions ouvertes proposaient aux parents de citer aussi les aspects positifs de cette situation exceptionnelle (par exemple : « D’après vous, quels sont les aspects POSITIFS du confinement ? entre 1 et 5 mots »).
Cet outil a été adapté à partir d’un consensus entre les co-auteurs, experts des troubles psychologiques de l’enfant et de la famille, après avoir mené des consultations spécialisées auprès de familles en difficultés dès les premiers instants du confinement. De plus, la forme de certaines questions (échelles analogiques, questions ouvertes, réponses par mots-clés) a été notamment adaptée d’autres études sur le confinement [8] ou ses suites [9].
Les participants, majeurs et parents d’au moins un enfant, ont été recrutés à travers les réseaux sociaux (Facebook®, Linkedin®) et par courriels (recrutement effet boule de neige), du 22 avril au 22 mai 2020. Tous les participants ont été informés de l’objectif de l’étude et ont donné leur accord pour l’exploitation des données. L’anonymat des réponses leur a été garanti, conformément aux recommandations du code de déontologie des psychologues et de la déclaration d’Helsinki. Cette recherche a obtenu l’accord du Comité d’Éthique de l’Université Paris Nanterre (avis 2020-3).
2.2. Analyses des données
Le logiciel SPSS® a été utilisé pour l’analyse des données quantitatives. Les analyses descriptives permettent la description de l’échantillon ainsi que les réponses aux questions et les échelles visuelles analogiques (moyenne, écart-type, fréquence). Les données numériques sont représentées à l’aide de boîtes à moustache. À la fin du questionnaire, les participants ont eu à répondre à deux questions ouvertes sur les avantages et les inconvénients du confinement. Pour ce faire, ils ont écrit trois mots décrivant les aspects positifs et trois mots pour les aspects négatifs du confinement. Les corpus de chacune des questions ont été analysés grâce au logiciel Tropes (version 8.5.0). Ce dernier est un logiciel d’analyse sémantique de textes choisi pour analyser les catégories de mots avec l’intention de construire un lexique d’une notion [10].
Ainsi, les mots sont regroupés en catégories rattachées à une thématique. Seules les catégories qui renferment le plus de fréquences de mots ont été prises en considération dans les résultats.
3. Résultats
3.1. Description de la population
Un total de 439 parents (âge moyen = 38 ans et 6 mois ; ety = 6 ans et 10 mois) ayant un ou plusieurs enfants âgés d’une semaine à 27 ans, a répondu au questionnaire. L’âge moyen du premier enfant est de 9 ans (écart-type : 7 ans et 3 mois ; les âges variant en moyenne entre 2 ans 9 mois et 16 ans 3 mois) ; lorsqu’il y a un deuxième enfant, son âge moyen est de 8 ans 8 mois (écart-type : 6 ans 5 mois ; les âges variant en moyenne entre 2 ans 3 mois et 15 ans 1 mois) ; et enfin, pour les familles avec trois enfants, le benjamin a une moyenne d’âge de 8 ans (écart-type 8 ans 3 mois ; les âges variant en moyenne entre 3 mois et 16 ans 3 mois).
Au total, 88,60 % des enfants vivent à temps plein dans leur résidence et 91,50 % ont passé le confinement à temps plein dans la même résidence. 89,10 % des répondants sont des femmes. Durant le confinement, les familles interrogées sont très majoritairement restées dans leur logement principal habituel (92,90 %). Les données sociodémographiques sont présentées dans le Tableau 1 .
Tableau 1.
Nombre d’enfants (âge moyen des enfants = 8 ans 7 mois ; σ: 7 ans 4 mois) | ||
---|---|---|
1 (36,10 %) |
2 (45,00 %) |
3 (15,80 %) |
Catégorie socio-professionnelle | |
---|---|
Cadres (48,70 %) |
Employés (27,80 %) |
Statut marital | ||||
---|---|---|---|---|
Mariés (52,40 %) |
Pacsés (21,90 %) |
Union libre (13,20 %) |
Célibataires (6,80 %) |
Divorcés (5,70 %) |
Vivent en couple (90,20 %) |
Lieu de vie | |||
---|---|---|---|
Maisons (65,80 %) | Appartements (33,50 %) | Lieu de vie habituel (92,90 %) En moyenne, 4 pièces |
Avec espace extérieur (balcon, terrasse, jardin…) (88,90 %) |
En ce qui concerne l’organisation des sorties durant le confinement et les explications transmises aux enfants, les parents ne relèvent généralement que peu de difficultés. En effet, les sorties de l’adulte seul sont majoritaires (77,70 %) par rapport à celles faites en famille (42,20 %), mais les deux sont peu fréquentes (en moyenne une à deux fois par semaine).
Les parents ont pour la plupart donné des explications relatives à la situation sanitaire et aux gestes barrières à l’oral (61,80 %), ce qui est plus adapté au regard de la moyenne d’âge des enfants de l’échantillon (9 ans). Certains ont utilisé un support (17 %) et quelques-uns ont demandé l’aide d’un professionnel (2,8 %). Les parents qui n’ont donné aucune explication sont très minoritaires (0,5 %) ou considèrent leur enfant trop jeune (17,70 %).
3.2. Analyses quantitatives
3.2.1. Organisation familiale et vécu émotionnel
La Fig. 1 présente les analyses quantitatives concernant l’organisation durant la période de confinement et le vécu émotionnel des enfants. La qualité des sorties, l’exposition à la COVID-19 de la famille et l’application/respect des gestes barrières ont été évalués sur des échelles entre 0 et 10. Globalement, les parents sont satisfaits de leur logement (8,42) et de la qualité des sorties (8,5). En ce qui concerne la COVID-19, les familles estiment avoir été moyennement exposées (4,21) et respectent et appliquent moyennement les gestes barrière (6,70). L’inquiétude des enfants (3,38) était moins importante que celle ressentie par les parents (5,52). Les participants estiment que les enfants comprennent le contexte (6,49), s’inquiètent peu (3,29) et acceptent moyennement la situation (6,71). L’évaluation de l’inquiétude des proches est évaluée à 6,59, donc plus importante que celle ressentie par les répondants. Les parents pensent à 61,3 % que l’expérience COVID-19 va modifier les habitudes d’hygiène de leur famille.
3.2.2. Changements d’habitudes
Le temps consacré aux tâches quotidiennes augmente pendant le confinement passant de 37,10 % à 55,10 %. Les enfants n’y participent pas beaucoup plus (1,21 entre −10 et +10). Durant le confinement, 87,90 % des parents ont souhaité maintenir des contacts pour les enfants avec l’entourage (famille, amis, camarades, etc.).
Alors qu’une grande majorité des parents exerçaient une activité professionnelle (85,80 %), la plupart d’entre eux l’ont poursuivie en aménageant les conditions de travail (71,60 %), d’autres ont dû l’interrompre (14,60 %). Parmi les répondants, 19,90 % des foyers vivent des difficultés économiques liées au confinement.
Ceux qui devaient sortir pour leur activité professionnelle ont ressenti une inquiétude moyenne (évaluée à 5,59 sur une échelle de 0 à 10). Le travail prend plus de la moitié de leur temps (52,70 %) et le rythme de travail a diminué comparativement au temps pré COVID-19 (−2,25 entre −10 et +10).
Au total, 83,30 % des foyers étaient composés de deux parents. Dans 79,60 % des foyers, il y a au moins un enfant en âge scolaire (à partir de la maternelle) et 96,30 % d’entre eux ont bénéficié d’une continuité pédagogique.
L’activité scolaire occupait entre 0 et 30 minutes pour 47,70 % des foyers. 19,10 % des familles déclarent ne pas être concernées par cette tâche (enfants trop jeunes ou autonomes).
En ce qui concerne l’équipement, les familles de notre échantillon disposaient d’ordinateurs (97,7 %), d’imprimantes (81,60 %) et d’un accès à internet (99,40 %). Les cours étaient reçus de façon journalière (71,30 %) ou hebdomadaire (24,50 %). 80,50 % des parents n’ont pas reçu d’aide extérieure pour la scolarité des enfants.
L’autonomie des enfants au travail n’a pas été un problème pour 26,40 % des foyers. En revanche, elle l’a été pour 73,60 % (très souvent pour 23,20 % des familles).
En ce qui concerne les activités de loisirs, les enfants pratiquaient dans l’ordre de fréquence : des activités sportives/motrices (87,10 %), la lecture (87 %), des activités créatives (85,5 %), les écrans (85,3 %), la cuisine (80,5 %), les jeux (Lego, voitures, poupées ; 79,10 %), jeux de société (75,3 %), jeux pédagogiques (72,3 %), activités ménagères (63,1 %), le jardinage (54,1 %), activités culturelles (30,4 %) et d’autres activités (déguisement, piscine, écoute de podcasts, soins/beauté ; 9,3 %).
3.2.3. Changements physiologiques, émotionnels et comportementaux
Le Tableau 2 présente l’observation des parents sur les changements physiologiques, émotionnels, comportementaux, et sociaux, des enfants durant le confinement. Chaque item contient trois modalités de réponses : changement positif, aucun changement ou changement négatif. Pour la majorité, les parents n’observent aucun changement. Par contre, ils notent un changement positif pour l’autonomie des enfants. D’autres, observent aussi des changements positifs sur le sommeil pour 20 % des foyers et sur l’alimentation pour 20,30 % des foyers. Enfin, pour certains, le confinement semble à l’inverse avoir influencé négativement le sommeil (29,10 %), augmenté l’anxiété (25,10 %), l’ennui (36,10 %), l’irritabilité (35,10 %).
Tableau 2.
Changement positif (%) | Aucun changement (%) | Changement négatif (%) | |
---|---|---|---|
Sommeil | 20,00 | 50,10 | 29,10 |
Alimentation | 20,30 | 64,50 | 15,20 |
Tristesse | 2,80 | 81,00 | 16,10 |
Stress/Anxiété | 5,10 | 69,80 | 25,10 |
Estime de soi | 14,30 | 76,10 | 8,50 |
Ennui | 7,50 | 56,30 | 36,10 |
Irritabilité/Colère | 7,30 | 57,60 | 35,10 |
Calme | 17,80 | 67,30 | 14,70 |
Autonomie | 53,50 | 39,80 | 6,60 |
Relations familiales | 41,00 | 47,80 | 11,00 |
En gras est indiqué le pourcentage le plus élevé obtenu pour chaque variable.
En ce qui concerne la qualité de la cohabitation, le confinement a amélioré les relations familiales pour 41 % des parents.
Cette amélioration peut être liée à une organisation commune plus importante : le temps alloué aux tâches ménagères est estimé à 37,10 % (ety = 21,50) avant le confinement et passe à 55,10 % (ety = 24,00) pendant le confinement. Les adultes ont plus de temps pour faire ces activités et de les partager en famille. Toutefois, le relais n’est pas principalement assuré par les enfants, puisque leur participation aux tâches reste moyennement stable à 1,21 (ety = 3,23) entre −10 (moins qu’avant) et +10 (plus qu’avant).
3.3. Analyses qualitatives
3.3.1. Les aspects positifs du confinement : du temps pour les siens et du temps pour soi
La majorité des parents ont évoqué le terme « temps » dans la liste des avantages du confinement en lien avec la famille ou avec eux-mêmes. Ce terme devient ainsi multiple et renferme plusieurs sous-catégories. Tout d’abord, il y a le temps en famille (« temps passé ensemble », « plus de temps pour les enfants »…). Ce temps est donc investi dans le relationnel, dans les activités et dans les échanges avec le partenaire, avec les enfants et l’occasion de « renforcer les liens familiaux ». C’est un temps ralenti dans lequel le parent peut « prendre le temps » de « voir les enfants grandir », un « temps qualitatif ». Le terme « temps » a aussi été associé au singulier. Les parents trouvent que le confinement a permis de rompre avec le rythme du quotidien et ainsi avoir du temps pour eux-mêmes. Certains évoquent le fait que le confinement a été l’occasion de trouver le « temps pour se reposer », un « temps pour soi ». Le temps devient un gage d’une qualité de vie grâce à la réduction des temps de trajets et en passant plus de temps chez soi. Certains évoquent le fait qu’ils ont eu le temps de « terminer des travaux » de réparer, de bricoler. Notons la présence de l’adverbe « plus » qui souligne une comparaison avec un temps passé dans lequel le parent n’avait pas suffisamment de temps. D’ailleurs ce gain de temps coïncide avec la présence d’émotions positives (ex. rire, amour, joie…) et la baisse des émotions négatives avec l’adverbe moins (« moins s’énerver », « moins de stress par rapport au rythme du travail », « moins de stress concernant les horaires », « se sentir plus calme », « prendre du recul par rapport au travail »…).
3.3.2. Les aspects négatifs du confinement : l’omniprésence du sentiment de manque et la peur de l’avenir
Le terme le plus récurrent lorsqu’il s’agit d’évoquer les aspects négatifs est le « manque » au sens de privation. Certes le confinement a été l’occasion de consolider les liens parents/enfants mais il a distendu les liens familiaux et amicaux. Les participants évoquent un manque de « lien social » et de « contact social avec les amis ». Le manque devient synonyme d’absence, de sentiment de solitude et de séparation. L’absence de relation avec les amis est associée à son tour à un autre aspect : le manque de liberté. En effet, le confinement est vécu par certains comme une privation de la liberté « individuelle », « de circulation » et « de sortie ». Cette situation devient donc génératrice d’émotions négatives telles que l’ennui, l’angoisse, ou encore la frustration mais aussi à des états psychopathologiques tels que la paranoïa, la psychose ou encore l’agoraphobie (termes cités par les participants). Nous relevons des verbalisations telles que « stress des informations journalières télévisées concernant le nombre de morts », « attitudes des gens psychotiques et paranoïaques », « agressivité des autres », « méfiance des personnes », « destruction de l’économie », « tensions et énervements dus à la promiscuité et à l’enfermement ». L’inquiétude est aussi associée à toutes ces pertes (relationnelles, des libertés…) mais aussi à l’avenir. En effet, les participants ont « peur » des conséquences « économiques » du confinement sur leur activité professionnelle et donc sur leur vie (« intrusion du travail dans la sphère privée », « pauvreté », « travailler tard pour compenser », « frustration par rapport au travail »). Certains parlent du télétravail comme une situation de limitation des possibilités et d’efficacité tandis que d’autres évoquent leur chômage partiel comme une situation anxiogène (« télétravail difficile à organiser », « le télétravail est inefficace »). L’activité professionnelle est « en baisse » ou devient difficile à gérer en raison de la présence des enfants qui demandent une attention permanente surtout en bas âge (« intrusion du travail dans la sphère privée » ; « difficulté du télétravail avec un enfant en situation de handicap »).
4. Discussion
L’objectif de cette enquête est d’étudier le vécu du confinement par les familles avec enfants.
Un peu plus de la moitié des parents constatent un gain d’autonomie chez leurs enfants ainsi qu’une amélioration des relations familiales. Nous pouvons faire l’hypothèse du développement de ressources personnelles et familiales dans le sens de stratégies de faire face efficaces et adaptées. Les résultats montrent que les conditions de vie et de confinement étaient plutôt satisfaisantes. La majorité de l’échantillon vit en couple, donc cela sous-entend qu’il y a un relais parental possible concernant les activités de la vie quotidienne, ce qui peut constituer un facteur de protection contre l’augmentation de la charge mentale qui peut se répercuter négativement sur les enfants, les parents étant soumis à une plus grande pression dans ce cas-là. L’adaptation de ces familles avec enfants s’est généralement bien faite concernant le rythme biologique (sommeil, alimentation), les habitudes de vie (organisation domestique, travail/devoirs, loisirs), de sorties, ou encore l’application des gestes barrières. Ils semblent avoir réussi à conserver une routine stable et sécurisante ce qui a certainement constitué un facteur de protection contre l’anxiété. Une partie de cette routine pourrait être le maintien de contacts avec l’entourage. Cependant, celui-ci dépend de l’accès à la technologie nécessaire, ce qui n’est pas le cas de toute la population. Certaines familles évoquent par ailleurs un manque de relation sociale et un sentiment de privation.
Nos résultats confirment les données européennes et internationales recueillies chez des enfants dans des pays où des mesures strictes de confinement ont été appliquées [2], [5], [6], [7], [8], [11], [12], [13] car certaines familles notent une moins bonne qualité de sommeil chez leurs enfants, une augmentation de l’anxiété et du stress, de l’ennui et de l’irritabilité ou de la colère.
Du point de vue émotionnel, nous constatons que les parents se sont décrits comme ayant vécu la situation du confinement de manière plus anxiogène que leurs enfants. Ils estiment leur inquiétude plus importante lorsqu’il s’agit de leurs proches. Ce dernier point semble être en faveur de la préservation du bien-être et de la santé mentale des enfants par les parents. Ceux-ci font probablement l’hypothèse que l’incapacité de compréhension de la situation par les enfants les protège d’une certaine anxiété.
Cette étude comporte plusieurs limitations. Tout d’abord, liées à la méthodologie, il s’agit d’une difficulté à déterminer le taux de réponse souvent plus faible via les enquêtes en ligne [14]. Cependant, ce choix se justifie par la situation imprévue et inédite, tout comme l’impossibilité d’accéder directement aux familles. De plus, notre échantillon ne correspond pas à la population française car nous observons une surreprésentation des femmes, des cadres, et des personnes vivant en maison. Il est donc difficile de généraliser les résultats au niveau national. Cette répartition est cependant bien connue dans la littérature [15]. Enfin, il s’agit d’une étude subjective qui ne prend en considération que le point de vue des parents. Une étude qualitative portant sur des entretiens menés avec les parents est en cours grâce à une méthodologie d’approche phénoménologique interprétative (IPA) pour mieux comprendre le vécu subjectif comme l’étude de Tiwari et al. [16]. Il serait aussi intéressant de recueillir celui des enfants et des adolescents.
Les facteurs qui peuvent être perçus ou considérés comme protecteurs (renforcement des liens familiaux, maintien des contacts, …) doivent être soulignés pour être pris en compte par les professionnels. Il s’agit alors de promouvoir ces conseils, d’assurer la continuité des soins pour les familles concernées, de proposer du soutien et de la guidance parentale pour répondre aux besoins des enfants et de les aider à développer les ressources personnelles et familiales. Pendant ces périodes de stress, l’objectif est finalement d’éviter le burn-out parental [17], [18], [19]. En effet, ces périodes sont propices à de multiples déséquilibres au sein des familles.
Cependant, dans notre échantillon, selon les participants, une majorité des enfants ont bénéficié, durant le confinement, d’un contexte familial structuré : ils ont vécu dans de bonnes conditions matérielles, ont conservé leurs habitudes de vie, ont eu accès à un environnement extérieur, et les deux parents étaient présents. Ces caractéristiques ont participé à la stabilité du cadre familial. Les habitudes des enfants et la stabilité de la famille ayant été respectées, nous pouvons émettre l’hypothèse que cela a participé à les préserver d’éventuelles répercussions anxieuses et/ou traumatiques. En effet, cela a probablement soutenu l’émergence de ressources et a permis le maintien des conditions favorables à la poursuite du bon développement des enfants. Il est important de souligner que la plupart des parents ont su spontanément faire des choix éducatifs et organisationnels qui ont préservé ce cadre en donnant un sens principalement positif à l’expérience du confinement. Finalement, ces bases familiales solides ont permis des prises de décision positives et bienveillantes pour gérer les émotions des enfants et de la famille dans sa globalité.
5. Conclusion
Bien que le confinement ait suscité des émotions négatives chez certains enfants, il a également permis de développer de nouvelles ressources comme avoir plus de temps pour soi et pour les enfants. Pour la plupart, un changement de rythme a été découvert pendant le confinement et a été vécu comme bénéfique. Certains facteurs rapportés, tels que le renforcement des liens, pourraient être des facteurs protecteurs de troubles psychopathologiques et constituent de bonnes pistes dans les interventions à proposer aux enfants et à leur famille.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
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