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. 2021 Nov;67(11):812–815. [Article in French] doi: 10.46747/cfp.6711812

Modes de rémunération alternatifs

Une voie à suivre

Goldis Mitra 1, Agnes Grudniewicz 2, M Ruth Lavergne 3, Renee Fernandez 4, Ian Scott 5
PMCID: PMC8589142  PMID: 34772707

Ironiquement, au moment même où des données définitives confirment les contributions essentielles des soins primaires aux soins de santé… des médecins exerçant les soins primaires sont démoralisés, prennent une retraite précoce et conseillent à d’autres de ne pas choisir cette discipline.

Allan H. Goroll et coll.1

La plupart des médecins de famille (MF) diraient que la situation n’a pas beaucoup changé au cours des 15 années écoulées depuis la publication de cette déclaration dans un article de revue revendiquant des réformes à la rémunération en soins primaires1. Au Canada, le ratio de MF par habitant n’a jamais été aussi élevé et, pourtant, les Canadiens continuent d’éprouver des difficultés à accéder à des soins primaires complets2-4. Les nouveaux MF choisissent de travailler dans des hôpitaux ou des pratiques ciblées plutôt que d’exercer la médecine familiale complète et globale, ce que nous définissons comme étant des soins primaires longitudinaux à une population définie de patients durant tout le cycle de vie et qui répondent à un éventail de présentations cliniques5. Bon nombre de ces nouveaux MF ne s’aventurent jamais en médecine familiale complète, et ceux qui le font quittent souvent cette pratique, invoquant fréquemment les problèmes de longue date liés à la rémunération à l’acte (RA)6. Plus récemment, la pandémie de la maladie à coronavirus 2019 a exposé des problèmes additionnels associés au mode de RA7.

De plus en plus de données probantes font valoir que l’accessibilité à divers modes de rémunération influence les décisions des MF nouvellement diplômés quant à leur pratique future8. La réforme du mode de rémunération à elle seule ne suffira pas à revigorer la médecine familiale complète qui nécessite d’autres piliers, comme un leadership engagé, des incitatifs à l’innovation et l’amélioration continue de la qualité9. Par ailleurs, il s’agit d’une partie de la solution qui peut renforcer les soins en équipe et aider à atténuer les éléments dissuasifs, comme les tâches administratives et la paperasserie grandissantes10. Les gouvernements et les associations médicales provinciales et territoriales seraient avisés d’adapter en conséquence leurs systèmes de rémunération.

Nous discutons ici de la menace posée aux soins primaires longitudinaux par la dépendance continue à l’égard des modèles de RA, de même que des réformes de la rémunération nécessaires au maintien et à l’expansion de la médecine familiale complète et globale.

Contextualisation du problème de la rémunération

Depuis plus de 50 ans, les MF canadiens sont principalement rémunérés à l’acte, un mode selon lequel ils sont payés un montant prédéterminé pour chaque service rendu à un patient. La rémunération à l’acte a perdu de sa popularité comme forme privilégiée de paiement, particulièrement chez ceux qui commencent leur carrière8. Au nombre des raisons figurent des préoccupations entourant la qualité des soins prodigués aux patients en vertu de ce modèle, les répercussions négatives « d’un problème par visite », les limites de temps inhérentes à la RA et les difficultés de servir les patients marginalisés ou moins favorisés8,11. S’il existe des exemples de modèles de soins primaires en équipes interdisciplinaires financés par la RA, ils ont tendance à être l’exception plutôt que la règle12.

La pandémie de la maladie à coronavirus 2019 a mis en évidence d’autres problèmes du mode de RA, comme l’instabilité du revenu et la nécessité de changements dans la pratique qui progressent souvent plus rapidement que les cycles du barème des honoraires7,13. C’est pourquoi le Collège des médecins de famille du Canada a renouvelé sa revendication d’instaurer d’autres modes de rémunération14.

Ensemble, ces problèmes ont suscité un intérêt renouvelé des médecins pour des solutions de rechange à la RA, comme la rémunération par salaire ou par capitation et des modèles mixtes, collectivement appelés modes de rémunération alternatifs (MRA). Des modes de rémunération alternatifs ont été mis en œuvre de manière fragmentée dans diverses provinces canadiennes10. Les modes de rémunération par capitation paient aux médecins un montant fixe par patient pour la prestation d’un « panier » de services en soins primaires, accompagné de rajustements en fonction de facteurs comme l’âge et la complexité du patient. Des modèles efficaces par capitation, rajustés en fonction du risque, ont été mis à l’essai en Colombie-Britannique (C.-B.)15 et sont largement utilisés dans le monde depuis des décennies16. Les modes de rémunération mixtes combinent souvent des éléments de la capitation et de la RA.

La réforme de la rémunération est un élément essentiel à la réussite de la transition vers le modèle de soins du Centre de médecine de famille17-19. L’adoption de MRA permet d’accroître la capacité de financer et de soutenir des soins en équipe, parce que le financement est versé indépendamment de l’interaction directe médecin-patient. Les équipes peuvent être financées directement dans une clinique gérée par une autorité sanitaire ou une organisation sans but lucratif régie par la communauté. Autrement, elles peuvent être financées dans des cliniques appartenant à des médecins grâce à une flexibilité accrue dans la délégation des soins aux patients à des infirmières, des pharmaciens et d’autres professionnels de la santé. Les modes de rémunération alternatifs donnent aussi la flexibilité voulue pour que les MF passent plus de temps avec les patients, au besoin, pour répondre à des besoins de plus en plus complexes sur le plan social et de la santé.

Au Canada, l’implantation des MRA et d’innovations dans les soins en équipe, quoique limitée, a déjà contribué au recrutement et à la rétention de MF dans les soins longitudinaux8. Les médecins rémunérés par salaire et par capitation signalent des degrés de satisfaction plus élevés que ceux qui travaillent dans des milieux où la rémunération est à l’acte20,21. Les soins aux patients dispensés par un centre de médecine de famille financé par des MRA sont aussi associés à une plus grande probabilité de dépistage préventif du diabète et du cancer11.

Des recherches antérieures font valoir que les modes de rémunération sont des éléments importants pour guider la prise de décisions MF en début de carrière quant à leur pratique future, la plupart préférant de beaucoup les MRA6. En dépit de l’apparition de MRA dans certaines autorités compétentes au Canada, la RA demeure le mode de rémunération prédominant. En Ontario, il existe plusieurs modes de rémunération différents, y compris par salaire et par capitation, ce qui s’est traduit par les taux de MF payés par RA les plus bas. Malheureusement, l’accessibilité à ces modes de rémunération a été entravée par la province au cours des dernières années22. À l’autre extrémité du spectre, la C.-B. n’a que des choix limités de rechange à la RA et connaît jusqu’à présent les taux les plus bas de réformes des soins primaires23-25.

De récents mouvements vers une réforme de la rémunération dans quelques provinces ont alimenté les conversations entourant les régimes de rémunération optimaux. Par exemple, en C.-B., on a récemment élaboré de nouveaux contrats avec les MF26; en Ontario, on examine des options de financement transorganisationnel pour les équipes Santé Ontario récemment mises sur pied27; et en Nouvelle-Écosse, on travaille à élaborer un mode de rémunération par capitation mixte28.

Comprendre les solutions possibles

Les résultats préliminaires de notre étude pancanadienne auprès de MF en début de carrière en C.-B., en Ontario et en Nouvelle-Écosse29 nous aident à mieux comprendre cet enjeu. Nos recherches, dont nous rendrons compte dans une publication future, pointent vers une préférence pour des solutions de rechange à la RA et font valoir qu’un manque de modes alternatifs fait en sorte que les soins primaires complets et longitudinaux sont loin dans les préférences en matière de genre de pratique30.

Notre équipe a mené des entrevues semistructurées en profondeur dans 3 provinces avec 63 MF, tous dans leurs premières 10 années de pratique. Les participants ont été recrutés pour explorer une gamme de caractéristiques personnelles et de milieux de pratique. Parmi nos participants, 41 % pratiquaient exclusivement la médecine familiale complète, tandis que les autres consacraient des parts ou l’entièreté de leur temps à un domaine ciblé. Les milieux de pratique de 51 % des participants étaient urbains ou de banlieue.

Nos données indiquent que l’accessibilité à divers modes de rémunération est un facteur important qui influence les choix de pratique des médecins en début de carrière. Dans les régions du pays où la RA était la seule option de rémunération, certains MF étaient dissuadés de pratiquer la médecine familiale complète. Dans ces milieux, plusieurs optaient pour des remplacements en série ou des domaines de pratique ciblée, en dépit de leur désir de dispenser des soins primaires longitudinaux. Un médecin de la C.-B. nous a dit : « Nous voulons mettre sur pied des cliniques; nous voulons nous occuper d’une population définie; nous voulons en assurer le suivi. C’est pourquoi nous sommes allés à la faculté de médecine et nous avons fait notre résidence. Pourtant, plusieurs d’entre nous ne le faisons pas, parce que le système en C.-B. n’est pas structuré pour cela. » Les participants ont exprimé de sérieuses préoccupations relatives à l’épuisement professionnel et considéraient une carrière en milieu hospitalier ou dans un domaine de pratique ciblée comme une façon de se protéger contre les demandes insoutenables de la médecine familiale complète rémunérée à l’acte.

Pour les MF en début de carrière interviewés, ce n’était pas simplement leur aversion du mode de RA qui influençait leur prise de décisions. C’était plutôt que la RA entravait leur capacité de fournir des soins médicaux de grande qualité et conformes à leurs valeurs. Un médecin de l’Ontario nous a confié ce qui suit : « Je ne travaillerai jamais dans une clinique rémunérée à l’acte, parce que mon approche à l’égard de l’exercice de la médecine et ce sur quoi je veux me concentrer ne concordent pas avec les valeurs nécessaires pour réussir financièrement dans ces modèles. » Les participants payés par RA ont fait remarquer que ce mode les obligeait à voir de grandes quantités de patients sans avoir suffisamment de temps avec chacun pour répondre à leurs besoins de plus en plus complexes.

Enfin, de nombreux participants croyaient que la RA offrait peu de possibilités d’établir des équipes interprofessionnelles de soins primaires. Même si plusieurs d’entre eux avaient suivi leur formation en résidence dans des cliniques en équipes interprofessionnelles financées par des MRA, ils se sont dits déçus que de tels modèles de soins ne leur aient plus été accessibles quand ils ont commencé à exercer.

La voie à suivre

Nous continuons à décerner des diplômes à un grand nombre de MF, mais nous ne réglerons pas le problème des pratiques chancelantes de la médecine familiale complète sans instaurer plus d’options de rechange à la RA. Même lorsque les résidents en médecine familiale sont formés au sein d’équipes interprofessionnelles et rémunérés en vertu de MRA, au moment de recevoir leur diplôme, ils ont peu de choix de pratiquer dans des modèles semblables. En Ontario, où il s’est produit le plus grand nombre de réformes de la rémunération jusqu’à présent, les diplômés intéressés à exercer la médecine familiale complète n’ont pas d’autres choix que d’acquérir à grand prix la pratique d’un médecin qui prend sa retraite ou de mettre sur pied une clinique financée par des MRA. Ils choisissent plutôt d’autres formes de pratique qui sont bien soutenues par des équipes interprofessionnelles, n’exigent pas qu’ils soient propriétaires de l’entreprise et sont rémunérées de manière plus prévisible.

Il y a eu récemment des changements positifs aux modes de rémunération qui modifieront le paysage. La Nova Scotia Master Agreement de 2019 comprend un engagement à élaborer un mode de financement mixte par capitation, qui s’ajoutera aux options existantes de RA et de MRA28. En C.-B., la convention collective des médecins de 2019 prévoit un processus pour consulter ces derniers concernant l’élaboration de MRA31.

Les gouvernements provinciaux et les associations médicales provinciales et territoriales au Canada doivent adapter minutieusement la façon dont ils financent les soins primaires. Il existe des modèles canadiens de MRA viables et attrayants, qui n’augmentent pas considérablement les coûts des soins primaires par patient en comparaison de la RA. La C.-B. mène un projet expérimental continu concernant un tel modèle par capitation, rajusté en fonction de l’âge et de la complexité médicale des patients, et prévoyant une indexation des paiements par patient en fonction des coûts de facturation à l’acte pour des patients ayant un profil de santé semblable15. De plus, il existe au pays des contrats avec des médecins et d’autres options à salaire qui permettent la prévisibilité du revenu annuel des MF et imposent moins de fardeaux administratifs.

Alors que se poursuivent ces importantes conversations, il faut élaborer, élargir et offrir abondamment des MRA dont les résultats aux niveaux des patients, des médecins et du système sont étudiés rigoureusement. Ce faisant, nous pouvons assurer la prestation de soins en équipe de grande qualité et accessibles, tout en soutenant les MF qui pratiquent la médecine familiale complète. Sans MRA qui reconnaissent et valorisent le rôle fondamental que jouent les MF dans notre système, nous risquons d’effriter encore plus la pratique complète et globale.

Footnotes

Remerciements

Nous remercions l’équipe de l’Étude sur les soins primaires en début de carrière, nos médecins participants d’avoir accordé de leur temps pour partager leurs expériences, et Mme Lori Jones pour son aide dans l’analyse des données. Cette étude de recherche a été financée par une subvention de projet versée par les Instituts de recherche en santé du Canada. Mme M. Ruth Lavergne est financée par un prix d’érudition de la Michael Smith Foundation for Health Research.

Intérêts concurrents

Aucun déclaré

Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.

Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.

This article is also in English on page 805.

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