Abstract
Lors de la première vague de l’épidémie à COVID-19, le centre hospitalier de Colmar s’est retrouvé à l’épicentre de la pandémie du fait d’un rassemblement religieux qui avait provoqué une vague de contamination. Pour faire face à la vague grandissante d’admission en réanimation, l’État, en partenariat avec l’armée, a mis un point l’opération MORPHEE visant à transférer dans d’autres hôpitaux des patients intubés. À leur retour en Alsace, l’équipe de psychiatrie de liaison interservices est sollicitée pour plusieurs d’entre eux qui, bien que vierges d’antécédents psychiatriques, ont présenté à leur réveil des tableaux psychotiques qui ont été spontanément résolutifs. Ces tableaux ne correspondent pas aux tableaux délirants habituellement observés en réanimation comme les « trou réa » ou les « near-death-experience », il n’a été retrouvé aucune origine iatrogène et les examens d’imagerie ne permettent pas d’expliquer ce tableau ; dès lors, on ne peut exclure que ce tableau pourrait être des manifestations neurologiques de COVID-19. Le trouble semblant être spontanément résolutif, nous invitons donc à la prudence quant à une approche médicamenteuse face à ce problème.
Mots clés: COVID-19, Premier épisode psychotique, Psychiatrie de liaison, Réanimation
Abstract
During the first wave of the COVID-19 epidemic, the Colmar hospital was at the epicenter of the pandemic in France because of a religious gathering that caused a wave of contamination. In order to face the growing wave of admissions in intensive care, the state in partnership with the army set up the operation MORPHEE aiming at transferring intubated patients to other hospitals. On their return to Alsace, the inter-service liaison psychiatry team was called upon for several of them who presented psychotic disorders on waking up, even though they had no previous psychiatric history, and who had resolved spontaneously. These pictures do not correspond to the delirious pictures usually observed in the ICU, such as “reanimatory black-holes” or “near-death-experience”. No iatrogenic origin was found and the imaging examinations do not allow to explain this picture; therefore, we cannot exclude that this picture could be a neurological manifestation of COVID-19. The disorder appeared to be spontaneously resolving, so we would urge caution about a drug approach to this problem.
Keywords: COVID-19, First psychotic episode, Intensive care, Liaison psychiatry
1. Introduction
En 2020, pour faire face au manque de place dans les services de réanimation du fait de la pandémie au COVID-19, les États européens organisent un dispositif de transferts de patients intubés vers les hôpitaux de pays ou région moins touchés par l’épidémie.
L’opération Morphée (MOdule de Réanimation pour Patient à Haute Élongation d’Évacuation) a permis d’évacuer 644 patients intubés entre le 18 mars et le 10 avril (Tableau 1 ).
Tableau 1.
Date | Transport | Région de départ | Région d’arrivée | Pays d’arrivée | Nombre de patients |
---|---|---|---|---|---|
03-18 | avion | Grand Est | Provence-Alpes-Côte-d’Azur | 6 | |
03-21 | avion | Grand Est | Nouvelle-Aquitaine | 6 | |
03-22 | bateau militaire | Corse | Provence-Alpes-Côte-d’Azur | 12 | |
03-23 | avion | Grand Est | Bretagne | 6 | |
03-26 | train | Grand Est | Pays-de-la-Loire | 20 | |
03-27 | avion | Grand Est | Nouvelle-Aquitaine | 6 | |
03-27 | avion | Grand Est | Nouvelle-Aquitaine | 12 | |
03-28 | avion | Île-de-France | Centre-Val de Loire | 12 | |
03-27 | avion ; train | Bourgogne-Franche-Comté | Auvergne-Rhône-Alpes | 41 | |
03-28 | avion | Bourgogne-Franche-Comté | Provence-Alpes-Côte-d’Azur | 10 | |
03-29 | train | Grand Est | Nouvelle-Aquitaine | 12 | |
03-29 | train | Grand Est | Nouvelle-Aquitaine | 24 | |
03-31 | avion | Grand Est | Allemagne | 6 | |
04-01 | train | Île-de-France | Bretagne | 32 | |
04-01 | avion | Grand Est | Occitanie | 12 | |
04-01 | avion | Île-de-France | Pays-de-la-Loire | 47 | |
04-01 | avion ;train | Île-de-France | Normandie | 44 | |
04-01 | avion | Île-de-France | Centre-Val de Loire | 11 | |
04-03 | avion | Grand Est | Occitanie | 6 | |
04-03 | train | Grand Est | Nouvelle-Aquitaine | 24 | |
04-03 | avion | Île-de-France | Auvergne-Rhône-Alpes | 20 | |
04-04 | avion | Grand Est | Occitanie | 12 | |
04-05 | train | Île-de-France | Bretagne | 41 | |
03-21 | avion ;train | Grand Est | Allemagne, Suisse, Luxembourg, Autriche | 172 | |
03-26 | avion | Bourgogne-Franche-Comté | Suisse | 5 | |
04-10 | train | Île-de-France | Nouvelle-Aquitaine | 45 |
Dans le Grand-Est, le plan Morphée a couvert 324 patients qui ont été transférés. À leur retour en Alsace, certains de ces patients ont pu témoigner de leur vécu de la prise en charge. Ils ont été immédiatement contactés par l’équipe de psychiatrie de liaison inter-service qui, avec l’aide des professionnels de la thérapie familiale, a organisé un groupe de parole pour les patients concernés par l’opération [1]. Chez un bon nombre d’entre eux, un tableau clinique psychiatrique très particulier émerge, justifiant une évaluation après leur retour en Alsace. Ce tableau se distingue entre autres des tableaux psychiatriques post-réanimation de par ses caractéristiques cliniques de patients vierges de tout antécédent psychiatrique connu.
2. Observations
Plusieurs éléments de contexte ont rendu la prise en charge de ces patients inédite :
-
•
Une amnésie totale du transfert avec un réveil dans une autre ville ou un autre pays ;
-
•
Une prise de contact avec une équipe parlant une langue étrangère ;
-
•
Éloignement de la famille et perte de tout repère spatial ou temporel.
Le tableau clinique de ces patients regroupait :
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•
Des cauchemars traumatisants, autour du thème de la mort et de la mutilation du corps, souvent redondants plusieurs nuits de suite ;
-
•
Souvent un tableau délirant, avec un mécanisme imaginatif ou interprétatif, sur le thème de persécution, avec une participation affective intense et une adhésion totale du patient. Cet état persiste plusieurs jours après le réveil, et cède le plus souvent grâce à l’intervention des proches pour la réassurance ou, plus rarement, grâce à la réassurance de l’équipe soignante ;
-
•
Désorientation temporospatiale persistante sur plusieurs jours, avec amnésie des événements précédant leur prise en charge.
Ce tableau clinique ne correspond pas au syndrome de stress post-traumatique classique : aucune reviviscence diurne ou nocturne n’est constatée (la plupart des patients ne se souviennent pas d’avoir été à l’hôpital ou en service de réanimation) et on ne signale que très rarement un tableau d’hypervigilance qui, lorsqu’il est constaté, est le plus souvent secondaire à un tableau délirant.
Le tableau clinique ne correspond pas non plus à un syndrome de « trou-réa »[2] qui correspond plus à un sentiment de vide psychique avec un contenu émotionnel autour de la période en réanimation, où des éléments confuso-oniriques sont possible en lien avec ce que le patient perçoit autour de lui (une potence de perfusion transformée en crochet de boucher par exemple).
Enfin, il faut le distinguer des Near-Death-Experiences [3] qui sont en général composées de reviviscences de souvenirs (pas nécessairement liés au traumatisme) ou de sensations de « sortie du corps » provoquées par un sentiment de mort imminente ou rapportées par des sujets dont le pronostic vital a été sévèrement engagé. La plupart des patients du groupe Morphée n’étaient pas conscients que leur vie soit menacée.
3. Discussions
3.1. Étiologie du trouble
Plusieurs hypothèses pourraient être soulevées quant à l’origine de ce tableau :
Face à l’afflux de patients en soins intensifs, une alerte a été lancée concernant une rupture de stock imminente de médicaments hypnotiques, forçant ainsi certains services à utiliser d’autres médicaments pour remplacer, par exemple, le midazolam. Ce tableau clinique pourrait-il être imputé à un effet secondaire d’un de ces médicaments ? Cela semble peu probable car la plupart des patients de l’opération Morphée ont été envoyés dans des centres où le nombre de cas COVID-19 était très faible. Ces centres n’avaient pas été menacés par une pénurie d’hypnotiques.
Les prises en charges réanimatoires liées au COVID-19 semblaient plus intensives que la prise en charge réanimatoire moyenne [2], avec une durée de coma d’environ 14 jours et un recours fréquent à la trachéotomie. Ce tableau pourrait-il être la conséquence d’un coma prolongé [4] ?
Les patients atteints de COVID-19 semblaient présenter un risque accru d’accident thrombotique, notamment au niveau pulmonaire [5]. Ces tableaux cliniques pourraient-ils être la conséquence de plusieurs micro-AVC ? Cette hypothèse est d’autant plus probable que ces patients semblent présenter des troubles cognitifs à leur réveil en réanimation [[3], [6]].
Enfin, le virus du COVID-19 s’est démarqué très tôt par son tropisme pour les tissus nerveux, provoquant ainsi des troubles olfactifs ou des dysgueusies [7]. Ainsi, ce tableau pourrait également être la conséquence d’une atteinte neurologique virale, même s’il n’a à notre connaissance pas été observé chez d’autres patients atteints de COVID-19 et qui n’ont pas été en réanimation.
3.2. L’atteinte de la pensée
Le tableau délirant présenté par les patients interpelle par sa nature. Il ne ressemble que très peu au délire d’un patient schizophrène. En effet, le tableau des patients du dispositif Morphée est plus marqué par des confabulations, notamment autour du vécu récent. Il s’accompagne fréquemment d’un véritable tableau délirant, souvent persécutif, avec une adhésion totale, mais ces convictions délirantes s’effondrent lorsque le patient retrouve le contact avec une personne de confiance.
Une origine névrotique de ce tableau peut s’évoquer devant la résolution après discussion avec un proche, mais peu d’arguments permettent d’étayer cette hypothèse. Les patients ne souffraient pas d’un trouble de la personnalité. Le vécu traumatisant n’a pas clairement été identifié chez les patients évacués.
Vu la forte prévalence d’asthénie, de dyspnée ou de trouble de la vigilance chez ces patients, les réanimateurs n’ont pas introduit de traitement antipsychotique de peur qu’il ait un effet sédatif, effet jugé trop dangereux compte tenu de l’état clinique des personnes concernées. Il n’a donc pas été possible d’observer la résistance potentielle de ce tableau délirant à un traitement médicamenteux adéquat. Toutefois, étant donné la durée brève du tableau et le délai pour l’efficacité des traitements antipsychotiques, il est probable qu’une rémission des idées délirantes aurait été attribuée à tort à un traitement médicamenteux. Il serait alors prudent à l’avenir, face à ce type de tableau, de réserver la solution médicamenteuse aux seuls patients ayant un tableau de plus de sept jours et qui ne cède pas après un contact avec un proche.
Financements
Les auteurs n’ont bénéficié d’aucune source de financement extérieure pour la rédaction du manuscrit.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
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- 2.Bhatraju P.K., Ghassemieh B.J., Nichols M., Kim R., Jerome K.R., Nalla A.K., et al. Covid-19 in Critically Ill Patients in the Seattle Region — Case Series. N Engl J Med. 2020;382(21):2012–2022. doi: 10.1056/NEJMoa2004500. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 3.Grosclaude M. Elsevier Health Sciences; 2009. Réanimation et coma: soin psychique et vécu du patient. [Google Scholar]
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- 5.Grillet F., Behr J., Calame P., Aubry S., Delabrousse E. Acute Pulmonary Embolism Associated with COVID-19 Pneumonia Detected by Pulmonary CT Angiography. Radiology. 2020;296:201544. doi: 10.1148/radiol.2020201544. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 6.Helms J., Kremer S., Merdji H., Clere-Jehl R., Schenck M., Kummerlen C., et al. Neurologic Features in Severe SARS-CoV-2 Infection. N Engl J Med. 2020;382:2268–2270. doi: 10.1056/NEJMc2008597. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 7.2020. ALERTE ANOSMIE COVID-19 (CNP–SNORL–SFORL) [Internet]. Groupe de veille coronavirus (GVC) https://www.groupedeveillecovid.fr/blog/2020/03/24/alerte-anosmie-covid-19-cnp-snorl-sforl/ [cité 22 juill 2020] [Google Scholar]