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. 2022 Jan 14;180(9):912–914. [Article in French] doi: 10.1016/j.amp.2022.01.003

Le syndrome de Morpheus : symptômes psychotiques chez une série de cas de patients atteints de la COVID-19

Morpheus syndrome: Psychotic symptoms in a case series of patients with COVID-19

Clément de Crespin de Billy a,b,, Cyril Cazals b,c,1, Pascale Boucher c, Pascal Guingand c
PMCID: PMC8789402  PMID: 35095105

Abstract

Lors de la première vague de l’épidémie à COVID-19, le centre hospitalier de Colmar s’est retrouvé à l’épicentre de la pandémie du fait d’un rassemblement religieux qui avait provoqué une vague de contamination. Pour faire face à la vague grandissante d’admission en réanimation, l’État, en partenariat avec l’armée, a mis un point l’opération MORPHEE visant à transférer dans d’autres hôpitaux des patients intubés. À leur retour en Alsace, l’équipe de psychiatrie de liaison interservices est sollicitée pour plusieurs d’entre eux qui, bien que vierges d’antécédents psychiatriques, ont présenté à leur réveil des tableaux psychotiques qui ont été spontanément résolutifs. Ces tableaux ne correspondent pas aux tableaux délirants habituellement observés en réanimation comme les « trou réa » ou les « near-death-experience », il n’a été retrouvé aucune origine iatrogène et les examens d’imagerie ne permettent pas d’expliquer ce tableau ; dès lors, on ne peut exclure que ce tableau pourrait être des manifestations neurologiques de COVID-19. Le trouble semblant être spontanément résolutif, nous invitons donc à la prudence quant à une approche médicamenteuse face à ce problème.

Mots clés: COVID-19, Premier épisode psychotique, Psychiatrie de liaison, Réanimation

1. Introduction

En 2020, pour faire face au manque de place dans les services de réanimation du fait de la pandémie au COVID-19, les États européens organisent un dispositif de transferts de patients intubés vers les hôpitaux de pays ou région moins touchés par l’épidémie.

L’opération Morphée (MOdule de Réanimation pour Patient à Haute Élongation d’Évacuation) a permis d’évacuer 644 patients intubés entre le 18 mars et le 10 avril (Tableau 1 ).

Tableau 1.

Détail des transports effectués pendant l’opération MORPHÉE.

Date Transport Région de départ Région d’arrivée Pays d’arrivée Nombre de patients
03-18 avion Grand Est Provence-Alpes-Côte-d’Azur 6
03-21 avion Grand Est Nouvelle-Aquitaine 6
03-22 bateau militaire Corse Provence-Alpes-Côte-d’Azur 12
03-23 avion Grand Est Bretagne 6
03-26 train Grand Est Pays-de-la-Loire 20
03-27 avion Grand Est Nouvelle-Aquitaine 6
03-27 avion Grand Est Nouvelle-Aquitaine 12
03-28 avion Île-de-France Centre-Val de Loire 12
03-27 avion ; train Bourgogne-Franche-Comté Auvergne-Rhône-Alpes 41
03-28 avion Bourgogne-Franche-Comté Provence-Alpes-Côte-d’Azur 10
03-29 train Grand Est Nouvelle-Aquitaine 12
03-29 train Grand Est Nouvelle-Aquitaine 24
03-31 avion Grand Est Allemagne 6
04-01 train Île-de-France Bretagne 32
04-01 avion Grand Est Occitanie 12
04-01 avion Île-de-France Pays-de-la-Loire 47
04-01 avion ;train Île-de-France Normandie 44
04-01 avion Île-de-France Centre-Val de Loire 11
04-03 avion Grand Est Occitanie 6
04-03 train Grand Est Nouvelle-Aquitaine 24
04-03 avion Île-de-France Auvergne-Rhône-Alpes 20
04-04 avion Grand Est Occitanie 12
04-05 train Île-de-France Bretagne 41
03-21 avion ;train Grand Est Allemagne, Suisse, Luxembourg, Autriche 172
03-26 avion Bourgogne-Franche-Comté Suisse 5
04-10 train Île-de-France Nouvelle-Aquitaine 45

Dans le Grand-Est, le plan Morphée a couvert 324 patients qui ont été transférés. À leur retour en Alsace, certains de ces patients ont pu témoigner de leur vécu de la prise en charge. Ils ont été immédiatement contactés par l’équipe de psychiatrie de liaison inter-service qui, avec l’aide des professionnels de la thérapie familiale, a organisé un groupe de parole pour les patients concernés par l’opération [1]. Chez un bon nombre d’entre eux, un tableau clinique psychiatrique très particulier émerge, justifiant une évaluation après leur retour en Alsace. Ce tableau se distingue entre autres des tableaux psychiatriques post-réanimation de par ses caractéristiques cliniques de patients vierges de tout antécédent psychiatrique connu.

2. Observations

Plusieurs éléments de contexte ont rendu la prise en charge de ces patients inédite :

  • Une amnésie totale du transfert avec un réveil dans une autre ville ou un autre pays ;

  • Une prise de contact avec une équipe parlant une langue étrangère ;

  • Éloignement de la famille et perte de tout repère spatial ou temporel.

Le tableau clinique de ces patients regroupait :

  • Des cauchemars traumatisants, autour du thème de la mort et de la mutilation du corps, souvent redondants plusieurs nuits de suite ;

  • Souvent un tableau délirant, avec un mécanisme imaginatif ou interprétatif, sur le thème de persécution, avec une participation affective intense et une adhésion totale du patient. Cet état persiste plusieurs jours après le réveil, et cède le plus souvent grâce à l’intervention des proches pour la réassurance ou, plus rarement, grâce à la réassurance de l’équipe soignante ;

  • Désorientation temporospatiale persistante sur plusieurs jours, avec amnésie des événements précédant leur prise en charge.

Ce tableau clinique ne correspond pas au syndrome de stress post-traumatique classique : aucune reviviscence diurne ou nocturne n’est constatée (la plupart des patients ne se souviennent pas d’avoir été à l’hôpital ou en service de réanimation) et on ne signale que très rarement un tableau d’hypervigilance qui, lorsqu’il est constaté, est le plus souvent secondaire à un tableau délirant.

Le tableau clinique ne correspond pas non plus à un syndrome de « trou-réa »[2] qui correspond plus à un sentiment de vide psychique avec un contenu émotionnel autour de la période en réanimation, où des éléments confuso-oniriques sont possible en lien avec ce que le patient perçoit autour de lui (une potence de perfusion transformée en crochet de boucher par exemple).

Enfin, il faut le distinguer des Near-Death-Experiences [3] qui sont en général composées de reviviscences de souvenirs (pas nécessairement liés au traumatisme) ou de sensations de « sortie du corps » provoquées par un sentiment de mort imminente ou rapportées par des sujets dont le pronostic vital a été sévèrement engagé. La plupart des patients du groupe Morphée n’étaient pas conscients que leur vie soit menacée.

3. Discussions

3.1. Étiologie du trouble

Plusieurs hypothèses pourraient être soulevées quant à l’origine de ce tableau :

Face à l’afflux de patients en soins intensifs, une alerte a été lancée concernant une rupture de stock imminente de médicaments hypnotiques, forçant ainsi certains services à utiliser d’autres médicaments pour remplacer, par exemple, le midazolam. Ce tableau clinique pourrait-il être imputé à un effet secondaire d’un de ces médicaments ? Cela semble peu probable car la plupart des patients de l’opération Morphée ont été envoyés dans des centres où le nombre de cas COVID-19 était très faible. Ces centres n’avaient pas été menacés par une pénurie d’hypnotiques.

Les prises en charges réanimatoires liées au COVID-19 semblaient plus intensives que la prise en charge réanimatoire moyenne [2], avec une durée de coma d’environ 14 jours et un recours fréquent à la trachéotomie. Ce tableau pourrait-il être la conséquence d’un coma prolongé [4] ?

Les patients atteints de COVID-19 semblaient présenter un risque accru d’accident thrombotique, notamment au niveau pulmonaire [5]. Ces tableaux cliniques pourraient-ils être la conséquence de plusieurs micro-AVC ? Cette hypothèse est d’autant plus probable que ces patients semblent présenter des troubles cognitifs à leur réveil en réanimation [[3], [6]].

Enfin, le virus du COVID-19 s’est démarqué très tôt par son tropisme pour les tissus nerveux, provoquant ainsi des troubles olfactifs ou des dysgueusies [7]. Ainsi, ce tableau pourrait également être la conséquence d’une atteinte neurologique virale, même s’il n’a à notre connaissance pas été observé chez d’autres patients atteints de COVID-19 et qui n’ont pas été en réanimation.

3.2. L’atteinte de la pensée

Le tableau délirant présenté par les patients interpelle par sa nature. Il ne ressemble que très peu au délire d’un patient schizophrène. En effet, le tableau des patients du dispositif Morphée est plus marqué par des confabulations, notamment autour du vécu récent. Il s’accompagne fréquemment d’un véritable tableau délirant, souvent persécutif, avec une adhésion totale, mais ces convictions délirantes s’effondrent lorsque le patient retrouve le contact avec une personne de confiance.

Une origine névrotique de ce tableau peut s’évoquer devant la résolution après discussion avec un proche, mais peu d’arguments permettent d’étayer cette hypothèse. Les patients ne souffraient pas d’un trouble de la personnalité. Le vécu traumatisant n’a pas clairement été identifié chez les patients évacués.

Vu la forte prévalence d’asthénie, de dyspnée ou de trouble de la vigilance chez ces patients, les réanimateurs n’ont pas introduit de traitement antipsychotique de peur qu’il ait un effet sédatif, effet jugé trop dangereux compte tenu de l’état clinique des personnes concernées. Il n’a donc pas été possible d’observer la résistance potentielle de ce tableau délirant à un traitement médicamenteux adéquat. Toutefois, étant donné la durée brève du tableau et le délai pour l’efficacité des traitements antipsychotiques, il est probable qu’une rémission des idées délirantes aurait été attribuée à tort à un traitement médicamenteux. Il serait alors prudent à l’avenir, face à ce type de tableau, de réserver la solution médicamenteuse aux seuls patients ayant un tableau de plus de sept jours et qui ne cède pas après un contact avec un proche.

Financements

Les auteurs n’ont bénéficié d’aucune source de financement extérieure pour la rédaction du manuscrit.

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références


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