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. 2021 Jun 1;99(6):623–631. [Article in French]

Anxiété et dépression chez les patients Tunisiens atteints de BPCO

Anxiety and depression in Tunisian patients with COPD

Houda Snène 1, Rym Rafrafi 2, Nozha Salah 1, Hana Blibech 1, Nadia Mehiri 1, Bechir Louzir 1
PMCID: PMC8795995  PMID: 35244914

Résumé

Introduction : La broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) est une pathologie pulmonaire chronique dont le retentissement est multi-systémique, pouvant se compliquer de troubles psycho-affectifs.

Objectif : Estimer la fréquence de l’anxiété et de la dépression chez les patients suivis pour BPCO à l’état stable dans un CHU à Tunis et de déterminer les facteurs prédictifs de leur apparition.

Méthodes : Il s'agissait d'une étude transversale à visée analytique réalisée auprès de patients suivis pour une BPCO à l’état stable aux consultations externes du service de pneumologie du CHU Mongi Slim La Marsa. Les symptômes de la BPCO ont été évalués par le Chronic obstructive pulmonary disease Assessment Test (CAT),sa sévérité par la classification du GOLD 2020 et le dépistage des troubles psycho-affectifs par l’échelle HAD.

Résultats : Cent trois patients ont été colligés, d’âge moyen de 64 ans. La prévalence de l’anxiété était de 44,7% et celle de la dépression de 33,9% avec 26,2% des patients ayant un épisode dépressif majeur. En analyse multivariée par régression logistique binaire, les valeurs les plus élevées du CAT étaient associées à l’anxiété, à la dépression et l’apparition d’un épisode dépressif majeur. Les autres facteurs associés à l’anxiétéet à l’apparition d’un épisode dépressif majeur étaient les troubles du rythme cardiaques associés et les valeurs les plus basses de l’IMC. De plus, le sexe féminin était associé à l’apparition d’un épisode dépressif majeur.

Conclusion : L’anxiété et la dépression sont fréquentes chez les patients Tunisiens souffrant de BPCO, d’où tout l’intérêt de leur dépistage systématique.

Mots clés: Anxiété, Dépression, Broncho-pneumopathie chronique obstructive, Echelle hospitalière d’anxiété et de dépression

Introduction 

La bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) est une maladie inflammatoire chronique multisystémique, caractérisée sur le plan respiratoire par une limitation du débit d'air dans les voies aériennes et / ou des anomalies alvéolaires généralement causées par une exposition significative à des particules ou des gaz nocifs dont le tabac est le chef de fil. Elle représente la quatrième cause de mortalité dans le monde et elle a été responsable de plus de trois millions de décès en 2012, soit 6% de tous les décès à l’échelle mondiale1. Elle constitue ainsi, un problème de santé publique aussi bien dans le monde qu’en Tunisie.Sa prévalence, en Tunisie en 2012, a été estimée à 3,7% de la population générale 2 .Du fait de son évolution chronique et de son caractère dyspneïsant, elle aboutit à une altération de la qualité de vieet à des troubles psycho-affectifsdont les troubles anxieux et dépressifsresponsables, si non traités, d’une mal observance thérapeutique et ainsi d’une aggravation de la maladie. Evaluer cette atteinte psycho-affective devient nécessaire chez tout patient souffrant de BPCO pour mieux ajuster sa prise en charge thérapeutique en collaboration avec les psychiatres, améliorer sa qualité de vie et ralentir l’évolution de la maladie. Les buts de la présente étude étaient d’estimer la fréquence des troubles psycho-affectifs type anxiété et dépression chez les patients tunisiens suivis en consultation externe pour BPCOà l’état stable et de rechercher les facteurs prédictifs de leur apparition.

Méthodes 

Nous avons mené une étude transversale à visée analytique aux consultations externes du service de Pneumologie du Centre Hospitalo-universitaire Mongi Slim La Marsa à Tunis en Tunisie, durant une période de six mois, allant du 1erJuin 2019 au 31 Décembre 2019.Tous les patients âgés de 45 ans et plus(âge à partir duquel les symptômes de la BPCO apparaissent selon le Global Initiative for Chronic Obstructive Lung Disease (GOLD) 1)et suivis pour une BPCO depuis au moins trois mois et qui sont à l’état stable, ont été inclus. Le diagnostic de la BPCO a été retenu selon les critères du GOLD de 2015, c'est-à-dire une exposition aux facteurs de risque(tabac dans ses différentes formes et polluants atmosphériques qu’ils soient professionnels ou autres) et associée à une symptomatologie clinique de bronchite chronique (dyspnée et toux productive) avec à l’exploration fonctionnelle respiratoire (EFR) un rapport de Tiffeneau< 0,7en post bronchodilatation (trouble ventilatoire obstructif fixe).N’ont pas été inclus les patients ayant une pathologie psychiatrique diagnostiquée avant l’installation de la BPCO ou présentant une néoplasie associée ou une autre pathologie inflammatoire chronique (pathologie rhumatismale, connectivite, vascularite..). Après un consentement éclairé et écrit, chaque patient a été interrogé et examiné par le même investigateur. Le recueil des données a été réalisé grâce à une fiche analytique relevant les caractéristiques sociodémographiques, les antécédents pathologiques médicaux et chirurgicaux, la symptomatologie clinique fonctionnelle en rapport avec la BPCO (évaluée par l’échelle modified Medical Research Council dyspnea scale (mMRC) pour la dyspnée comportant cinq stades de zéro à quatreet le Chronic obstructive pulmonary disease Assessment Test (CAT) en sa version arabe validée disponible sur le CAT website (http://www.catestonline.org/)), le nombre d’exacerbation de la BPCO par an (profil excaerbateur fréquent si deux exacerbations ou plus par an), les données de la spirométrie avec test de réversibilité aux β2 mimétiques de courte durée d’actionet le traitement pris pour la BPCO. Chaque patient a eu une mesure du poids et de la taille lors des EFR avec calcul de l’IMC. Un IMC <18,5 kg/m2 a été considéré comme une insuffisance pondérale. Le score du CAT oscille entre zéro et 40 et selon le GOLD les patients les plus symptomatiques ont un score ≥ 10. L’évaluation de la sévérité de la BPCO s’est basée surla classification du GOLD2020.

Le dépistage d’une dépression ou d’un trouble anxieux s’est basé sur l’échelle hospitalière d’anxiété et de dépression (HAD). La version arabe de cette échelle, validée dans l’étude Terkawi et al. en 2017, a été utilisée 3 . Elle comporte 14 items cotés de zéro à trois. Sept questions se rapportent à l’anxiété (Score A) et sept autres à la dimension dépressive (Score D). Un score ≤ sept signifie l’absence de symptomatologie, un score entre huit et 10 signifie une symptomatologie douteuse et un score ≥11 signifie une symptomatologie certaine. Cette interprétation peut être proposée pour chacun des scores (A et D). Par ailleurs, la somme des scores A et D (score A+D) a étéclassée en deux stades : stade 1 (score <19; absence de symptomatologie) et stade 2 (score ≥ 19 ;épisode dépressif majeur). Il s’agit d’un outil de dépistage qui nécessite une consultation par un médecin spécialisé en psychiatrie pour confirmer le diagnostic. Les patients ayant accepté d’avoir une évaluation plus poussée ont été adressés en consultation externe de psychiatrie.

A l’étude statistique les variables quantitatives de distribution normale ont été exprimées en moyenne et écart-type et les variables quantitatives de distribution non normale en médiane et extrêmes. Les variables qualitatives ont été exprimées en nombre de patients et en pourcentage. La comparaison des moyennes a été faite par une analyse de variance, avec une hypothèse de normalité des paramètres quantitatifs. La comparaison de deux moyennes sur séries indépendantes a été effectuée au moyen du test non paramétrique de Mann et Whitney (deux groupes) pour séries indépendantes. Les comparaisons de pourcentages sur séries indépendantes ont été effectuées par le test du chi-deux. Une modélisation par régression logistique binaire a été réalisée avec comme variables dépendantes le score A, le score D et le score A+D en deux stades chacun. Les variables indépendantes sélectionnées avaient un p≤0,2. Le modèle final a été réalisé avec les paramètres finaux selon la méthode pas à pas descendante de Wald. Pour tous les tests statistiques, le seuil de signification (p) a été fixé à 0,05.

Résultats

Durant la période de l’étude, 103 patients correspondaient aux critères d’inclusion, ne présentaient pas de critères de non-inclusion et ont accepté de participer à notre travail.

L’âge moyen des patients était de 64,2±8,23 anset l’IMC moyen était de 23,41±4,8 kg/m2. Les comorbidités rapportés étaient le diabète (16,5% des cas) et les maladies cardio-vasculaires (28,2% des cas). La consommation du tabac sous plusieurs présentations a été retrouvée chez tous les patients : cigarettes dans 99% des cas, tabac à priserdans 8,7% des cas et tabac à narguilé dans 4% des cas. Par ailleurs, il existait une exposition à la biomasse (cuisson au feu de bois) dans 6,8% des cas avec une durée moyenne d’exposition de 34±18 années. Le diagnostic de la BPCO a été fait en moyenne depuis 6±5,7 ans. L’évaluation de la dyspnée par l’échelle mMRC a objectivé une dyspnée stade deux ou plus chez 68,9% des patients. La médiane du score du CAT était de 18 avec 83,3% des patients ayant un CAT≥10.Le nombre d’exacerbation moyen de la BPCO par an était de deux. A la classification du GOLD 2020, 37% des patients étaient classés GOLD D. La prise du traitement était régulière, quotidienne sans arrêt non justifié chez 74,5% des patients. Le tableau 1 résume les différentes caractéristiques de la population de l’étude.

Tableau 1 : Caractéristiques de la population de l’étude.

 

Nombre

Pourcentage

Genre

Hommes

99

95

Femmes

4

5

IMC

< 18,5 kg/m2

21

20,4

18,5 ≤ IMC < 24,99 kg/m2

47

45,6

25 ≤ IMC < 29,99 kg/m2

27

26,2

IMC ≥30 kg/m2

8

7,8

Antécédent de diabète

17

16,5

Antécédent de maladies cardio-vasculaires

29

28,2

 

Hypertension artérielle

21

20,4

 

Troubles du rythme cardiaque

11

10,7

 

Maladie thrombo-embolique

5

4,9

 

Coronaropathie

8

7,8

Tabac à fumer

102

99

Taux de sevrage

45

44,6

Tabac à priser

9

8,7

Taux de sevrage

3

33,4

Tabac à narguilé

4

4

Taux de sevrage

3

75

Exposition à la biomasse (cuisson au feu de bois)

7

6,8

Dyspnée selon l’échelle mMRC

Stade 0

4

3,9

Stade 1

28

27,2

Stade 2

34

33

Stade 3

26

25,2

Stade 4

11

10,7

Score du CAT

Score <10

19

18,4

10≤ score <20 

45

43,7

20≤ score <30 

20

19,4

30≤ score <40 

19

18,4

Profil exacerbateur fréquent

39

37,9

Classification GLOD 2020

GOLD A

11

10,7

GOLD B

53

51,5

GOLD C

1

1

GOLD D

38

36,9

Traitement de fond

Monothérapie

13

12,6

Bithérapie

61

59,2

Trithérapie

16

15,6

En arrêt de traitement

13

12,6

Oxygénothérapie de longue durée à domicile

11

10,7

Ventilation non invasive à domicile

2

1,9

IMC : Indice de masse corporelle ; Echelle mMRC : Modified medical research council scale ; CAT : Chronic obstructive pulmonary disease assessement test ; GOLD : Global initiative for chronic obstructive lung disease.

En évaluant les réponses obtenues à l’échelle HAD, la médiane du score A était de 7 avec 44,7% des patients qui avaient une symptomatologie évocatrice d’anxiété et la médiane du score D était de 6avec 33,9% des patients qui avaient une symptomatologie évocatrice de dépression. Par ailleurs, la médiane du score A+D était de 13 avec 26,2% des patients ayant un épisode dépressif majeure. Le tableau 2 résume les différentes données obtenues au score A et au score D.

Tableau 2:Résultats de l’échelle HAD dans la population de l’étude.

Score A (Anxiété) Nombre (%)

Score D (Dépression) Nombre (%)

Score ≤ 7

57 (55,3)

68 (66,0)

7 < Score < 11

21 (20,4)

16 (15,5)

Score ≥ 11

25 (24,3)

19 (18,5)

A l’étude statistique univariée (Tableaux 3 et 4), le score A était associé de façon statistiquement significative aux troubles du rythme cardiaque associés (p=0,008), à l’IMC (r=-0,241 ; p=0,018), à l’insuffisance pondérale (p=0,012), au score du CAT (r=0,441 ; p<0,001) et à sa valeur ≥ 10 (p=0,001). Le score D était associé de faço%n statistiquement significative à l’IMC (r=-0,217 ; p=0,050), à l’insuffisance pondérale (p=0,046), au score du CAT (r=0,393 ; p<0,001)et à sa valeur ≥ 10 (p=0,039).Le score A+D était associé aux troubles du rythme cardiaque associés (p=0,034), à l’IMC(r=-0,259 ; p=0,006), à l’insuffisance pondérale (p=0,012), au score du CAT (r=0,481 ; p<0,001) et àsa valeur ≥ 10 (p=0,003).

Tableau 3: Facteurs associés aux troubles psycho-affectifs chez les patients atteints de BPCO en étude statistique univariée.

 

Symptomatologie évocatrice d’anxiété

Symptomatologie évocatrice de dépression

Episode dépressif majeur

Non Nombre (%)

Oui Nombre (%)

ORb

IC (95%)

p-value

Non Nombre (%)

Oui Nombre (%)

ORb

IC (95%)

p-value

Non Nombre (%)

Oui Nombre (%)

ORb

IC (95%)

p-value

Genre

Homme

-

-

-

-

NS

67 (67,7)

32 (32,3)

0,159

0,016-1,591

0,113

75 (75,8)

24 (24,2)

0,107

0,011-1,074

0,054

Femme

-

-

1 (25,0)

3 (75,0)

1 (25,0)

3 (75,0)

Antécédents cardio-vasculaires

Oui

13 (44,8)

16 (55,2)

1,910

0,802-4,549

0,141

-

-

-

-

NS

18 (62,1)

11 (37,9)

2,215

0,872-5,627

0,091

Non

45 (60,8)

29 (39,2)

-

-

58 (78,4)

16 (21,6)

Antécédents de troubles du rythme cardiaque

Oui

2 (18,2)

9 (81,8)

7,000

1,430-34,270

0,008

5 (45,5)

6 (54,5)

2,607

0,735-9,243

0,119

5 (45,5)

6 (54,5)

4,057

1,125-14,663

0,034

Non

56 (60,9)

36 (39,1)

63 (68,5)

29 (31,5)

71 (77,2)

21 (22,8)

IMC <18,5 Kg/m2

Oui

7 (33,3)

14 (66,7)

3,290

1,197-9,044

0,012

10 (47,6)

11 (52,4)

2,658

0,998-7,080

0,046

11 (52,4)

10 (47,6)

3,476

1,267-9,356

0,012

Non

51 (62,2)

31 (37,8)

58 (70,7)

24 (29,4)

65 (79,3)

17 (20,7)

Dyspnée ≥ 2 à l’échelle mMRC

Oui

36 (57,7)

35 (49,3)

2,139

0,887-5,159

0,084

44 (62,0)

27 (38,0)

1,841

0,724-4,678

0,196

-

-

-

-

NS

Non

22 (68,8)

10 (31,3)

24 (75,0)

8 (25,0)

-

-

Stades du CAT

Score < 10

17 (89,5)

2 (10,5)

-

-

0,001

17 (89,5)

2 (10,5)

-

-

0,013

-

-

-

-

NS

10 ≤ score < 20 

27 (60,0)

18 (40,0)

31 (68,9)

14 (31,1)

-

-

20 ≤ score < 30 

8 (40,0)

12 (60,0)

13 (65,0)

7 (35,0)

-

-

30 ≤ score ≤ 40 

5 (27,8)

13 (72,2)

7 (38,9)

11 (61,1)

-

-

Score CAT >10

Oui

41 (48,2)

44 (51,8)

17,171

2,178-135,341

0,001

53 (62,4)

32 (37,6)

4,528

0,971-21,107

0,039

58 (68,2)

27 (31,8)

1,466

1,268-1,694

0,003

Non

16 (94,1)

1 (5,9)

15 (88,2)

2 (11,8)

17 (100)

0

Exacerbateur fréquent

Oui

18 (46,2)

21 (53,8)

1,944

0,867-4,361

0,105

22 (56,4)

17 (43,6)

1,975

0,857-4,552

0,108

26 (66,7)

13 (33,3)

1,786

0,732-4,354

0,200

Non

40 (62,5)

24 (37,5)

46 (71,9)

18 (28,1)

50 (78,1)

14 (21,9)

BPCO : Broncho-pneumopathie chronique obstructive ; IMC : Indice de masse corporelle ; Echelle mMRC : Modified medical research council scale ; CAT : Chronic obstructive pulmonary disease assessement test ; ORb : Odds ratio brut

Tableau 4: Facteurs associés aux troubles psycho-affectifs chez les patients atteints de BPCO en étude statistique univariée.

 

IMC en Kg/m2

Score CAT

Moyenne ± écart type

p-value

Médiane(extrêmes)

p-value

Symptômes évocateurs d’anxiété

Non

24,39 ± 4,49

0,018

15,57 (2-38)

< 0,001

Oui

22,14 ± 4,94

23,54 (9-38)

Symptômes évocateurs de dépression

Non

24,08 ± 4,52

0,050

16,76 (2-38)

< 0,001

Oui

22,12 ± 5,13

23,97 (6-38)

Episode dépressif majeur

Non

24,14 ± 4,65

0,006

16,71 (2-38)

< 0,001

Oui

21,36 ± 4,71

26 (14-38)

IMC : Indice de masse corporelle ; CAT : Chronic obstructive pulmonary disease assessement test 

En analyse multivariée par régression logistique binaire, les symptômes évocateurs d’anxiété étaient associés aux troubles du rythme cardiaques associés (p=0,004), aux valeurs les plus basses de l’IMC (p=0,057) et aux valeurs les plus élevées du score du CAT (p<0,001). Les symptômes évocateurs de dépression étaient associés aux valeurs les plus élevées du score du CAT (p=0,001). La suspicion d’un épisode dépressif majeur était associée au genre féminin (p=0,013), aux troubles du rythme cardiaques associés (p=0,006), aux valeurs les plus basses de l’IMC(p=0,019) et aux valeurs les plus élevées du score du CAT (p=0,001). Le tableau 5 résume les différentes associations significatives retrouvées à l’étude statistique multivariée.

Tableau 5 : Facteurs associés aux troubles psycho-affectifs chez les patients atteints de BPCO en étude statistique multivariée par régression logistique binaire.

 

Analyse univariée

Analyse multivariée

 

Symptômes évocateurs d’anxiété

Symptômes évocateurs d’anxiété

ORa

IC (95%)

p-value

ORa

IC (95%)

p-value

Antécédents de troubles du rythme cardiaque

7,000

1,430-34,270

0,008

12,580

2,219-71,314

0,004

IMC

-

-

0,018

0,901

0,809-1,003

0,057

Score CAT

-

-

<0,001

1,109

1,048-1,173

<0,001

 

Symptômes évocateurs de dépression

Symptômes évocateurs de dépression

ORa

IC (95%)

p-value

ORa

IC (95%)

p-value

Score CAT

-

-

<0,001

1,089

1,037-1,143

0,001

 

Episode dépressif majeur

Episode dépressif majeur

ORa

IC (95%)

p-value

ORa

IC (95%)

p-value

Genre

0,107

0,001-1,074

0,054

0,024

0,001-0,641

0,013

Antécédents de troubles du rythme cardiaque

4,057

1,125-14,663

0,034

10,565

1,949-57,281

0,006

IMC

-

-

0,006

0,842

0,729-0,972

0,019

Score CAT

-

-

<0,001

1,112

1,044-1,183

0,001

BPCO : Broncho-pneumopathie chronique obstructive ; IMC : Indice de masse corporelle ; Echelle mMRC : Modified medical research council scale ; CAT : Chronic obstructive pulmonary disease assessement test ; ORa : Odds Ratio ajusté.

Discussion

Au terme de ce travail, nous avons observé une fréquence de l’ordre de 44,7% pour l’anxiété chez les patients tunisiens suivis en consultation externe pour BPCO à l’état stable et de l’ordre de 33,9% pour la dépression avec 26,2% des patients ayant un épisode dépressif majeur. En analyse multivariée par régression logistique binaire, les valeurs les plus élevées du score du CAT étaient associées à l’anxiété, à la dépression et à la survenue d’un épisode dépressif majeur. Les troubles du rythme cardiaque associés et les valeurs les plus basses de l’IMC étaient associés à l’anxiété et à la survenue d’un épisode dépressif majeur qui est aussi associé au genre féminin.

La BPCO est une pathologie pulmonaire chronique associée à une morbi-mortalité importante malgré les différentes thérapeutiques prescrites. Le traitement médicamenteux, la réhabilitation respiratoire et le sevrage tabagique permettent de freiner le déclin de la fonction respiratoire qui est induit par la maladie sans la stopper. En Tunisie, sa prise en charge reste émaillée de plusieurs obstacles tels que l’absence de moyens suffisants pour l’aide au sevrage tabagique et l’inexistence de centre de réhabilitation respiratoire. Ainsi, le handicap occasionné par cette maladie, souvent accompagnée par d’autre comorbidités tels que les maladies cardiovasculaires, la dénutrition, est important et peut être responsable de l’apparition de troubles psycho-affectifs. Ces troubles peuvent assombrir le pronostic de la BPCO du fait de l’abandon du traitement et de la reprise du tabagisme 4 .

Pour l’évaluation de la dyspnée, l’échelle mMRC est la plus utilisée en pneumologie et celle adoptée par le GOLD 5 . Pour l’évaluation des symptômes respiratoires, le CAT, qui est un auto-questionnaire, est le plus adapté étant validé dans la BPCO par une revue systématique de la littérature publiée en 2014 dans l’European Respiratory Journal6 . Pour ce qui est de l’évaluation des troubles psycho-affectifs, l’échelle HAD est la plus répondue et la plus utilisée dans les différentes études partout dans le monde [7 8 9 10 ]. Elle a été traduite et validée en plusieurs langues dont l’arabe [3]. En effet, l’échelle HAD ne prend pas en considération la dimension physique de la symptomatologie psychiatrique, qui pourrait être une source de confusion. Ces symptômes pourraient être reliés à une atteinte physique telles que la fatigue, l’insomnie, les céphalées, et les troubles de l’appétit et ont été omis pour éviter les faux positifs parmi les personnes atteintes de maladies somatiques 11 . Il s’agit d’un bon moyen de dépistage de la dépression ainsi que de suivi de l’évolution de la symptomatologie dépressive au cours du temps même sous traitement.

Les données de la littérature estiment qu’environ 50% des patients suivis pour BPCO ont un trouble anxieux et que 33% ont une dépression. Cette prévalence est supérieure à celle rapportée dans d’autres pathologies chroniques 12 et s’élève encore plus chez les patients ayant eu une exacerbation récente 13 . Ces chiffres concordent avec nos résultats. En effet, 44,7% des patients du présent travail souffraient d’anxiété et 33,9% de dépression. Pour la dépression, des écarts de prévalence existent dans la littérature à cause d’une confusion entre la dépression mineure et le trouble dépressif majeur. En effet, des études montrent une prévalence de 29% avec l’échelle HAD alors que d’autres l’estiment à 5-10% dans la population générale en utilisant un autre questionnaire de dépistage 14 . Quant à l’anxiété, sa prévalence varie en fonction de la définition adoptée et de l’outil de mesure utilisé. Elle est, par ailleurs, deux fois plus fréquente chez les femmes 15 et ceci est expliqué par le fait que les hommes utilisent des stratégies plus actives pour faire face à cette anxiété 16 .

Pour ce qui est de la relation entre les symptômes associés à la BPCO et l’apparition des troubles psycho-affectifs, Doyle et al. ont conclu dans leur travail que l’anxiété et la dépression au cours de la BPCO étaient associées à des niveaux plus élevés de fatigue et de dyspnée ainsi qu’à la fréquence des symptômes de la BPCO. De même, dans une étude tunisienne menée par Maoua et al. les facteurs associés à une altération de la qualité de vie chez les BPCO étaient la dyspnée, le nombre d’exacerbations/an et la présence de comorbidités.7 . Ceci rejoint les résultats du présent travail qui a démontré que l’anxiété et la dépression étaient associées à la présence de plusieurs plaintes fonctionnelles respiratoires évaluées par le score du CAT ainsi qu’à la présence de comorbidités type troubles du rythme cardiaque. Ces résultats mettent l’accent sur la possibilité de prédire l’apparition des troubles psycho-affectifs chez les patients ayant une BPCO et qui sont les plus symptomatiques, pour pouvoir agir dessus précocement et éviter la transformation du pronostic vers le pire. La prise en charge sera à la fois médicamenteuse mais aussi fonctionnelle respiratoire. En effet, la relation retrouvée dans ce présent travail entre les symptômes anxiodépressifs et les IMC les plus bas met en exergue l’importance de la prise en charge multidisciplinaire des patients souffrant de BPCO et particulièrement la prise en charge nutritionnelle. Dans une revue de la littérature publiée par Gordon et al. la réhabilitation pulmonaire avec tous les piliers qui la composent, en comparaison aux soins habituels, avait montré un effet significatif mais modéré sur les symptômes de l’anxiété et un effet significatif et important sur les symptômes de la dépression 17 .

Un certain nombre de limites doivent être considérés dans ce travail. Tout d’abord, il s’agit d’une étude transversale avec tout ce qui en découle comme biais. De plus, l’échantillon n’a pas été constitué par un tirage au sort dans une liste des patients qui sont vus en consultation externe. Il s’agit d’un recrutement basé sur le bénévolat des patients. Par ailleurs, l’échelle HAD permet un dépistage des troubles psycho-affectifs type anxiété et dépression et non une confirmation diagnostique, ainsi l'étude statistiques pour la recherche des facteurs prédictifs reste non concluante. 

Conclusion

L’estimation de la prévalence de l’anxiété et de la dépression parmi les patients tunisiens suivis en consultation externe pour BPCO à l’état stable rejoint celle de la littérature. Elle est de l’ordre de 44,7% pour l’anxiété et 33,9% pour la dépression. En analyse multivariée par régression logistique binaire, l’apparition d’un épisode dépressif majeur était associée au genre féminin, aux troubles du rythme cardiaque associés, aux valeurs les plus basses de l’IMC et les plus élevées du score du CAT. L’échelle HAD constitue un outil simple et fiable qui devrait être utilisé plus fréquemment en consultation de pneumologie. Mais des études en collaboration avec les psychiatres sont nécessaires pour confirmer le diagnostic de l’anxiété et de la dépression et ainsi optimiser la prise en charge des patients.

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