Points clés
Les patients qui utilisent des stimulants, comme la méthamphétamine en cristaux et la cocaïne, souffrent souvent de comorbidités cardiovasculaires dont le traitement standard repose entre autres sur les β-bloquants.
Plusieurs cliniciens hésitent à prescrire des β-bloquants chez les utilisateurs de stimulants en raison d’un risque perçu de « stimulation non compensée des récepteurs α ».
Aucune donnée probante n’appuie l’hypothèse d’un risque élevé d’effets néfastes liés à la prise concomitante de β-bloquants et de stimulants, et selon les meilleures données probantes dont on dispose, la prise de β-bloquants à long terme est sécuritaire dans un contexte d’utilisation de stimulants.
En l’absence de données probantes sur les effets néfastes, les patients qui ont un trouble lié à l’utilisation de stimulants et des comorbidités cardiaques ont le droit de recevoir les soins standard, ce qui inclut une discussion sur les risques et les bienfaits du β-blocage.
Les médecins hésitent souvent à prescrire des β-bloquants aux patients qui utilisent des stimulants, même pour des indications comme l’insuffisance cardiaque associée à une diminution de la fraction d’éjection et à des tachyarythmies, car ils craignent que leurs interactions potentielles n’en surclassent les bienfaits reconnus1. Les lignes directrices de l’American Heart Association pour la prise en charge de l’infarctus du myocarde sans élévation du segment ST (NSTEMI) publiées en 2014 déconseillent l’utilisation des β-bloquants pour l’infarctus aigu du myocarde en présence de signes d’intoxication aiguë aux stimulants, à moins d’administrer aussi aux patients un vasodilatateur coronarien2. En l’absence d’intoxication aiguë à des stimulants, ces lignes directrices précisent toutefois que les patients qui présentent un NSTEMI alors qu’ils ont récemment consommé des stimulants devraient recevoir les mêmes soins que les patients qui ne consomment pas de stimulants. Aucune ligne directrice canadienne sur l’insuffisance cardiaque ne formule une quelconque recommandation spécifique sur l’utilisation des β-bloquants chez les utilisateurs de stimulants3. Selon nous, en l’absence d’avis contraire, les médecins devraient revoir leur tendance à éviter les β-bloquants chez les patients qui prennent des stimulants.
La réticence à prescrire des β-bloquants chez les patients qui prennent des stimulants repose principalement sur notre compréhension de la pharmacodynamie. La cocaïne et la méthamphétamine en cristaux favorisent la libération des neurotransmetteurs, comme la noradrénaline et l’adrénaline. La stimulation subséquente des récepteurs β-1 accroît la fréquence et la contractilité cardiaques, et les récepteurs β-2 favorisent le relâchement des muscles lisses. Par contre, les récepteurs α-1 induisent une vasoconstriction1,4. Jusqu’à récemment, les experts étaient d’avis que dans le contexte de l’utilisation de stimulants, les β-bloquants pouvaient entraîner une « stimulation non compensée des récepteurs α », qui pourrait se traduire par une vasoconstriction, sans relâchement compensatoire des muscles lisses1. Ce phénomène pourrait par la suite causer une ischémie cardiaque, de l’hypertension et ensuite d’autres complications cardiovasculaires.
Les craintes liées à la stimulation non compensée des récepteurs α s’appuyaient à l’origine sur une petite étude publiée en 1990, au cours de laquelle 15 participants ont subi un cathétérisme cardiaque et ont reçu de la cocaïne par voie intranasale, suivie de propranolol par voie intracoronarienne1. Les auteurs ont observé une augmentation de la vasoconstriction coronarienne après l’administration de propranolol, mais aucun changement de la tension artérielle générale. Un seul patient a présenté une élévation aiguë du segment ST et des symptômes d’ischémie myocardique, qui ont pu être neutralisés avec de la nitroglycérine sublinguale. La petite taille de l’échantillon, l’utilisation du β-bloquant non sélectif propranolol (peu prescrit en cardiologie) et son administration par voie intracoronarienne ont rendu cette étude peu généralisable. Lors d’une étude de suivi, 15 participants ont subi un cathétérisme cardiaque et ont reçu de la cocaïne par voie intranasale, suivie de labétalol intraveineux, un β-bloquant ayant aussi des propriétés α bloquantes5. Lors de cette étude, aucune aggravation de la vasoconstriction coronarienne n’a été observée et, en fait, le labétalol a fait baisser la tension artérielle générale.
Depuis cette expérience initiale, plusieurs autres études se sont penchées sur le traitement de l’intoxication aiguë par stimulants et sur le β-blocage à long terme chez les utilisateurs de stimulants. Une revue systématique de 2016 incluant 50 études et regroupant 1744 patients a analysé les effets du traitement β-bloquant pour les symptômes hyperadrénergiques aigus causés par la cocaïne6. On a recensé seulement 7 cas d’effets indésirables possiblement d’origine médicamenteuse, dont des changements de la tension artérielle ou de nouveaux symptômes cardiaques. Toutefois, le lien causal avec les β-bloquants n’a pas pu être établi avec certitude. Aucun effet indésirable n’a été attribué aux β-bloquants ayant des propriétés α bloquantes, comme le carvédilol ou le labétalol. Une revue systématique de 2018 a, quant à elle, recensé 5 cohortes rétrospectives regroupant 1794 patients ayant consulté aux urgences pour douleurs rétrosternales associées à la prise de cocaïne7. On n’a noté aucune différence dans les taux de mortalité perhospitalière de toutes causes ou les taux d’infarctus du myocarde non fatals associés à la prescription de β bloquants chez les consommateurs de cocaïne.
On dispose de moins de données sur les amphétamines. Une revue systématique de 2015 sur le traitement de l’intoxication aux amphétamines a recensé 19 études regroupant 227 patients, dont 3 avaient manifesté de possibles réactions indésirables: 1 patient a présenté une élévation légère et transitoire de sa tension artérielle et 2 ont éprouvé des douleurs rétrosternales récurrentes8.
En ce qui concerne le traitement à long terme, une revue systématique de 2020 a recensé 3 études de cohorte rétrospectives qui comparaient les résultats chez des patients souffrant de cardiomyopathie associée à la prise de cocaïne traités avec et sans β-bloquants9. Les auteurs ont trouvé trop peu de données pour inférer un effet néfaste et ont conclu que selon les données disponibles, les taux d’hospitalisation et la mortalité à 30 jours avaient diminué chez les patients traités par β-bloquants. Une autre étude de cohorte rétrospective s’est penchée sur 503 patients souffrant d’insuffisance cardiaque et d’un trouble lié à la consommation de cocaïne traités par carvédilol10. Les insuffisants cardiaques avec fraction d’éjection diminuée traités par carvédilol ont présenté un taux moindre de mortalité cardiovasculaire et de réhospitalisation à 30 jours, comparativement à l’absence de β-blocage, même si 69 % des participants ont dit avoir continué de consommer de la cocaïne au moins une fois par semaine. Considérés dans leur ensemble, ces résultats semblent indiquer que les β-bloquants sont non seulement sécuritaires, mais efficaces.
En résumé, même si quelques rapports de cas et une étude sur le cathétérisme cardiaque ont soulevé des inquiétudes au sujet de l’utilisation des β-bloquants chez les personnes qui utilisent des stimulants, un corpus de données de plus grande envergure et de meilleure qualité n’a montré aucun risque concret associé à la prescription de β-bloquants dans un contexte d’utilisation de stimulants. Selon nous, les médecins devraient faire participer les patients au processus décisionnel plutôt que de s’abstenir unilatéralement de prescrire des β-bloquants et individualiser leurs approches en tenant compte des risques, des bienfaits escomptés et de la disponibilité d’autres types de traitements pour une maladie donnée.
Les données et les lignes directrices actuelles appuient l’utilisation des β-bloquants pour de nombreuses maladies cardiaques. Comme les utilisateurs de drogues font déjà face à la stigmatisation et à un accès inéquitable aux soins de santé, il est crucial de ne pas rendre certains traitements conditionnels à l’abstinence de certaines substances en l’absence de données empiriques solides pour justifier une telle décision.
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.211347
Footnotes
Intérêts concurrents: Paxton Bach déclare avoir reçu une subvention de la Fondation Michael-Smith pour la recherche en santé, une bourse des Instituts de recherche en santé du Canada et des honoraires de conférencier du Département de formation professionnelle continue de l’Université de la Colombie-Britanniue, de Pharmacy Leaders of Tomorrow, d’Eastern Health et du BC Centre on Substance Use. Le Dr Bach déclare également être membre d’un comité de surveillance de la sécurité des données pour l’évaluation du microdosage dans les services d’urgence et codirecteur médical du BC Centre on Substance Use. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à la conception du travail, ont rédigé le manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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