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. 2022 Jun 18;6(2):132–140. [Article in French] doi: 10.1016/j.pxur.2022.01.011

Intégrer les ressources sanitaires libérales dans la gestion des crises sanitaires

To integrate liberal health resources into the management of health crises

Éric Blondet a,, Christophe Thibault b, Patrick Bouillot c, Jean-Loup Massard d, Brigitte Virey e, Emmanuel Barra e, Philippe Mironneau e
PMCID: PMC9212867

Abstract

Les difficultés d’intégration des ressources sanitaires extrahospitalières, identifiées lors de la première phase de la pandémie à SARS-CoV-2 au printemps 2020, d’une part, et les attentes exprimées par les médecins libéraux justifiaient de poursuivre l’analyse de la gestion des rebonds épidémiques suivants et de l’évolution des modalités de réponses dans un triple objectif d’identifier les freins et leviers à l’intégration des ressources extrahospitalières, d’évaluer la pertinence des propositions formulées au décours de ce retour d’expérience initial et de soumettre au débat des pistes d’évolution. Si les conditions de l’exercice libéral induisent un fort ancrage local ou territorial, et, en corollaire, paraissent peu compatibles avec un engagement dans une réserve sanitaire nationale, les initiatives locales apparues au cours de cette pandémie témoignent d’opportunités pour organiser un renfort sanitaire territorial, relevant de l’articulation ou de l’intégration de ces professionnels de santé non hospitaliers selon leur discipline, spécialité, et volontariat. Une telle organisation, appelée à pleinement s’intégrer dans les plans et dispositifs de secours, suppose anticipation réglementaire et opérationnelle, couvrant tout à la fois le statut, la rémunération, la formation, l’entretien pratique et théorique de l’ensemble des acteurs concernés d’un même territoire. La place en première ligne des médecins (notamment généralistes) et autres professionnels de santé libéraux dans la détection des signaux faibles et le maintien de l’offre de soins et le renforcement des capacitaires notamment en termes de compétences que ces ressources sanitaires extrahospitalières peuvent apporter, motivent le modèle organisationnel soumis ici au débat, issu des remontées du terrain à l’occasion de cette pandémie qui aura ébranlé notre système de santé dans toutes ses dimensions et interroge aujourd’hui notre capacité collective à en tirer les leçons pour l’avenir.

Mots clés: Crise sanitaire, Médecine libérale, Résilience, Anticipation, Coordination

Introduction

Les travaux menés lors de la première phase de l’épidémie à SARS-CoV-2 par l’union régionale des médecins libéraux de Bourgogne-Franche-Comté (URPS-ML-BFC) ont mis en exergue les difficultés d’intégration des ressources sanitaires extrahospitalières dans la gestion de cette pandémie [1]. Défaillance logistique, communication pléthorique, redondante voire contradictoire, injonctions administratives parfois ressenties comme paradoxales, témoignent des fragilités organisationnelles, structurelles et systémiques des dispositifs actuels de réponse aux crises sanitaires.

Ces travaux ont également révélé une forte attente des médecins libéraux quant à leur intégration dans la gestion des crises sanitaires, leur formation.

La conjonction de l’implication de médecins libéraux dès les premières heures de la crise, dont les premières modalités de réponse les ont pourtant mis sur la touche, avec les défaillances logistiques et organisationnelles, notamment par l’absence de prise en compte anticipée des ressources libérales dans de telles situations de crise, a finalement induit un sentiment de défiance à leur égard, une démotivation et parfois un défaut d’adhésion ; au-delà des capacités de chacun à faire face à une crise, un bouleversement, une rupture, trois facteurs extrinsèques conditionnant la résilience définis par B. Cyrulnik [2] sont apparus pris en défaut, à savoir un cadre protecteur affectif bienveillant, la possibilité de partager ce qui a été vécu par d’autres personnes, un entourage compréhensif et soutenant.

Au-delà de la phase aiguë, initiale, de l’émergence de la pandémie, poursuivre l’analyse de la gestion des rebonds épidémiques suivants et de l’évolution des modalités de réponses paraît essentiel dans un triple objectif d’identifier les freins et leviers à l’intégration des ressources extrahospitalières, d’évaluer la pertinence des propositions formulées au décours de ce retour d’expérience initial et de soumettre au débat des pistes d’évolution.

Dispositifs de réponse aux crises sanitaires et médecine libérale : situation au 1er janvier 2020

Principes organisationnels de réponse aux crises sanitaires

Les réponses aux crises et situations sanitaires exceptionnelles (SSE) s’appuient sur deux dispositifs complémentaires [3] :

  • le dispositif ORSEC (organisation de la réponse de sécurité civile) intersectoriel, permettant l’articulation des différents acteurs de la gestion de l’évènement critique dans toutes ses dimensions ;

  • le dispositif ORSAN (organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles) formalisant la coordination des dispositifs existant au sein des secteurs pré-hospitalier et ambulatoire, hospitalier et médicosocial (plan blanc).

Le dispositif ORSAN se décline en cinq volets, répondant à une logique régionale ou zonale, selon la nature de l’évènement et/ou du risque identifié (AMAVI : afflux massif de victimes ; CLIM : phénomène climatique ; EPI-VAC : épi- ou pandémique pouvant comprendre l’organisation d’une campagne de vaccination ; BIO : risque biologique connu ou émergent ; NRC : risque ou évènement nucléaire, radiologique ou chimique). Les organisations ainsi définies permettent une déclinaison locale au niveau de chacun des opérateurs de l’offre de santé à travers les plans d’organisation interne, plans blancs et plan bleus (Fig. 1 ).

Figure 1.

Figure 1

Les plans de réponses aux situations sanitaires exceptionnelles, d’après J.-M. Philippe [3].

À ces schémas organisationnels de réponse aux crises sanitaires viennent s’articuler :

  • des plans de mobilisation des ressources sanitaires tant au niveau départemental que zonal ;

  • des stocks de crise locaux (tactiques) et nationaux (réserve stratégique) ;

  • d’orientations relatives à la formation des professionnels de santé aux réponses aux situations sanitaires exceptionnelles.

Les moyens de réponse aux crises sanitaires constituent les missions de Santé publique France, à savoir :

  • la réserve sanitaire, constituée de professionnels de santé volontaires, mobilisables à tout moment par le ministère de la santé ou l’agence régionale de santé ; à noter que certaines pages gouvernementales restreignent l’engagement aux professionnels « en activité (salarié ou agent public), sans emploi, à la retraite depuis moins de cinq ans ou étudiant. » [4] ;

  • la gestion des stocks stratégiques et tactiques, dont les « postes sanitaires mobiles ».

À l’exception notable des médecins pompiers volontaires et de ceux assurant des vacations régulières au SAMU ou dans les services d’accueil des urgences, la très grande majorité des médecins et autres professionnels de santé libéraux ignorent l’existence de ces plans de mobilisation, leurs modalités de mise en œuvre, et plus simplement leurs place et missions, s’ils sont définis, dans le dispositif de réponse à une crise sanitaire.

À ce jour, les médecins libéraux ne semblent envisagés que lors du déploiement de campagnes de vaccination [3].

La consultation des plans blancs des établissements privés de médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) met en exergue essentiellement la capacité hôtelière pouvant être apportée en renfort de l’établissement (publique) de première ligne ; si une cellule de crise est définie, notamment par la participation de la commission médicale d’établissement, les modalités d’intégration dans ce dispositif de réponse des compétences humaines et des moyens techniques disponibles ne sont pas ou peu précisées.

L’analyse du dispositif ORSAN en Bourgogne-Franche-Comté confirme l’absence d’intégration réelle des ressources médicales non hospitalières publiques en dehors de ces deux cadres.

Les leçons de la pandémie à SARS-CoV-2

La région Bourgogne-Franche-Comté a été l’une des régions les plus durement touchées par la première vague épidémique de février à mai 2020. L’effectif médical est de 7450 médecins, dont 4097 médecins libéraux (55 % de médecins généralistes) [5], [6]. La région disposait en 2019 de 8412 lits de médecine et chirurgie, dont 20,5 % privés [7].

La réponse régionale à la première vague épidémique [1] révélait les difficultés d’intégration des ressources médicales extrahospitalières par :

  • les carences logistiques ;

  • une communication jugée inadaptée par son volume, sa fréquence, sa redondance et parfois ses contradictions ;

  • un défaut de maîtrise de l’organisation de l’offre de soins libérale, notamment sur le plan juridique et, en particulier, relationnel/contractuel entre praticiens libéraux et établissements de santé.

La région a dû faire face à des rebonds épidémiques soutenus en octobre-novembre 2020, puis février—mars 2021. Le suivi et l’adaptation organisationnelle réalisés localement ont permis d’amoindrir l’impact épidémique sur les capacités d’offre de soins en termes de restrictions d’activité (environ 80 % de l’activité ont pu être maintenus lors de la seconde vague dans certains établissements) ; néanmoins, des tensions sont apparues sur les ressources humaines, médicales et surtout paramédicales, impactant progressivement les capacités de prise en charge, en établissements publics comme privés, tensions s’aggravant au cours de l’année 2021 et aujourd’hui très prégnantes. Certains établissements sont contraints depuis le printemps 2021 de fermer des services, de restreindre les vacations opératoires malgré un recours au personnel intérimaire parfois jusque 70 % des effectifs d’un même bloc.

Au regard de l’intensité de l’activité épidémique, notamment lors des seconde et troisième vagues, un renfort hospitalier par les médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, libéraux était envisagé mais se heurtait :

  • à une démographie déjà en forte tension avant même la pandémie, notamment pour les médecins et masseurs–kinésithérapeutes ;

  • à une activité soutenue depuis l’été 2020, notamment par tous les soins reportés lors de la première vague, avec des prises en charge souvent plus complexes et donc plus longues du fait d’un certain retard de diagnostic ;

  • à l’objectif de maintenir une prise en charge à domicile, constituant une première charge supplémentaire ;

  • au déploiement de campagnes de dépistage puis de vaccination qui constituaient également une forte charge supplémentaire.

L’instruction du 24 novembre 2020 précisait les modalités d’emploi des praticiens de renfort dans les établissements privés n’apportant qu’une réponse très partielle au volontariat des médecins libéraux pour un tel renfort [8] :

  • elle ne concerne que les praticiens des établissements privés amenés à intervenir dans ces mêmes établissements ; la situation des médecins généralistes ou autres spécialistes n’est pas définie ;

  • en corollaire, l’intervention en renfort au sein d’un établissement public n’est pas définie, semblant relever dès lors d’un contrat de praticien attaché ou équivalent ;

  • en second corollaire, elle ne concerne pas les infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes, dont les effectifs sont également insuffisants au regard des besoins ;

  • enfin, les forfaits définis sont notoirement inférieurs à ceux proposés en centre de vaccination (200 €/4 h 00 dont seront déduits les éventuels honoraires facturés au titre de l’hospitalisation contre 450 €/4 h 00). Cette disparité de rémunération s’est également traduite par une mobilisation accrue des médecins remplaçants pendant la période estivale au profit des centres de vaccination.

Focus sur la réserve sanitaire

La réserve sanitaire, définie par les articles L. 3132-1 à 3 et D3132-1 à 4 du Code de la santé publique [9], [10], est composée notamment de professionnels et étudiants de santé volontaires, sur la base d’un contrat d’engagement de trois ans renouvelable garantissant :

  • le maintien de la rémunération des personnels salariés ;

  • une indemnisation de l’employeur pour les périodes d’emploi et de formation et les absences consécutives à un accident ou une maladie imputables au service dans la réserve sanitaire ;

  • les dispositions applicables aux agents non titulaires de l’État en matière de protection sociale pour les étudiants non rémunérés et les personnes sans emploi.

Une indemnisation est fixée par décret, soit, pour un médecin libéral de 300 €/jour de mission, 150 €/jour de formation, correspondant respectivement au chiffre d’affaire (et non au revenu) de 12 et six consultations quotidiennes [11].

Nonobstant cet aspect financier à même de déstabiliser le bilan comptable du cabinet du professionnel de santé libéral, les charges continuant à courir, il parait difficile voire impossible pour ce dernier de cesser sans préavis son activité pour accomplir une mission de réserviste ; les tensions démographiques actuelles n’épargnent par ailleurs pas les cabinets de groupes ou structures interprofessionnelles.

Aussi, la réserve sanitaire telle qu’actuellement définie ne paraît pas compatible avec un exercice libéral.

Intégrer les ressources sanitaires non hospitalières dans la réponse aux crises et situations sanitaires exceptionnelles

Réalités de l’exercice libéral : un fort ancrage territorial et local

L’exercice libéral peut se définir par son caractère intuitu personae en ce que le professionnel de santé assume en son nom propre responsabilités civile professionnelle, pénale, déontologique, conventionnelle, comptable et fiscale, contractuelle, et particulièrement dans le cadre d’un contrat d’exercice libéral pouvant le lier à un établissement de santé privé.

Sur le plan civil, comptable et fiscal, le professionnel de santé libéral a la responsabilité de la survie économique de son cabinet, de son entreprise, avec parfois des enjeux sociaux lorsqu’il est de surcroit employeur. Or toute absence est, de ce point de vue, un manque à gagner.

Sur le plan déontologique, permanence et surtout continuité des soins constituent des engagements cardinaux du professionnel envers sa patientèle, se traduisant en cas d’absence, quel qu’en soit le motif (congé, formation, maladie, mission, etc.) d’informer ses patients des modalités de recours : remplaçant, renfort d’un confrère associé ou non, etc.

Au-delà de ces conditions d’exercice pouvant paraître comme participant à un fort ancrage local ou territorial, et, en corollaire, peu compatible avec un engagement dans une réserve sanitaire nationale, l’enquête menée par l’URPS-ML-BFC au décours de la première vague pandémique au cours de l’été 2020 a mis en lumière [1] :

  • le sentiment des médecins libéraux d’une tenue à l’écart initiale puis d’une inadaptation des conditions de leur implication dans la gestion de la crise ; cette amertume majoritairement exprimée vient comme en écho de l’auto-mobilisation de professionnels de santé lors des attentats de Paris et de Nice, et ayant participé bien involontairement à accentuer les difficultés organisationnelles notamment les premières heures ;

  • un avis dominant que les ressources médicales extrahospitalières devaient être intégrées dans la gestion des crises sanitaires ; les tensions sur les ressources humaines observées depuis 2021 confirment, s’il en était besoin, de la nécessité d’anticiper une telle intégration ;

  • une méconnaissance voire l’ignorance des médecins libéraux des principes de gestion de crise sanitaire et de médecine de catastrophe, et, en corollaire, une volonté de formation.

Entre articulation et intégration, adapter la réponse à la nature de la crise et aux ressources humaines disponibles

Le premier principe de médecine de catastrophe est l’identification de la nature de l’évènement, sa cinétique prévisible et ses dimensions spatiales et temporelles, l’impact sur les infrastructures et particulièrement les structures de soins. De cette première approche découleront les modalités de réponses et conditions d’anticipation et de préparation au retour à la normale.

Peuvent ainsi être proposées à ce stade des modalités de recours aux ressources sanitaires extrahospitalières dans la gestion de la crise tenant compte de l’ancrage territorial ou local que l’exercice libéral induit voire impose :

  • l’articulation entre offre de soins hospitalière, assurant la réponse de première ligne, et la médecine de ville intervenant dans le maintien d’une offre de soins hors crise et la préparation à la phase de normalisation ;

  • l’intégration des ressources extrahospitalières dans la gestion de la crise elle-même, le professionnel de santé libéral pouvant être impliqué dans l’évènement causal ou intervenir en renfort dans le cadre des dispositifs de réponse (Fig. 2 ). S’agissant des praticiens du second recours intervenant en établissements de santé privé, l’intégration de leurs compétences pourrait être à même d’optimiser le capacitaire, notamment T0 et à une heure, d’autant plus facilement que les établissements concernés seront géographiquement proches et les liens entre leurs praticiens de qualité.

Figure 2.

Figure 2

Proposition d’intégration des ressources libérales dans les plans de réponses aux situations sanitaires exceptionnelles, d’après J.-M. Philippe [3].

Une telle approche associant intégration et articulation permettrait ainsi de prendre en compte les conditions propres d’exercice des professionnels de santé libéraux (selon qu’ils exercent en cabinet de ville ou interviennent en établissements), en lien avec leurs spécialité et compétences, et en fonction de la nature de l’évènement critique, répondant à la nécessité d’une organisation efficace des moyens locaux [12].

J.-C. Hansen et G. Planchette rappellent que « les cindyniques étudient les évolutions des situations dans le but d’apprécier leur propension (tendance) à se diriger (évoluer) vers une zone plus ou moins dangereuse (notion de vulnérabilité de la situation, qu’elle soit technique, documentaire, organisationnelle ou sociale). […] Le jeu des interactions conduisant à des situations potentiellement cindynogènes par rapport à une situation de référence pour identifier des dangers impensables et en proposer des représentations. » [13]. Les cindyniques proposent donc une approche résolument dynamique des situations de crise latentes ou patentes.

À l’aulne de la pandémie, ubiquitaire ou du moins de périmètre géographique large et variable, et de sa gestion, une telle approche permet de révéler les enjeux cindyniques de cette crise :

  • situations cindynogènes identifiées :
    • techniques : concentration sur le seul secteur hospitalier, exclusion de la médecine de ville lors de la première phase épidémique ;
    • documentaires : documentation, information et communication pléthoriques par des canaux peu, mal ou non identifiés ;
    • organisationnelles : place des médecins libéraux non définie, puis sollicitation sans intégration lisible mais comme opérateur d’une campagne de vaccination menée sous l’égide essentiellement des préfets dans des centres dédiés ;
    • sociales : pour une part secondaire à l’absence de réel relais par les professionnels de santé de proximité, conséquence des précédentes.
  • tension critique :
    • l’absence d’intégration se traduit par un sentiment de négligence, de non reconnaissance et donc une perte motivationnelle ;
    • l’absence de process prédéfini, notamment au sein du dispositif ORSAN, particulièrement en termes de ressources humaines (actifs, étudiants/internes, remplaçants, retraités), de financement lisible, de cadre clair de responsabilité a fortement réduit les possibilités de renfort localement.

Aujourd’hui, 18 mois après le début de la pandémie, le sentiment d’amertume qui traverse la population médicale trouve probablement une part de son origine dans ces situations, nonobstant la fatigue générée par une adaptation permanente au détriment bien souvent de sa propre sécurité et vie personnelle. L’absence de reconnaissance ressentie et exprimée par les médecins libéraux participe à une forme de mobilisation résignée, augurant le risque d’une perte d’efficience si une telle situation devait se reproduire sans leçons tirées ni évolution des dispositifs de réponse aux crises sanitaires.

En corollaire, définir les modalités d’articulation et d’intégration des ressources sanitaires non hospitalières permettrait d’atténuer les effets délétères d’une surmobilisation spontanée, comme celle observée lors des attentats de Paris du 13 novembre 2015, puis d’une telle démobilisation.

Le renfort sanitaire territorial : complément local d’une réserve sanitaire nationale

Les ressources humaines, enjeu central

Selon H Julien, six indicateurs caractérisent la médecine de catastrophe [14] :

  • la pratique d’une médecine de masse dans l’urgence ;

  • l’inadéquation, souvent temporaire, entre l’augmentation brutale des besoins et l’offre de soins, avec comme conséquence, d’imposer le triage des victimes, facteur d’efficacité ;

  • l’emploi de techniques peu fréquentes en médecine d’urgence quotidienne ;

  • la nécessité d’une organisation anticipée, d’un schéma hiérarchisé des missions qui évitent redondances, gaspillages, et inefficacité du groupe multidisciplinaire engagé ;

  • la nécessité de prévoir un appui logistique ;

  • le nombre de victimes, la durée et les caractéristiques géographiques, les difficultés de secours qui ne peuvent ne peuvent définir la catastrophe à eux seuls mais qui en sont déterminants.

Tous ces indicateurs présupposent ou impliquent dans chaque territoire un recensement précis des ressources, des compétences correspondantes, des moyens d’information et de mobilisation raisonnée afin de pouvoir déterminer au mieux la balance entre les moyens immédiatement requis et l’organisation des renforts dans la durée, une gestion et une adaptation des flux logistiques, …

Proposé par l’URPS-ML-BFC, le renfort sanitaire territorial a pour objectifs :

  • de recenser les professionnels de santé non hospitaliers (installés, remplaçants, retraités de moins de 5 ans), territoire par territoire, en fonction de leur spécialité, formation éventuelle à la médecine d’urgence et/ou la médecine de catastrophe, et volontariat (Fig. 3 ). Ainsi, selon sa spécialité et ses compétences, un professionnel abonné :
    • pourra être rattaché à un service d’accueil des urgences ; il s’agit ici d’une véritable intégration ;
    • sera invité à mettre en œuvre le volet « crise sanitaire » de la maison de santé ou de la communauté professionnelle territoriale de rattachement [15] ;
  • de mettre en œuvre des actions de formation continue en lien avec les centres d’enseignement des soins d’urgence (CESU) de la région dans le cadre de la note technique de cadrage diffusée par le ministère de la Santé [16] ;

  • de faciliter l’articulation et l’intégration des ressources libérales dans les plans de secours, en lien avec les services de l’agence régionale de santé, les préfectures, les SDIS et les référents SSE des services d’accueil des urgences, notamment dans une logique d’affectation de crise ;

  • le développement et le déploiement de LibORSAN, application dédiée à ces objectifs, permettant l’adressage, ciblé et sécurisé, d’alertes et informations tant au niveau régional que local, et mise à la disposition des services d’accueil des urgences des établissements de la région. Cette application a été lancée dans l’urgence en janvier 2020, recueillant plus de1500 abonnements en deux mois (sur 4300 médecins libéraux) et a vu son concept validé par l’enquête menée au décours de la première vague [1]. Au-delà du niveau administrateur, conféré aux personnels désignés de l’URPS-ML-BFC, un niveau « gestionnaire de secteur » est défini, à destination principalement des référents SSE des services d’accueil des urgences et leur permettant ainsi d’adresser des alertes et messages aux professionnels de santé abonnés de leur territoire.

Figure 3.

Figure 3

Proposition organisationnelle d’intégration dans les plans de secours des ressources extrahospitalières.

Dans un contexte démographique contraint, une telle approche permet tout à la fois de respecter l’ancrage territorial qu’impose un exercice libéral, de promouvoir l’articulation et l’intégration, selon les cas, des ressources extrahospitalières dans les dispositifs de réponse aux crises et situations sanitaires exceptionnelles, de faciliter ainsi l’anticipation organisationnelle et opérationnelle et de proposer un complément et non une refonte des plans existants volontariat (Fig. 3).

La formation

Le professionnel de santé libéral peut être amené à intervenir à différents niveaux, à différents moments de la crise ou situation sanitaire exceptionnelle, parfois successivement ou séquentiellement, selon l’évolution de la situation et la nature de l’évènement critique (Fig. 4 ) :

  • comme impliqué dans l’évènement causal lui-même, témoin direct ou de par sa proximité immédiate ;

  • comme renfort des structures de la chaîne de secours sanitaires (intégration) ;

  • comme acteur d’une offre de soins « hors crise » à maintenir (articulation).

Figure 4.

Figure 4

Les niveaux d’implication ou d’intervention possible des ressources sanitaires extrahospitalières dans les situations sanitaires exceptionnelles.

Une telle implication suppose d’avoir anticipé l’obligation d’un changement de pratique professionnelle et d’un nouveau raisonnement, centré sur l’action opérationnelle et technique à mener dans un but stratégique d’ampleur conditionnée par l’évènement lui-même, ayant pour conséquence pour le médecin de devoir moduler son éthique [17].

Cela suppose aussi des savoir-faire particuliers et spécifiques : lire une situation sur le terrain et prévenir le sur-accident (en ne s’exposant pas soi-même notamment), anticiper la mise en place de la chaîne de secours et s’y intégrer, mettre en œuvre des techniques de stabilisation et de sauvetage spécifiques, accepter et participer aux actions de retour d’expérience individuel, collectif et institutionnel. L’intervention en situation de catastrophe est avant tout une affaire d’équipe pluriconfessionnelle, du champ sanitaire (plan blanc, dispositif ORSAN) et d’autres champs de compétences (dispositif ORSEC).

La notice de cadrage de 2014 présente un axe fort sur le risque NRBC-E ; l’apprentissage des techniques de damage control pré-hospitalier et médicochirurgical requiert également une formation dédiée, essentielles dans une logique de prévenir tous les décès évitables [16].

Il importe dès lors que la formation à la gestion des crises et situations sanitaires exceptionnelles permettent à tous de parler le même langage, de poursuivre le même but dans une logique du « un pour tous » supplantant celle du « tous pour un » de l’exercice quotidien, de mettre en œuvre des techniques et stratégies de prise en charge dès lors adaptées au contexte et sortant de l’ordinaire, supposant un raisonnement tactique spécifique auquel chacun doit se préparer [17].

L’enjeu sera donc :

  • une formation graduée selon la profession, la spécialité, le type d’exercice et la place envisagée pour chaque professionnel de santé, avec au premier rang une acculturation à la médecine de catastrophe. La Fig. 5 illustre une trame de ce que pourrait être les formations proposées [3], [18] ;

  • une formation contextualisée et de proximité, s’adressant à l’ensemble des professionnels concernés du territoire [3] ;

  • une formation partie intégrante du développement professionnel continu (DPC) hors quota.

Figure 5.

Figure 5

Proposition de formation à destination des médecins libéraux volontaires pour le renfort sanitaire territorial. Les spécialités cliniques pourront relever soit d’une logique d’implication dans le dispositif hospitalier, soit d’articulation et/ou de renfort du secteur pré-hospitalier.

L’ordonnance du 12 mai 2021 relative aux communautés professionnelles territoriales de santé et aux maisons de santé prévoit la participation de ces dernières à la réponse aux crises sanitaires [15]. Il importe que la formation soit cohérente également d’un territoire à l’autre, d’une région à l’autre, reposant sur un référentiel national et une déclinaison régionale et territoriale adaptée. Les URPS paraissent par leur dimension régionale, leurs liens avec l’ensemble des acteurs concernés, être des interlocuteurs centraux dans la mise en place de ces formations.

Les prérequis

La pandémie à SARS-CoV-2 a mis en lumière la nécessité de définir un modèle économique et un cadre juridique sécurisés pour les professionnels de santé libéraux au regard de leur mode d’exercice :

  • le modèle économique se doit de garantir le chiffre d’affaires moyen en cas de perte d’activité imposée, de mobilisation et/ou de formation du professionnel dans la gestion de la crise. Une réflexion doit donc être menée afin de garantir la survie économique des cabinets en cas de crise, au niveau national ;

  • le cadre juridique doit être sécurisant au regard d’un mode d’exercice spécifique appelant chacun à « moduler son éthique », pour reprendre les termes de G-L Compère [17]. Le statut de collaborateur occasionnel du service public parait être la solution la plus simple dans le cadre d’une responsabilité régalienne.

Répondre à ces prérequis paraît, au regard de la pandémie à SARS-CoV-2 et des retours d’expériences, une condition essentielle à l’implication de tous dans la réponse à apporter à la prochaine crise.

Conclusion

Dans un récent éditorial, F. Adnet pointe les leçons à retenir d’une pandémie pourtant annoncée [19] :

  • mauvaise perception ou interprétation des signaux inauguraux en provenance de Chine, rendant compte d’un débordement rapide du système de santé des territoires touchés, imposant un confinement « dur » occultant les autres pathologies ;

  • le redimensionnement des matériels et capacitaires à la hauteur des crises prévisibles, une réactualisation des réserves stratégiques nationales et la définition d’une doctrine plus claire et plus réactive d’emploi de ces dernières ;

  • mise en place d’un système de surveillance, de détection et d’alerte, couplés à des plans de prévention des pandémies.

En complément, nous soulignerons :

  • la place « en première ligne » des médecins (notamment généralistes) et autres professionnels de santé libéraux dans la détection des signaux faibles, qu’il s’agisse d’ailleurs des prémices d’une épi- ou pandémie ou d’une contamination de réseau d’eau, d’un foyer de toxi-infection alimentaire commune, d’une défaillance industrielle ;

  • le renforcement des capacitaires notamment en termes de compétences, en complément des capacités hôtelières, que les ressources sanitaires extrahospitalières peuvent apporter, pour peu que leur intégration ou articulation soient anticipées, organisées, planifiées.

Nous proposons ici au débat un modèle organisationnel issu des remontées du terrain, à l’occasion de cette pandémie qui aura ébranlé notre système de santé dans toutes ses dimensions et interroge aujourd’hui notre capacité collective à en tirer les leçons pour l’avenir.

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références

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