À l’été 2021, la pandémie de Covid-19 avait touché 520 millions de personnes dans le monde, avec plus de 6 millions de décès. Parallèlement, 11 milliards de doses de vaccin avaient déjà été dispensées depuis la fin décembre 2020 et dans ce nombre gigantesque, on a pu, dès la fin février 2021, identifier quelques thromboses veineuses de présentation et de localisation inhabituelle survenant au décours de l’administration de vaccins à support d’adénovirus chez des sujets sans antécédents particuliers, le plus souvent jeunes. Ces 19 premières thromboses veineuses rapportées en Allemagne et en Autriche après administration de vaccin ChAdOx1 nCoV-19 (Astra Zeneca) concernaient 11 femmes (âgées de moins de 50 ans), avec une localisation veineuse cérébrale 9 fois (47,5 % des cas), une atteinte splanchnique, une localisation multiple 6 fois et s’accompagnaient d’une thrombocytopénie, amenant d’emblée à envisager une analogie avec les thromboses induites par l’héparine (TIH), Plusieurs dénominations ont été proposées pour ce syndrome de thromboses avec thrombocytopénie (TTS), thrombocytopénie thrombotique induite par le vaccin (VITT) et thrombocytopénie thrombotique immune induite par le vaccin (VIITT) [1].
Extrêmement rare, mais pronostic sévère.
Épidémiologie
L’inquiétude en aval de ces complications sévères amène les agences de veille sanitaire à enquêter sur l’ampleur de leur dimension épidémiologique au printemps 2021. En mars 2021, 39 cas de TTS sont rapportés avec le vaccin ChAdOx1 nCoV-19, se manifestant par des thromboses veineuses cérébrales, spléniques, mésentériques, portales chez des femmes de moins de 50 ans et à l’origine d’une mortalité élevée, atteignant 40 %. En avril 2021, 213 cas de phlébite cérébrale sont rapportés en Europe (186 après vaccin ChAdOx1 nCoV-19 d’Astra Zeneca et 27 après un vaccin à ARN messager), accompagnées de 107 thrombocytopénies. En France, parmi 3,3 millions de vaccinés, on identifie 24 thrombophlébites cérébrales, 2 thromboses spléniques et 1 embolie pulmonaire. Aux États-Unis, 161 thromboses compliquent l’évolution de 125 millions de vaccinés [2].
À l’automne 2021, la dimension épidémiologique des TTS post-vaccination Covid-19 est précisée. Au Royaume Uni, pour le vaccin ChAdOx1 nCoV-19, on dénombre 367 cas parmi 24,7 millions de primo-vaccinés et 44 cas après rappel, soit 1 cas pour 67 302 et 518 181 vaccinés, respectivement. Aux États-Unis, 12 cas pour 7 millions de vaccinés, soit 1 pour 583 000 sujets ayant reçu le vaccin ChAdOx1 nCoV-19 [3].
De décembre 2021 à août 2022, on rapporte 57 cas de TTS aux États-Unis, dont 54 avec le vaccin Ad26.CoV2.S Covid-19 (Janssen-Johnson et Johnson) et 3 avec un vaccin à ARNm, soit 3,83 cas et 0,00855 cas par million de vaccinations, respectivement [4].
Jusqu’à novembre 2021, 213 cas de thrombose veineuse cérébrale ont été rapportés à l’Agence européenne de médicament (EMA), dont 87,5 % avec le vaccin ChAdOx1 nCoV-19, mais aussi 12,2 % avec le vaccin à ARNm BNT 162b2 (Pfizer-BioNTech) et une avec le vaccin à ARNm de Moderna (mRNA1293) [5].
Les thromboses veineuses cérébrales représentent l’une des formes cliniques les plus fréquentes, mais aussi l’une des plus graves. Leur fréquence de survenue chez les sujets venant d’être vaccinés contre la Covid-19 est supérieure à celle observée dans la population hors vaccination (0,5 à 1 cas par million et par an), mais également à celle observée au cours d’une infection aiguë par le SARS CoV2 (40 à 45 cas par million). L’analyse de 552 cas répertoriés par 258 publications permet de chiffrer le risque à un cas pour 100 000 vaccinations avec le vaccin ChAdOx1 nCoV-19, avec toutefois des variations assez importantes d’une source à l’autre (1 cas pour 250 000 dans les données de l’EMA, mais 24,9 par million dans celles du Danemark et de la Norvège) [6].
Physiopathologie
Les mécanismes concourant à ces TTS sont complexes et pas totalement compris encore. Tout comme leur expression clinique (thromboses veineuses de siège inhabituel, parfois multiples et/ou artérielles, associées à une thrombopénie), ils mettent en jeu des facteurs semblables à ceux impliqués dans les thromboses induites par l’héparine (HIT) et les purpuras thrombotiques thrombocytopéniques (PTT). Ce sont le facteur 4 plaquettaire (PF4), le facteur von Willebrand (vWF), l’ADAMTS-13, et des anticorps anti-PF4.
Le facteur plaquettaire 4 est une protéine de 70 AA sous forme de tétramère contenue dans les granules α des plaquettes et libérée par leur activation. L’activité du facteur vWF, secrété par les cellules endothéliales sous forme de très larges multimères très thrombogènes, est contrôlée par une métalloprotéase, l’ADAMTS 13 (A disintegrin and metalloprotease with thrombospondin type 1 repeats) qui clive les multimères ultra-larges de vWF et prévient la thrombose. Le PF4, outre son activité directe dans l’amplification de la thrombose et de l’agrégation plaquettaire, inhibe l’activité d’ADAMTS 13.
L’antigène qui déclencherait le TTS post-vaccination Covid-19 est suspecté d’être la protéine spike du SARS CoV2, portée en séquence complète par les vaccins à adénovirus, tandis que les vaccins à ARNm n’entraînent qu’une production d’une séquence restreinte. L’un des marqueurs caractéristiques des TTS est la présence d’une thrombopénie et d’anticorps anti PF4, dont l’origine reste encore incomprise. Ces anticorps, une fois fixés sur le PF4 ont une réaction croisée avec le récepteur Fcγ RIIa des plaquettes (CD32) et les activent. Les anticorps anti PF4 stimulent également les polynucléaires neutrophiles, à l’origine d’une production de neutrophil extracellular traps (NET), qui amplifient les phénomènes thrombotiques [7]. La thrombopénie du syndrome serait liée à l’élimination des plaquettes sur lesquelles sont fixés les anticorps anti-PF4 d’une part et aux phénomènes de coagulation intravasculaire, dont témoigne également l’élévation importante des d-dimères et la baisse du fibrinogène associée.
Aspects cliniques
Dans la cohorte britannique de 220 patients, la thrombose et la thrombopénie apparaissent 5 à 30 jours après la vaccination. La médiane d’âge est de 48 ans et 85 % des sujets ont moins de 60 ans [3]. Les premiers signes apparaissent dans la semaine suivant la vaccination, parfois dès le 4e jour, mais avec une médiane du délai d’apparition de 9 jours [4]. Les céphalées dominent la symptomatologie initiale (70 % des cas).
L’une des particularités majeures des thromboses veineuses des TTS tient à leur siège atypique et à leur caractère possiblement pluri-focal. Les thromboses veineuses des troncs collecteurs des membres inférieurs, avec ou sans embolie pulmonaire, ne sont observées que dans 15 à 25 % des cas, tandis que les thromboses du réseau splanchnique (veine mésentérique, hépatique, portale, splénique) et celles des sinus veineux cérébraux atteignent 10 à 25 % des cas pour les premières et 50 % des cas pour les secondes [3], [4]. En fait, avec le recul de quelques mois, il apparaît que les thromboses veineuses d’aspect « habituel » (veines des membres inférieurs) sont un peu plus fréquentes, touchant 37 % des patients dans la cohorte britannique et sont souvent compliquées d’embolie pulmonaire. Une embolie pulmonaire est retrouvée chez près d’un tiers des patients [3], [4]. Une thrombose d’une veine jugulaire est fréquente (24 % dans la série des USA) [4]. Les thromboses multiples concernent elles aussi quasiment un patient sur 3 (29 % dans la cohorte britannique) et sont souvent associées à des thromboses artérielles (21 %) [3].
La quasi- totalité des patients doivent être hospitalisés et parmi ceux de l’automne 2021 aux États-Unis, 67 % le sont en soins intensifs. La mortalité dans la série de 54 vaccinés avec le vaccin Ad26.CoV2.S Covid-19 et 3 avec un vaccin à ARNm (après le retrait temporaire du vaccin ChAdOx1 nCoV-19 aux États-Unis) est de 15 % [4].
Les thromboses d’un sinus veineux cérébral sont l’une des atteintes les plus fréquentes (50 % des cas dans les cohortes britanniques et américaines) et les plus graves [3], [4]. Dans une revue de 258 articles sur le sujet répertoriant 552 cas, elles concernent principalement les femmes (372 femmes, 170 hommes) et le plus souvent des femmes jeunes (médiane d’âge 44 ans). La majorité (490) est secondaire au vaccin ChAdOx1 nCoV-19, mais 45 surviennent aussi après vaccin à ARNm BNT 162b2 [6]. La symptomatologie est dominée par des céphalées, nausées, vomissements et parfois des convulsions. La thrombose (souvent multiple) siège le plus souvent dans les sinus longitudinal supérieur (56 %), inférieur (5 %), les veines corticales (25 %), le sinus transverse (84 %), la veine occipitale (6 %) et la veine jugulaire interne (18 %) [6]. Les transformations hémorragiques sont fréquentes. Le pronostic de toutes ces localisations est sévère, avec une mortalité atteignant 37 %. Inversement, 63 % des patients ont une évolution favorable, avec des séquelles relativement limitées [6].
Marqueurs biologiques
Une thrombopénie est retrouvée dans la majorité des cas, souvent importante (médiane de 32 000 plaquettes/mm3 dans la série des États-Unis, et de 47 000 dans celle du Royaume Uni). Son importance est corrélée à la sévérité du TTS, plus basse chez les patients admis en soins intensifs et chez ceux dont l’hospitalisation est prolongée [3], [4].
Les d-dimères sont quasi constamment très élevés, dépassant 4000 FEU (Fibrin equivalent unit), pour atteindre souvent 5 à 10 000 FEU.
Des anticorps anti-PF4 sont détectés en ELISA chez 85 % des patients. Des anomalies préexistantes de la coagulation sont retrouvées chez 63 % des patients (facteur V Leiden, mutation 20210A du facteur II, anticorps anti-phospholipides, anticoagulant lupique). Les anticoagulants anti-PF4 restent détectables assez longtemps, et on les retrouve encore 100 jours après la vaccination chez 72 % des malades, expliquant la possibilité de récidive du syndrome (qui peut atteindre 12 % des cas), lorsque le traitement est interrompu prématurément [8].
Traitement
Le traitement est les plus souvent entrepris en soins intensifs, compte tenu de la sévérité et de la rapide évolutivité de l’affection. Il comporte une approche immunologique, une anticoagulation particulière et des soins de support importants.
L’administration d’immunoglobulines intraveineuses (en général 0,5 à 1 g/kg/j pendant deux jours) vise à neutraliser les anticoagulants anti-PF4 circulants et à réduire l’activation plaquettaire. Dans les formes les plus sévères ou très rapidement évolutives (thrombopénie majeure, thromboses extensives), les échanges plasmatiques permettent de soustraire ces anticorps de la circulation. La prednisone à la posologie de 1 à 2 mg/Kg/j est administrée lorsque le chiffre de plaquettes est inférieur à 50 000/mm3 et les échanges plasmatiques sont envisagés lorsqu’elles sont inférieures à 30 000/mm3 [5].
L’anticoagulation préconisée n’emploie pas l’héparine, de crainte d’entretenir le processus thrombotique, par analogie avec la physiopathologie des thrombopénies à l’héparine (TIH). Elle fait appel à l’administration à dose curative d’argatroban ou de fondaparinux, éventuellement relayés par des anticoagulants oraux directs. En cas d’atteinte veineuse cérébrale, le traitement est initié par voie parentérale plutôt que par les anticoagulants oraux directs, qui relaient secondairement [4], [5]. L’héparine, les antivitamines K et les transfusions de plaquettes doivent être proscrites.
Les soins de support sont importants, en particulier chez les patients avec thrombose veineuse cérébrale, convulsions et troubles de vigilance.
Conclusion
Compte tenu de la rareté des TTS post-vaccination Covid-19, mais de leur sévérité, un seuil de suspicion bas doit être gardé à l’esprit, car le traitement en est urgent.
En pratique.
Diagnostic rapide, traitement urgent.
Déclaration de liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
- 1.Greinacher A., Thiele T., Warkentin T.E., et al. Thrombotic thrombocytopenia after ChAdOx1 nCoV-19 vaccination. N Engl J Med. 2021;384:2092–2101. doi: 10.1056/NEJMoa2104840. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 2.Abrignani M.G., Murrone A., De Luca L., et al. Covid-19, vaccines, and thrombotic events: a narrative review. J Clin Med. 2022;11:948. doi: 10.3390/jcm11040948. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 3.Klok F.A., Pai M., Huisman M.V., et al. Vaccine-induced immune thrombotic thrombocytopenia. Lancet Haematol. 2021;9:73–80. doi: 10.1016/S2352-3026(21)00306-9. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 4.See I., lale A., Marquez P., et al. Case-series of thrombosis with thrombocytopenia syndrome after Covid-10 vaccination-United States, December 2020 to August 2021. Ann Intern Med. 2022 doi: 10.7326/M21-4502. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 5.Guetl K., Raggam R.B., Gary T. Thrombotic complications after Covid-19 vaccination: diagnostic and treatment options. Biomedicines. 2022;10:1246. doi: 10.3390/biomedicines10061246. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 6.De Gregorio C., Colarusso L., Calcaterra G., et al. Cerebral venous sinus thrombosis following Covid-19 vaccination: analysis of 552 worldwide cases. Vaccines. 2022;10:232. doi: 10.3390/vaccines10020232. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 7.Szostek-Mioduchowska A., Kordowitzki P. Shedding light on the possible link between ADAMTS 13 and vaccine-induced thrombotic thrombocytopenia. Cells. 2021;10:2785. doi: 10.3390/cells10102785. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 8.Craven B., Lester W., Boyce S., et al. Natural history of PF4 antibodies in vaccine-induced immune thrombocytopenia and thrombosis. Blood. 2022;139:2553–2560. doi: 10.1182/blood.2021014684. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
