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. 2022 Nov 15;23(253):46–52. [Article in French] doi: 10.1016/j.kine.2022.10.007

Regard de soignant, regard de citoyen à propos de la pandémie Covid-19

A caregiver's view, a citizen's view of the Covid-19 pandemic

Fabrice Cercleron 1
PMCID: PMC9664757

Abstract

La pandémie de Covid-19 a fait émerger la notion des droits à la liberté : liberté d’expression, de déplacement, de vaccination, etc. Cet article s’intéresse plus particulièrement à la démarche vaccinale. Entre pro-vaccinations, « antivaxs » et indécis se pose la question de la liberté, de l’autonomie décisionnelle individuelle du citoyen et du bénéfice collectif/sociétal à s’orienter vers un choix. La dispense d’information, via les médias (télévisés, écrits, radiophoniques) et la multitude de sources disponibles sur Internet, peuvent faciliter ou non la prise de décision. Qu’en est-il du positionnement du soignant ? Au-delà du principe de vouloir soigner sans compter, du serment d’Hippocrate (« je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions »), est-il aisé de garder ses-ces convictions ? Est-il légitime de se poser la question « Serait-il éthique de prioriser en réanimation les malades atteints de Covid-19 vaccinés ? », question abordée par certains médecins de Wallonie (Belgique) dans une démarche de débat éthique. Un regard sur la littérature tente de comprendre ce questionnement qui peut interpeller positivement ou interloquer.

Niveau de preuve

NA.

Mots clés: Décision, Pandémie Covid-19, Réflexion

Introduction

La pandémie de Covid-19 pose la notion des droits à la liberté : liberté d’expression, de déplacement, de vaccination, etc.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 stipule dans son article 4 que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui… ». Cette notion est renforcée par les articles 5, 6, 10 et 11 qui ajoutent la notion d’encadrement par la Loi et de libre expression [1].

Cet article s’intéresse plus précisément à la démarche vaccinale. Entre pro-vaccinations, « antivaxs » et indécis, se pose la question de la liberté, de l’autonomie décisionnelle individuelle du citoyen et du bénéfice collectif/sociétal à s’orienter vers un choix. La dispense d’information, via les médias (télévisés, écrits, radiophoniques) et la multitude de sources disponibles sur Internet peuvent faciliter ou non la prise de décision. D’autant plus si le phénomène pandémique en question perdure, ce qui peut émousser les comportements [2].

Mais qu’en est-il du positionnement du soignant ? Au-delà du principe de vouloir soigner sans compter [3], du serment d’Hippocrate propre au milieu médical, mais transposable semble-t-il, au regard des codes de déontologie et du code de la santé publique, à tous professionnels de santé [4] (« je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions »), est-il aisé de garder ses-ces convictions ? Est-il légitime de se poser la question [5] « Serait-il éthique de prioriser en réanimation les malades atteints de Covid-19 vaccinés ? »

Pour tenter de répondre à ces questions, une première partie revient sur la notion d’autonomie, puis un focus est fait sur ce qui est exprimé derrière la liberté individuelle et collective. Après un regard sur le versant réglementaire (Loi du 5 août 2021) le propos porte sur le/les questionnement-s que suscite-ent la posture soignante (le choix a été fait de parler des soignants en général, pour ne pas complexifier le propos et montrer que, quelle que soit l’origine soignante, les problématiques rencontrées dans ce contexte pandémique étaient souvent identiques).

Autonomie

L’autonomie, qui fait partie des quatre piliers de l’éthique, se définit comme une « capacité du sujet à penser par lui-même et à agir conformément à ses décisions » [6]. Pour Paul S. Appelbaum, psychiatre américain, l’autonomie peut se baser sur :

  • la capacité à communiquer un choix ;

  • la capacité à comprendre l’information pertinente ;

  • la capacité à apprécier la situation et ses conséquences ;

  • la capacité à raisonner sur les différentes options thérapeutiques [7].

Pour le Comité Consultatif National d’Éthique, l’autonomie repose sur :

  • l’autonomie d’action, liée à la possibilité de se mouvoir ;

  • l’autonomie de pensée, reposant sur une capacité à pouvoir argumenter de façon réfléchie et cohérente ;

  • l’autonomie de volonté, allant dans une résolution de problème consciente et personnalisée [8].

Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, entre les annonces gouvernementales à répétition et à tendance paternaliste, la surinformation liée aux divers moyens médiatiques [9], [10], il est peut-être difficile de garder une certaine objectivité à penser par soi-même. Ceci peut entraîner une orientation vers « un pseudo-choix arbitraire » [11], tout en gardant le principe de l’autodétermination plus ou moins lié au contexte de vie [12].

Liberté individuelle et collective

Basée sur la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, la « liberté » s’est vue au fil du temps, étoffée par de nombreux textes :

  • la Convention européenne des Droits de l’homme, entrée en vigueur le 1er juin 2010 et plus spécifiquement, par les articles 8 à 17 [13] ;

  • le Code civil, livre 1er : des personnes ;Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, entre les annonces gouvernementales à répétition et à tendance paternaliste, la surinformation liée aux divers moyens médiatiques [9], [10], il est peut-être difficile de garder une certaine objectivité à penser par soi-même. Ceci peut entraîner une orientation vers « un pseudo-choix arbitraire » [11], tout en gardant le principe de l’autodétermination plus ou moins lié au contexte de vie [12].

  • le Code de la santé publique, première partie, livre 1er : protection des personnes en matière de santé.

Ces textes permettent de garantir les libertés de chacun et, entre autres, la liberté d’expression, de pensée, d’agir, etc. D’où la notion de pluralisme (reconnaissance de plusieurs modes de pensée).

Se pose alors la question des limites entre liberté individuelle et collective. Ce qui peut être considéré comme « bon » pour un individu, le reste-t-il à l’échelle de la communauté ? [11], [14]. Comme l’écrit A.L. Chambert, philosophe, « l’être humain est un être toujours habité par l’appel du prochain, constamment interpelé par un déséquilibre entre la situation d’une force qui interagit avec la détresse qui lui fait face » [15]. Face à une mouvance gouvernementale dite « d’infantilisation » [16], ladite liberté s’est peut-être vue rabaissée à son plus simple appareil, où la pensée de l’un (l’état) était rapportée à la pensée du citoyen. Or, pour reprendre les propos d’E.G. Sledziewski « L’invocation des droits des citoyens, dans une période de troubles, est un antidote politique au chaos possible et au chaos réel, passé et présent » [17]. Le principe n’était-il donc pas de se cacher derrière un écran de fumée, en faisant croire d’un côté que nous serions entendu et écouté et, de l’autre, de ne suivre que sa propre voix ? Allant vers une tendance d’individualisation sociétale.

Les Lois

« Le patient peut exprimer des désirs, mais un désir n’est pas un droit » [11]. Les droits du malade reposent sur la Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ; elles font suite au contexte de la pandémie du virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Presque 20 ans après, l’histoire semble se répéter avec la parution de la Loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Mais, si la première se basait sur une concertation citoyenne à long cours qui répondait à des besoins citoyens et territoriaux, la seconde répond plus à une urgence sanitaire pandémique mondiale. Cette différence peut vraisemblablement expliquer que cette dernière s’est vue consolidée par la loi no 2022-46 du 22 janvier 2022 qui renforce les outils de gestion de la crise sanitaire et modifie le code de la santé publique.

Questionnement du soignant

« Aucun médecin ne peut plus prétendre savoir toute la médecine : les connaissances apprises deviennent rapidement obsolètes, le praticien doit constamment les remettre à jour » [18]. La pandémie actuelle, avec l’évolution permanente des variants, montre que la connaissance peut être très fragile, reposer sur des faits à actualiser régulièrement. Ce qui est difficile à appréhender par les scientifiques, l’est peut-être plus encore à l’échelon du personnel soignant, pris entre l’étau du « sauveur–sachant » (mais toujours à la recherche d’information) et de ses convictions personnelles.

Un soignant a-t-il le droit de juger « l’autre » sur ses convictions vaccinales et les conséquences que celles-ci peuvent engendrer? Entre les moyens mis à disposition et l’affluence de patients, une certaine saturation ne peut-elle pas entraîner des jugements de valeur à la limite de la posture éthique que devrait avoir tout soignant ? [19].

De ce fait, au-delà de la possible liberté d’agir, la liberté de penser et de s’exprimer semble être un bon moyen pour exprimer ce que ressentent les personnels de santé qui cristallisent un certain mal-être : mal-être qui a pour base, peut-être, une masse d’informations (désinformation ?) trop importante, qui ne favorise pas une certaine sérénité, où pour reprendre Sophocle « le savoir est de beaucoup la portion la plus considérable du bonheur ». Mais trop d’information, peut tuer l’information et peut-être l’objectivité de penser.

Éthique

Devoir faire des choix pour les admissions en service de réanimation, cauchemar ou réalité ? Quel soignant aurait cru un jour devoir se poser une telle question ? Entre le « devoir » de préserver-protéger nos aînés au détriment des jeunes ou au contraire, faire la démarche inverse, le constat a été fait dès le début de l’année 2020 [20]. Cette approche laissait augurer, par effet boule de neige, que certaines interventions (donc des patients) seraient considérées comme non-prioritaires, au risque final d’aggraver des situations initialement ordinaires.

Pour reprendre l’expression souvent utilisée d’un pays en « état de guerre », état qui signifie selon les principes de la médecine militaire [21] :

  • soigner selon des pratiques adaptées au contexte ;

  • accepter la perte de chance inhérente à un choix justifié ;

  • maximaliser les possibilités au profit du nombre le plus grand de personnes qui pourraient en bénéficier.

En mai 2020, paraissent les résultats de l’enquête nationale « Éthique, maladie chronique et renoncement aux soins » [22].

Elle met trois points en exergue :

  • 60 % des personnes qui vivent avec une maladie chronique ou un handicap déclarent avoir dû renoncer à des soins ;

  • un proche aidant sur deux estime que ses besoins n’ont pas été pris en compte ;

  • un quart des personnes qui vivent avec une maladie chronique ou un handicap ont renoncé à d’autres besoins élémentaires.

Au final, pour reprendre E. Hirsch: « la carence en ressources disponibles détermine les choix et non les critères médicaux habituellement en vigueur » [23].

Fin décembre 2021, paraît dans le journal Le Monde, un article intitulé « L’appel de médecins belges à un débat éthique ». La difficulté des soignants à gérer cette crise et la difficulté de travailler de concert avec les instances sanitaires directrices y sont évoquées. Pour prodiguer des soins de qualité à chacun, sans avoir à faire des choix, ils arrivent à la conclusion qu’il faudra quatorze mois pour rattraper le retard des interventions chirurgicales déprogrammées et plus de quatre ans pour les autres interventions.

La pandémie a fait surgir des besoins éthiques (échanges, réflexions, actions, groupes de travail, etc.) indispensables à un certain bien-être des soignants, des patients (mouvance rejoignant la notion de prise en charge bio-psycho-sociale) et de leur entourage [24], [25], [26]. A ces besoins (et par état de fait) est venue se surajouter une adaptabilité organisationnelle [27], [28]. Mais, comme pour le matériel de soins, l’éthique est un outil avec lequel il faut savoir travailler. Il convient pour cela de s’appuyer autant sur l’investissement du personnel de terrain, que sur des personnes distantes du soin qui maîtrisent la démarche éthique pour répondre au mieux aux besoins de l’instant [29].

Souffrance du personnel soignant

Que faire ? Et comment bien le faire ? Le sentiment d’impuissance peut être important, difficile à gérer, voire insurmontable [2]. Face aux symptomatologies atypiques des patients atteints de Covid-19, au déploiement des soignants pour renforcer des équipes en détresse au sein de services qui fournissent des soins qu’ils ne maîtrisent pas, le doute a pu s’installer quant à leurs compétences. Ce qui peut aussi expliquer le fait d’un ressenti de défaut de communication avec les patients et/ou proches ou des prises de décisions tardives pour un passage en secteur palliatif [30].

Se protéger pour protéger les autres, une évidence ? Le port des équipements de protection individuelle est une contrainte supplémentaire imposée aux soignants pour mieux s’occuper des patients dans ce contexte d’épidémie. Mais, entre dualité du bien (être protégé et protéger) et du mal (contrainte supplémentaire), comme le souligne J. Lefèvre-Utile, « La prise en compte de notre vulnérabilité par le port des équipements de protection individuelle saura-t-elle nous apprendre à nous protéger en refusant que l’inclusion des uns exige l’exclusion des autres ? » [31]. Tout en sachant que certains soignants n’ont pas « la chance » de se poser de telles questions, par manque de moyens matériels, ce qui les place potentiellement en position de danger [30].

Comment expliquer qu’une auxiliaire de vie qualifie sa profession « d’invisibilisée » ? [32]. Entre une rémunération faible, une profession qui n’est parfois pas reconnue comme prioritaire pour la délivrance du matériel de protection (masques, etc.), l’altruisme ne se suffit plus à lui-même pour répondre aux besoins des personnes.

Un élève aide-soignant évoque sa détresse face à la contrainte de devoir porter des sacs poubelles en guise de protection : « ils nous envoyaient au front sans arme » [33].

Malgré des recommandations ou « réponses rapides » pour répondre à cette pandémie, la réalité du terrain n’a pas forcement permis aux kinésithérapeutes de pratiquer en toute sérénité [34].

Une kinésithérapeute fait part de ses difficultés à gérer le quotidien entre une activité professionnelle et familiale où les frontières semblent avoir disparues [35]. Difficultés retrouvées de façon récurrente, mais qui témoignent malgré tout d’un fort investissement [36].

Dans une tribune publiée par Le Journal du dimanche du 02/01/22, le Pr A. Grimaldi, médecin, s’interroge sur les « râles » du personnel soignant, sur la dynamique des patients non vaccinés et sur la pertinence de rédiger des directives anticipées en cas d’hospitalisation pour les personnes qui refusent de se faire vacciner. Il souligne l’importance décisionnelle qui repose sur les soignants à faire des choix d’hospitalisation en service de réanimation et questionne la guidance que pourrait avoir la société dans cette démarche décisionnelle. Il conclut cette tribune par : « Une personne revendiquant le libre choix de ne pas se faire vacciner ne devrait-elle pas assumer en cohérence son libre choix de ne pas se faire réanimer ? ».

Au final, c’est bien le métier de soignant qui a été mis à mal. Et, même si la reconnaissance via la population, les artistes, les gouvernances, a été fortement médiatisée au point d’héroïser, cela peut être considéré comme poser des fleurs sur la tombe de la résilience soignante [37].

Absentéisme

D’après une enquête de la Fédération Hospitalière Nationale de France (FHF) d’octobre 2020, le taux d’absentéisme en CHU/CHR était de 8,43 % (identique à 2019), et de 12,10 % (9,73 % en 2019) en établissement social et médico-social. Y figure aussi que 31 % des établissements publics de santé et 35 % des établissements sociaux et médico-sociaux rencontrent de fortes difficultés de recrutement par rapport à 2019. Pour pallier cette difficulté, plus de 70 % de ces établissements (tous confondus), prévoient d’avoir recours à la mobilisation d’étudiants en santé ou de professionnels en cumul d’emploi-retraite [38].

Selon la Conférence des présidents de commission médicale d’établissement de CHU, la moyenne nationale d’absentéisme du personnel soignant avoisine les 11 %, contre 8 à 9 % avant l’épidémie ; chiffre repris par le journal Libération du 27/10/21, sous le titre « 20 % de lits fermés. L’hôpital public au stade critique ». Y est aussi évoqué le témoignage de nombreux responsables médicaux qui soulignent la dégradation du système de santé.

Quelques chiffres publiés à la fin du mois de janvier 2022 concernant la pandémie de Covid-19 viennent étayer les questions suscitées par les soignants (Figure 1, Figure 2, Figure 3, Figure 4, Figure 5, Figure 6, Figure 7  ; source : data.gouv.fr ; tableau de bord COVID-19-Gouvernement. https://www.gouvernement.fr).

Figure 1.

Figure 1

Taux d’incidence du Covid-19: France entière au 24/01/22 : 3792,08 soit une augmentation de 16,43 %.

Figure 2.

Figure 2

Nombre moyen de nouvelles hospitalisations quotidiennes liées au Covid: 2822, soit une augmentation de 11,19 % en 7 jours.

Figure 3.

Figure 3

Nombre moyen de nouvelles entrées quotidiennes liées au Covid en soins critiques: 294, soit une augmentation de 2,8 % en 7 jours.

Figure 4.

Figure 4

Nombre moyen d’entrées en soins critiques chez les personnes non vaccinées : 14,6 par jour, soit une augmentation de 9,52 % en 7 jours. Nombre moyen d’entrées en soins critiques chez les personnes vaccinées : 16,48 par jour, soit une augmentation de 17,65 % en 7 jours.

Figure 5.

Figure 5

Nombre moyen de décès quotidiens à l’hôpital : 258, soit une augmentation de 19,44 % en 7 jours.

Figure 6.

Figure 6

Nombre de personnes hospitalisées : 30′982, soit une augmentation de 10,92 % en 7 jours au 27/01/22

Figure 7.

Figure 7

Nombre de personnes vaccinées contre le Covid-19 (1 dose : 53′895′155 (+ 0,27 % en 7 jours)–Complètement : 52′581′073 (+0,37 % en 7 jours)).

Il est regrettable de constater que, deux ans après le début de la pandémie, malgré les efforts et les progrès considérables de la science à prévenir, à soulager, à guérir, les comportements citoyens n’ont pas forcement eu l’incidence que l’on aurait pu espérer.

Discussion

Ces exemples ne justifient-ils pas que le soignant ait le droit de se sentir délaissé ? Seul ? La motivation, les convictions, l’envie sont des outils qui à long terme, peuvent s’abîmer / s’altérer s’ils ne sont pas bien entretenus : l’un pourra devenir un « héros » alors que l’autre abandonnera [2], [39]. Or, entre une charge de travail inhabituelle, des choix subis (faute de moyens matériels et humains, mais qui reposent toujours sur une décision médicale finale), une gouvernance qui fait ce qu’elle peut, mais dont la résonance chez les soignants ne semble pas faire corps (à recontextualiser par rapport aux corps de métiers d’appartenance et aux compétences), il semble entendable de se poser de telles questions. Questions qui malheureusement étaient déjà formulées par l’Assemblée Nationale lors de la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) en 2010 [40].

Dans son livre Une démocratie confinée, L’éthique quoi qu’il en coûte, E. Hirsch formule 10 questions, dont la 8e : « Comment envisager, en responsabilité, d’évoluer et d’assumer nos choix dans une société du risque ? Dans quel cadre parvenir à arbitrer le juste équilibre entre risques nécessaires, inévitables, et décisions inacceptables ? » [23]. En 2009, suite à un colloque sur la pandémie grippale, il évoquait déjà « de réfléchir avec les professionnels les plus engagés sur le front de la lutte aux conditions de leurs pratiques, notamment du point de vue des arbitrages nécessaires ». Comment expliquer que ces intentions, avec 13 ans de recul, en soient toujours au même point ? Pourquoi les soignants se posent-ils toujours les mêmes questions ? Pourquoi font-ils toujours les mêmes constats ? Ceci peut expliquer cette démarche du personnel soignant [41], [42]. Avec une gouvernance plutôt verticale, qui montre un semblant d’échange avec le terrain, mais qui au final décide seule, les écarts entre les « bien-pensants » et la réalité du terrain se creuse pour créer un mal-être. Mal-être qui vient se conjuguer avec une reconnaissance tardive du travail en milieu hospitalier (Ségur de la santé : revalorisation des carrières paramédicales (dossier de presse) avril 2021), un environnement socio-économique instable (mouvement des Gilets jaunes du 17 novembre 2018), et deux ans de pandémie qui ne semblent avoir abouti à aucun consensus de moyens de gestion de crise sanitaire.

Conclusion

Le terme est peut-être un peu fort mais, malgré tous ces constats, depuis le 14 mars 2022, le port du masque (sauf exception des transports en commun et des lieux de soins) n’est plus obligatoire. Certes, la population est fortement vaccinée (79,2 % de la population totale au 19 avril 2022- source solidarites-sante.gouv.fr). Mais c’est comme si, du jour au lendemain, le virus avait disparu et, avec lui, ses contraintes quotidiennes. L’envie de liberté est-elle à ce point prégnante, qu’il faille oublier les deux années écoulées ? En effet, quel bonheur de ne plus porter ce masque ; du jour au lendemain, nous avons appris à reconnaître l’autre à travers ses traits, ses expressions, sans à avoir à déchiffrer un hypothétique message via un regard. Du jour au lendemain, comme l’annonce du printemps à quelques jours près, les visages se sont découverts pour offrir leur bobine au soleil débutant. Bonheur de converser sans la barrière « bleue, rose, jaune, noire, etc. », de se retrouver en groupe, en famille, de pouvoir à nouveau serrer l’autre. Fini les applaudissements aux balcons, les informations déprimantes sur le nombre de décès et de contaminés. L’histoire est passée, il faut écrire une nouvelle page, jusqu’à la prochaine épidémie / pandémie…ou la 8e vague.

Financement

Aucun.

Déclaration de liens d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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