Le télétravail a fait une forte percée dans nos organisations et concerne aujourd’hui plus d’un actif sur quatre [1]. Certains l’ont découvert de façon un peu brutale, comme un dispositif d’urgence pour faire face à la pandémie au Coronavirus Covid-19, d’autres avaient antérieurement déjà commencé à s’y préparer. Le télétravail a pu être subi en période de crise, il a été alors parfois mal vécu parce que mal préparé. Comme toute organisation de travail, pour fonctionner de façon optimale, le télétravail nécessite un cadre et de bonnes pratiques. Le rôle du Service de prévention et de santé au travail (SPST) et du médecin du travail est donc majeur concernant les conseils à prodiguer aux employeurs, travailleurs et leurs représentants, pour prévenir les risques professionnels et l’adaptation collective des conditions de travail. Il s’agit d’ailleurs d’une mission explicitement impartie aux SPST, consacrée par la Loi de août 2021 [2]. En parallèle, comme il s’agit d’un outil précieux en matière d’adaptation individuelle d’un poste de travail pour certains salariés et il est alors crucial de comprendre comment ces missions et ces préconisations s’insèrent dans un dispositif juridique plus large.
Définition
Le Code du travail défini le télétravail comme : « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail, qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur, est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ». Le télétravail englobe différentes formes de travail à distance. Par définition, il inclut :
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le travail à domicile ;
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le travail dans des espaces collectifs en dehors de l’entreprise ;
En revanche, il ne doit pas être confondu avec les travailleurs à domicile qui sont régis par d’autres dispositions du Code du travail (Art. L7412-1 et suivants du Code du travail et qui exécutent des travaux pour une entreprise et non pour leur propre clientèle à domicile, ou dans un local dont ils sont propriétaires ou locataires et perçoivent une rémunération forfaitaire fixée à l'avance pour le travail qui lui a été demandé.
Le Cadre juridique du télétravail
Ce sont les articles L. 1229-9 à L.1229-11 du Code du travail qui régissent le télétravail.
Un accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 relatif au télétravail, étendu par un arrêté du 2 avril 2021 favorise par le biais de recommandations, les bonnes pratiques que doivent suivre les employeurs en matière de télétravail. Ce cadre laisse à la discrétion des entreprises les modalités spécifiques de mise en place.
Néanmoins certains droits et devoirs de l’employeur comme du salarié sont précisés par ce cadre normatif :
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le télétravail peut désormais être mis en place par accord collectif ou dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique (CSE) ;
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l’organisation du télétravail n’a plus à être prévue par le contrat de travail ou un avenant ;
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en l’absence d’accord collectif ou de charte, lorsque le salarié et l’employeur conviennent de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen ;
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en cas de refus de télétravail pour un poste éligible, l’employeur doit motiver son refus ;
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il est nécessaire qu’il y ait un accord mutuel (l’activité en télétravail repose sur la volonté conjointe de l’employeur et du salarié). Si le salarié refuse, il ne peut se voir reprocher ce refus. Par ailleurs, le principe de réversibilité (garantie de retour en entreprise à poste égal ou à qualification égale) doit être respecté. Ainsi l’employeur doit donner au télétravailleur priorité pour occuper ou reprendre un poste sans télétravail qui correspond à ses qualifications et compétences professionnelles et doit porter à sa connaissance la disponibilité de tout poste de cette nature ;
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l’employeur doit par ailleurs organiser chaque année un entretien qui porte notamment sur les conditions d’activité du salarié et sa charge de travail ;
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il doit aussi détailler les dispositifs de contrôle et de collecte de données (respect du RGPD), respecter le droit à la déconnexion et la vie privée des salariés en télétravail et garantir la santé et la sécurité de chaque télétravailleur ;
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si l’employeur doit bien fournir les équipements permettant de mener à bien le travail à distance, en revanche, s’il n’existe pas d’accord entre le salarié et l’employeur ou d’accord collectif, il n’y pas de prise en charge systématique des frais liés au télétravail (Cass. soc.,17 févr. 2021, no 19-13.783).
S’il y a un accord au sein de l’entreprise, ce dernier doit préciser les mentions suivantes :
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les modalités d’organisation télétravail et les conditions de retour au travail en entreprise ;
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les modalités d’acceptation de mise en place du télétravail par les salariés ;
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les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;
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les plages horaires durant lesquelles l’employeur peut contacter les salariés en télétravail ;
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les modalités pour l’organisation du télétravail des salariés en situation de handicap.
À noter qu’il existe cependant une exception au volontariat évoqué plus haut pour le télétravail : « en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ». L’employeur peut alors imposer le télétravail. Il peut s’agir des situations exceptionnelles suivantes : risques d’épidémie (crise sanitaire du covid-19), catastrophe naturelle, insurrection, grève, pollution, etc.
Télétravail et risque professionnel
L’article L1222-9 précise que l’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail au sens de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale.
Place du médecin du travail et du service de prévention et de santé au travail dans le télétravail
L’article L4622-2 du Code du travail précise qu’il appartient aux services de prévention et de santé au travail de conseiller les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin d’éviter ou de diminuer les risques professionnels, d’améliorer la qualité de vie et des conditions de travail, en tenant compte le cas échéant de l’impact du télétravail sur la santé et l’organisation du travail. L’Institut national de recherche de et de Sécurité (INRS) [3] et l’Agence nationale d’amélioration des conditions de travail (ANACT) ont mis en ligne de nombreuses ressources documentaires, guidelines et infographies autour, notamment, de l’organisation du télétravail pour guider les différents acteurs [4].
Au-delà du rôle du SPST, il appartient spécifiquement au médecin du travail de pouvoir proposer le télétravail pour un salarié pour des raisons de santé, comme aménagement du poste de travail.
Sur ce point, la Haute autorité de santé et la Société française de médecine du travail ont souligné dans une Recommandation de bonnes pratiques à destination des professionnels de santé notamment, que le télétravail est l’une des mesures mobilisables dans le cadre d’un plan de maintien en emploi ou de retour au travail [5].
L’ANI du 26 novembre 2020 converge également dans ce sens, en ce qu’il précise que le télétravail est un « outil de prévention de la désinsertion professionnelle pour les salariés en situation de handicap » [6].
Il faut souligner que le médecin du travail peut proposer des mesures d’aménagement de poste indépendamment de tout ce qui est prévu par l’accord d’entreprise dans la mesure où dans le cadre de son indépendance professionnelle, un tel accord ne le lie pas. En d’autres termes, s’il estime que l’état santé d’un salarié justifie en tout ou partie une activité en télétravail il est libre de le proposer.
L’employeur peut néanmoins refuser le télétravail au salarié préconisé par le médecin du travail. Car si, par principe, l’employeur est tenu de prendre en considération les propositions du médecin du travail, il n’est cependant pas obligé de les suivre s’il estime que le poste ne le permet pas. L’employeur doit dans ce cas informer par écrit le salarié et le médecin du travail, des motifs qui l’ont conduit à refuser cet aménagement de poste. Cependant, le refus peut engager la responsabilité de l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité. En effet, selon la Cour de cassation, la prise en compte des mesures individuelles préconisées par le médecin du travail s’impose à l’employeur en application de son obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés de l’entreprise.
Il a par ailleurs été jugé que l’employeur qui ne ferait aucune démarche et ne respecterait pas les recommandations du médecin du travail ayant préconisé le télétravail dans le cadre d’une recherche de reclassement faisant suite à un avis d’inaptitude, pourrait se voir reprocher un non-respect de son obligation de recherche de reclassement (Cass. soc.,15 janvier 2014, n° 11-28.898).
Dans le même sens, la cour d’appel de Poitiers a jugé que le licenciement d’un salarié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement est sans cause réelle et sérieuse si l’employeur ne démontre pas avoir effectué une recherche sérieuse d’aménagement de poste dans le respect des préconisations médicales. En l’espèce, le médecin du travail avait préconisé le reclassement sur un poste aménagé à temps très partiel, en télétravail, ne comportant aucune nécessité de participer à des réunions ou de se déplacer dans les locaux professionnels. Il a été considéré que l’employeur ne pouvait pas arguer que la mise en place du télétravail était impossible en se réfugiant derrière le fait qu’un accord national était en cours de négociation et non finalisé, alors, d’une part, que l’absence de protocole en vigueur n’interdit pas de rechercher des solutions originales adaptées à la situation spécifique d’un salarié et que, d’autre part, le protocole ultérieurement adopté, s’il envisageait la possibilité d’un télétravail sur deux jours maximum, prévoyait également des dérogations pour les salariés en situation de handicap, sur préconisation du médecin du travail et en impliquant les représentants du personnel. L’employeur ne peut pas non plus refuser le reclassement au motif que le salarié n’avait pas les compétences techniques et notamment informatiques pour télétravailler, sans apporter le moindre élément probant à cet égard. Il en est de même de ses allégations quant à la « sécurité managériale et informatique », celui-ci ne justifiant pas d’une impossibilité technique d’un télétravail sécurisé. Sur ces deux derniers points, la cour d’appel a rappelé que l’employeur avait la possibilité de solliciter l’aide de l’Agefiph, ce qu’il n’avait pas fait (CA Poitiers 9-7-2020 no 18/00813).
En conclusion, le rôle du SPST et du médecin du travail, tant sur le plan collectif qu’individuel, lors de la mise en place du télétravail et de son suivi apparaît primordial. Même si les accords d’entreprise se multiplient avec un plus grand engouement pour le télétravail, insistons sur le fait qu’ils ne lient pas le médecin du travail quant à ses propositions individuelles d’adaptation du poste de travail d’un salarié.
Déclaration de liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
- 1.enquête Dares, Février 2022 : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/ba3a10f85a9474eff77ca3ef0d494c74/Dares_Acemo-covid_Synthese_fevrier_2022.pdf.
- 2.LOI n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail.
- 3.https://www.inrs.fr/risques/teletravail/ce-qu-il-faut-retenir.html.
- 4.https://www.anact.fr/le-teletravail-ca-sorganise.
- 5.Haute Autorité de Santé: Santé et maintien en emploi: prévention de la désinsertion professionnelle des travailleurs, mis en ligne en fev. 2019: https://www.has-sante.fr/jcms/c_2903507/fr/sante-et-maintien-en-emploi-prevention-de-la-desinsertion-professionnelle-des-travailleurs.
- 6.Accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 pour une mise en œuvre réussie du télétravail: https://www.fntp.fr/sites/default/files/content/26112020_ani_teletravail.pdf.
