« Il y a un médecin qui ne prend pas l’avant-scène […] de la promotion des vaccins et des campagnes de santé publique, et on dirait bien que ce n’est nul autre que le médecin hygiéniste en chef, qui pourrait se tenir ici chaque semaine pour présenter des mises à jour1. »
Ces propos tenus en décembre 2022 par le Dr Adil Shamji, porte-parole du Parti libéral de l’Ontario en santé, auraient facilement pu être pris allègrement comme du jeu politique. Ce que j’y ai vu, cependant, n’était qu’un autre exemple déplorable de manque de collégialité manifesté en public par un médecin à l’endroit d’un autre. Cette fois-ci, la cible était le Dr Kieran Moore, un médecin et fonctionnaire qui a reçu une formation spécialisée, qui est investi d’un mandat et qui est habilité à décider de la meilleure manière de protéger la santé des Ontariens et des Ontariennes.
Malheureusement, ceci est loin d’être un cas isolé au Canada.
La pandémie a certes infligé à la communauté médicale une fatigue extrême et une profonde frustration, qui font que nous ne nous montrons pas toujours à notre meilleur. Je me console en me rappelant que la plupart des médecins se sont serré les coudes durant cette période critique. Beaucoup ont remplacé leurs collègues tombés malades et ont mis leur énergie et leurs talents au profit des interventions d’urgence et des efforts de vaccination.
Pourtant, il est indéniable que la collégialité fait défaut au moment où nous en avons le plus besoin.
Durant la pandémie, j’ai été témoin de la façon dont des médecins de santé publique, chargés de conseiller les élus, ont été pris à partie simplement parce qu’ils sont devenus des figures publiques. Certains collègues médecins d’autres domaines ont formulé les critiques les plus virulentes, exprimant impitoyablement leurs opinions, parfois incendiaires, sur les médias sociaux et traditionnels, martelant leurs propos lorsqu’ils estimaient ne pas avoir été entendus.
Un grand nombre de ces médecins, précisons-le, ne jouaient pas un rôle de premier plan dans la lutte contre la pandémie et n’étaient pas des spécialistes de la santé publique. Or, cela ne les a pas empêchés d’émettre leurs critiques sans réfléchir aux conséquences.
Malgré ces propos dérangeants qui deviennent plus courants, je me réjouis que de tels exemples d’incivilité aient été contrebalancés par des cas beaucoup plus nombreux de collaboration respectueuse entre médecins et responsables de la santé publique afin d’atteindre des objectifs communs. À vrai dire, ma décision de renouer avec le leadership en médecine de famille a été en partie motivée par le désir de me soustraire à cet interminable tourbillon de négativité. Malheureusement, mon rôle m’a rappelé à quel point le manque de collégialité affecte les médecins de famille au Canada, et exacerbe l’épuisement et le ressentiment qu’ils éprouvent.
Certains exemples sont publics, comme lorsque le Dr Bob Bell, chirurgien orthopédique et ancien sous-ministre de la Santé en Ontario, a livré une analyse excessivement simpliste des problèmes d’accès aux soins primaires lors d’un balado diffusé dans tout le pays en 20222. Le Dr Bell a alors affirmé que les médecins de famille « ne sont peut-être pas au cabinet autant que leurs patients le souhaitent ».
D’autres exemples sont insidieux et constituent une source d’irritation quotidienne. En effet, de nombreux membres du CMFC m’ont personnellement rapporté qu’en plus de fardeaux écrasants—comme les piles de paperasse non clinique qui accaparent une grande partie de leurs journées—ils voient de plus en plus de patients qui leur sont retournés par d’autres spécialistes pour des examens et des tests qui sont censés faire partie du champ d’exercice de leurs collègues. Et ce, alors que nous sommes confrontés à une crise sans précédent des ressources humaines en santé dans nos communautés, en particulier dans les régions rurales et éloignées.
Il nous faut revenir à l’essentiel.
En tant que communauté, les médecins doivent se soutenir mutuellement et essayer de se rendre la vie plus facile. Nous devons faire preuve d’humilité et d’empathie les uns envers les autres au lieu de nous faire des reproches, et traiter avec grand respect et estime l’expertise, l’intellect et le champ de pratique de chacun. Les injures et les attaques ne mènent à rien. Les querelles de clocher ne sont d’aucune utilité. Elles nous empêchent tous d’avancer au détriment de nos patients.
À l’heure où notre système de soins de santé est en proie à une crise, surtout dans les secteurs de la médecine de famille et de la santé publique, qui sont essentiels pour éviter que les gens n’aient recours au système de soins de courte durée, la dernière chose dont nous avons besoin est de nous battre entre nous. Il importe plus que jamais que nous prenions soin les uns des autres pour continuer à prendre soin de nos patients et de nos communautés.
Footnotes
Remerciements
Je remercie Eric Mang pour la révision de cet article.
This article is also in English on page 146.
Références à la page 146.