Confirmer la compétence en médecine et en chirurgie a toujours représenté un défi; c’est pourquoi l’évaluation de la compétence des médecins en exercice peut être un sujet délicat. Les programmes de reconnaissance des compétences comme celui du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et certains autres collèges provinciaux ont été proposés et souvent adoptés comme confirmation de la compétence en chirurgie. Cependant, aucun programme ne peut représenter un outil d’évaluation exact des connaissances et de la pratique médicales.
Il existe de structures externes pour évaluer la compétence médicale de façon rétrospective. La patientèle peut faire un signalement au conseil d’administration d’un hôpital ou directement à une association médicale ou à une autorité réglementaire. Dans tous les cas, les plaintes sont prises au sérieux. Les poursuites judiciaires pour faute professionnelle, bien que draconienne, ont aussi été employées par la patientèle pour faire émettre un jugement sur la compétence d’un médecin aux yeux de la cour. Par exemple, dans le cas de Dumesnil c. Dr Jacob au Manitoba1, la Cour d’appel a ordonné un nouveau procès dans un cas de plainte pour faute professionnelle, dans lequel le juge du procès précédent avait conclu que le médecin — un chirurgien généraliste en milieu communautaire possédant une certaine formation orthopédique — avait respecté la qualité de soins attendue. Le juge avait établi que le médecin n’était pas soumis à des normes de soins aussi élevées qu’un chirurgien orthopédiste spécialiste, en particulier un traumatologue. Les soins avaient été prodigués dans un centre situé à plus de 100 km de Winnipeg, où exercent la plupart des traumatologues orthopédiques. Il est intéressant de noter que la Cour d’appel a ensuite statué sur la nécessité d’élever les normes de soins à un niveau s’approchant de ce qu’on attend d’un médecin pratiquant dans un centre hospitalier universitaire. Cependant, il reste difficile de déterminer si les complications et les issues vécues par la plaignante à la suite de l’intervention auraient été différentes dans un autre contexte, par exemple dans un centre orthopédique universitaire. Cela dit, le présent cas démontre qu’il existe une crise concernant la prestation de soins chirurgicaux au Canada, qu’elle soit imminente ou actuelle.
Ces lacunes sont particulièrement criantes dans les zones rurales et éloignées du pays. La cohorte précédente de chirurgiennes et chirurgiens généralistes disposés à pratiquer un ensemble diversifié de compétences est vieillissante et en voie de disparition. Les cas comme celui décrit plus haut seront traités moins souvent en milieu rural à l’avenir. Au Canada, la formation en chirurgie se donne habituellement dans les centres de santé universitaires ou dans des hôpitaux affiliés en milieu urbain, où la plupart des praticiennes et des praticiens sont des spécialistes. L’Association canadienne des directeurs de la recherche en chirurgie a mis en lumière cette réalité dans un article du JCC publié en 20022. Typiquement, les hôpitaux communautaires en milieu rural pouvaient compter sur des chirurgiennes et des chirurgiens possédant un vaste éventail de compétences chirurgicales qui ne se limitaient pas strictement à une seule spécialité. Les professionnels de la chirurgie générale des centres ruraux possédaient notamment des compétences en chirurgie orthopédique, en neurochirurgie, en gynécologie, en urologie, en chirurgie vasculaire, en chirurgie thoracique, et en otorhinolaryngologie2. En raison de cette décision, le remplacement des chirurgiennes et des chirurgiens en milieu rural sera dorénavant plus difficile.
Nous savons qu’il est urgent d’assurer les remplacements en milieu rural. Plus précisément, Ma et collègues3 ont analysé ces besoins dans un article du JCC publié en 2023 et ont prédit que 370 chirurgiennes et chirurgiens devront être recrutés en milieu rural durant la prochaine décennie. Cela signifie, selon les données démographiques actuelles, que 43 % des diplômées et diplômés en chirurgie générale au Canada devront pratiquer en milieu rural. Actuellement, entre 18 % et 30 % de la population canadienne vit en zone rurale, où exercent seulement 8 % des chirurgiennes et chirurgiens généralistes4. On estime qu’une proportion aussi élevée que le tiers de ces chirurgiennes et chirurgiens ruraux auraient un champ de compétences en chirurgie générale considéré comme étant non traditionnel. On considère généralement que ces personnes font du bon travail.
Il a été démontré que la présence d’une chirurgienne ou d’un chirurgien en milieu rural ou éloigné améliorait les résultats à la suite d’un trauma et l’efficacité du transfert d’urgence vers les soins tertiaires4. Dans ces communautés, la patientèle présentait également des problèmes de santé dont la prise en charge couvre plusieurs disciplines, ce qui signifie que plusieurs personnes traitées dans des centres ruraux obtenaient des soins appropriés correspondant aux capacités du milieu. Il est impératif de ne pas interférer avec ce système de soins, mais plutôt de renforcer son bon fonctionnement. C’est pourquoi le recrutement de chirurgiennes et de chirurgiens aux intérêts multiples et aux compétences diversifiées est important. Les mesures d’appui et de perfectionnement des compétences devraient servir à outiller les chirurgiennes et les chirurgiens ruraux, et non à les décourager. Est-ce qu’une chirurgienne ou un chirurgien généraliste peut prodiguer des soins spécialisés en orthopédie? Probablement pas, pour les cas techniquement plus difficiles. Cela dit, ce ne sont évidemment pas toutes les fractures qui sont trop difficiles ou trop techniques pour une chirurgienne ou un chirurgien qui intègre le boulonnage dans sa pratique. Est-ce qu’une chirurgienne rurale ou un chirurgien rural peut avoir une influence positive sur les issues de la patientèle sous leurs soins? D’un point de vue scientifique, absolument. Nous devons améliorer le perfectionnement des compétences pour que ces chirurgiennes et chirurgiens soient à l’aise de traiter dans des délais raisonnables tous les problèmes de santé courants au sein de leurs collectivités. Une certaine part de cette responsabilité incombera au Collège royal, alors qu’une autre relèvera plutôt des organismes de réglementation. Quant à nous, nous nous devons de faire preuve de soutien envers nos collègues.
Footnotes
Les opinions exprimées dans cet éditorial sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celles de l’Association médicale canadienne ou ses filiales.
Intérêts concurrents: E.J. Harvey est cofondateur et responsable de l’innovation médicale de NXTSens Inc.; cofondateur et médecin-chef de MY01 Inc. et de Sensia Diagnostics Inc.; et cofondateur et directeur de Strathera Inc. Son établissement bénéficie du soutien de J et J DePuy Synthes, Stryker, MY01 et Zimmer. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Références
- 1.Dumesnil v Dr Jacob, 2024 MBCA 4.
- 2.Pollett WG, Harris KA. The future of rural surgical care in Canada: a time for action. Can J Surg 2002;45:88–9. [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 3.Ma O, Verhoeff K, Purich K, et al. Characterizing Canadian rural general surgeons: trends over time and 10-year replacement needs. Can J Surg 2023;66:E439–47. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 4.Glass L, Davidson M, Friedrich E, et al. Defining the Canadian rural general surgeon. Can J Surg 2024;67:E129–41. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
