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. 2025 Jun 9;197(22):E629–E632. [Article in French] doi: 10.1503/cmaj.241332-f

Blastomycose du système nerveux central chez un enfant immunocompétent

Hassan Jamal 1,, Conor Broderick 1, Manal Tadros 1, Irene Lara-Corrales 1, Ari Bitnun 1
PMCID: PMC12154380  PMID: 40490278

Points clés

  • Blastomyces dermatitidis et Blastomyces gilchristii, les champignons dimorphes responsables de la blastomycose, sont endémiques dans certaines régions du Canada, en particulier l’Ontario, le Québec, le Manitoba et la Saskatchewan.

  • Le diagnostic différentiel de lésions cutanées purulentes à évolution rapide doit inclure la blastomycose lorsque les résultats des cultures bactériennes sont négatifs ou que les lésions ne répondent pas à l’antibiothérapie standard.

  • L’imagerie cérébrale doit faire partie du bilan de la blastomycose disséminée, même en l’absence de signes ou de symptômes neurologiques.

  • Après la phase initiale de 4–6 semaines d’amphotéricine B administrée par voie intraveineuse, on recommande le passage à un traitement par antifongique azolé sous forme orale d’une durée minimale de 12 mois, le voriconazole étant le médicament préconisé en cas d’atteinte du système nerveux central.

Un garçon de 5 ans vivant dans une zone rurale du centre-est de l’Ontario a été orienté vers le service de dermatologie d’urgence en raison de douloureuses lésions papulopustuleuses et nodulaires apparues au cours des 9 jours précédents sur le tronc, les membres et le visage. Les 7 lésions, qui étaient d’abord de petites papules, avaient progressivement grossi et suppuré. Au moment de la consultation, la plus grosse se présentait comme un nodule d’environ 2 cm avec une dépression centrale (figure 1A); les autres lésions étaient plus petites (0,5–1,5 cm), et certaines libéraient activement du pus (figure 1B).

Figure 1 :

Figure 1 :

(A) Nodule érodé avec pustules superficielles au coude gauche et (B) nodule ulcéré d’où s’échappe un écoulement purulent au milieu de la paroi thoracique antérieure, tous deux chez un garçon de 5 ans atteint de blastomycose.

Au cours du mois précédent, le patient avait aussi souffert d’une toux persistante, de 2 brefs épisodes fébriles et d’une légère léthargie. Trois semaines avant l’apparition des lésions cutanées, il avait reçu 2 doses de dexaméthasone par voie orale pour traiter un croup soupçonné, sans amélioration. Deux jours après l’apparition des lésions, on avait amorcé un traitement par azithromycine en raison d’un soupçon clinique de pneumonie. Deux jours plus tard, compte tenu de la nature pustuleuse des lésions cutanées, on avait remplacé l’azithromycine par de l’amoxicilline–acide clavulanique sous forme orale. Six jours après l’apparition des lésions, une radiographie pulmonaire révélait un infiltrat du lobe inférieur gauche et un petit épanchement pleural. Un hémogramme réalisé à ce moment-là montrait une numération leucocytaire de 10,1 (plage normale 5–13,2) × 109/L avec une formule normale, une numération plaquettaire de 457 (plage normale 197–382) × 109/L et un taux d’hémoglobine de 125 (plage normale 96–128) g/L. Le taux de protéine C réactive à 14,4 mg/L était légèrement élevé (normale < 5). Le traitement de 7 jours par amoxicilline-acide clavulanique s’est achevé sans effet sur les lésions cutanées.

Les antécédents médicaux du patient n’avaient de notable qu’une maladie respiratoire réactive traitée par fluticasone (250 μg en 2 inhalations 2 fois par jour). L’enfant n’avait aucun antécédent d’infections graves ou récurrentes, et ses vaccins étaient à jour. On ne signalait ni voyage récent, ni contact avec des malades, ni symptômes chez ses proches. Les 2 chiens de la maisonnée étaient en bonne santé, et on ne rapportait pas d’autre rencontre avec des animaux. Environ 3 mois avant l’apparition des lésions cutanées, la famille avait réalisé des travaux de terrassement devant la maison.

Après 5 jours de traitement par amoxicilline–acide clavulanique, le patient a été vu à notre clinique de dermatologie, où les équipes de dermatologie et de maladies infectieuses l’ont évalué. On a procédé à une biopsie à l’emporte-pièce sur la lésion au coude. Quatre jours après cette biopsie, les résultats histopathologiques révélaient la présence de levures bourgeonnantes à base large (diamètre 10–12 μm) avec parois à double contour compatible avec une infection à Blastomyces (figure 2), ainsi que d’un infiltrat inflammatoire aigu marqué.

Figure 2 :

Figure 2 :

Échantillon de biopsie cutanée coloré à la méthénamine d’argent de Grocott (grossissement × 1000) montrant des levures bourgeonnantes rondes ou ovales à base large, de 8–15 μm de diamètre, avec parois à double contour.

La culture fongique de la lésion cutanée a permis d’isoler un champignon blanc-beige après 5 jours d’incubation. Compte tenu des résultats histopathologiques et des caractéristiques de la croissance du champignon, l’isolat a été transmis à notre laboratoire provincial en tant qu’agent pathogène du groupe de risque 3. L’identité du champignon a été confirmée par la suite à l’aide des méthodes phénotypiques et moléculaires : il s’agissait bien de Blastomyces dermatitidis ou de Blastomyces gilchristii. Les résultats des cultures bactériennes et mycobactériennes étaient négatifs.

À la lumière des résultats histopathologiques préliminaires, nous avons hospitalisé le patient en pédiatrie et instauré un traitement intraveineux par amphotéricine B liposomale à raison de 5 mg/kg toutes les 24 heures. Malgré l’absence de symptômes neurologiques ou de résultats concluants aux examens neurologique et musculosquelettique, nous avons prescrit un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) du cerveau et de la colonne vertébrale. L’IRM en séquence FLAIR (inversion-récupération avec atténuation des fluides) pondérée en T2 a mis en évidence de multiples petits foyers bilatéraux d’hypersignaux dans la substance blanche, vraisemblablement liés à une blastomycose disséminée (figure 3). Nous n’avons constaté aucun signe radiologique d’atteinte médullaire. Les autres examens à la recherche d’une blastomycose disséminée, notamment un examen ophtalmologique et une échographie abdominale, n’ont révélé aucune anomalie. Les taux sériques d’immunoglobulines, l’indice d’explosion oxydative des neutrophiles et la cytométrie en flux (cellules T, cellules B, cellules NK) étaient normaux.

Figure 3 :

Figure 3 :

Clichés d’imagerie par résonance magnétique axiale du cerveau en séquence FLAIR (inversion-récupération avec atténuation des fluides) pondérée en T2 montrant de multiples foyers d’hypersignaux dans (A) le lobe occipital droit et la capsule interne gauche; (B) le pont de Varole droit; (C) les lobes pariétal droit, frontal droit et occipitaux bilatéraux; et (D) le cervelet bilatéral.

Nous avons autorisé le patient à poursuivre le traitement intraveineux par amphotéricine B liposomale à domicile, avec un suivi des électrolytes bihebdomadaire à l’hôpital communautaire local. Après 6 semaines d’amphotéricine B liposomale, les lésions cutanées montraient une régression appréciable (figure 4), et nous sommes passés à un traitement de relais par voriconazole sous forme orale à raison de 9 mg/kg toutes les 12 heures. Des dosages sanguins ont confirmé des concentrations thérapeutiques de voriconazole. La famille a été informée des effets indésirables potentiels de cet antifongique, notamment la photosensibilité cutanée, les troubles visuels et les anomalies des tests de la fonction hépatique.

Figure 4 :

Figure 4 :

Évolution de la lésion au coude gauche du patient : (A) 3 jours avant l’évaluation initiale en dermatologie, (B) au moment de la consultation, (C) avant le traitement par amphotéricine B liposomale (3 jours après la consultation), et (D) après 2 mois de traitement, l’amélioration clinique du nodule suppurant est évidente.

Après 2 mois de traitement, la radiographie pulmonaire de contrôle indiquait une amélioration radiologique. Le patient ne toussait plus et son examen neurologique demeurait normal, sans signes cliniques de convulsions. Nous n’avons observé aucune nouvelle lésion cutanée. Un an après le début du traitement, un examen d’IRM cérébral montrait une résolution complète des lésions cérébrales. Le traitement antifongique de 13 mois du patient a pris fin.

Discussion

Blastomyces dermatitidis et B. gilchristii sont des champignons dimorphes endémiques dans certaines régions du Canada, en particulier l’Ontario, le Québec, le Manitoba et la Saskatchewan. L’infection est hyperendémique dans le nord-ouest de l’Ontario. Son incidence annuelle est de 0,45–0,8 par 100 000 personnes. Ces dernières années, on observe une tendance à la hausse du nombre de cas de la maladie1, ainsi qu’une expansion géographique au-delà de son aire de répartition historique, laquelle s’étend maintenant plus à l’ouest aux États-Unis et au Canada2. Le taux de mortalité totale chez les enfants atteints de blastomycose varie de 0 % à 4,4 %3,4.

L’infection se contracte généralement en inhalant des spores libérées par du sol remué. Les facteurs de risque comprennent le fait de résider dans une région endémique et les activités qui augmentent le risque d’exposition à un sol remué, comme le camping, les travaux de construction et autres situations similaires5. Dans le cas de notre patient, des travaux de terrassement près de la maison et le fait qu’il jouait souvent à cet endroit dans les mois précédant l’apparition des symptômes offrent l’explication la plus plausible de l’infection.

Le scénario clinique classique de la blastomycose est celui d’une personne d’âge scolaire ou au début de l’âge adulte atteinte d’une pneumonie persistante ou d’une toux qui ne répondent ni à l’antibiothérapie standard ni au traitement habituel de l’asthme. La symptomatologie recoupe souvent celle d’autres infections, comme la tuberculose, certaines infections bactériennes ou d’autres mycoses dimorphes comme l’histoplasmose et la coccidioïdomycose. Plus rarement, une affection cutanée localisée peut résulter d’une inoculation directe de la peau5,6. La blastomycose cutanée commence généralement par une papule, laquelle évolue vers une lésion verruqueuse ou ulcéreuse. Les lésions verruqueuses ont un contour surélevé, mais bien délimité, avec une croûte, tandis que les ulcères ont un contour surélevé, mais une base humide5. Des lésions cutanées similaires peuvent provenir d’une affection non infectieuse, la dermatose neutrophilique aiguë fébrile (ou syndrome de Sweet), qui se caractérise par des lésions pustuleuses douloureuses sur le visage, le cou ou le tronc, souvent associées à de la fièvre et à des marqueurs inflammatoires élevés5. L’érythème noueux, qui peut coexister avec des pathologies pulmonaires infectieuses et non infectieuses, se manifeste aussi sous forme de nodules cutanés, mais, en général, ces derniers ne s’ulcèrent pas et ne suppurent pas5.

Les cas d’infection disséminée (extrapulmonaire) représentaient 30 % des cas étudiés dans une vaste revue rétrospective portant sur 143 personnes âgées de 0–79 ans atteintes de blastomycose7. Selon une étude pédiatrique menée auprès de 114 enfants infectés, 21 % présentaient une maladie extrapulmonaire4. Les sites extrapulmonaires les plus communs étaient la peau, les os, l’appareil génito-urinaire et le système nerveux central (SNC)5. Notre patient avait présenté un prodrome respiratoire 1 mois avant l’apparition des lésions cutanées, ce qui suggère une blastomycose pulmonaire primaire suivie d’une dissémination. Une telle évolution concorde avec des rapports précédents qui associaient la durée prolongée des symptômes respiratoires avant le diagnostic à un risque accru de dissémination7. Parmi les autres facteurs prédisposant à la dissémination, mentionnons le diabète mellitus et les états d’immunodéficience, par exemple, une infection à VIH avancée, une transplantation d’organe, une chimiothérapie ou l’administration d’immunosuppresseurs, comme les inhibiteurs du facteur de nécrose tumorale α ou les corticostéroïdes à forte dose5.

Les manifestations cliniques de l’atteinte du système nerveux central (SNC) sont non spécifiques; il peut s’agir de céphalées, de raideur nucale, d’altération de l’état mental, de déficits neurologiques focaux ou de convulsions3,5. Comme on l’a vu chez notre patient, l’atteinte du SNC peut aussi être asymptomatique. Le pourcentage d’atteintes du SNC chez les personnes atteintes d’une maladie disséminée va de 1,4 % à 30 %3,4,7.

On peut poser un diagnostic préliminaire de blastomycose par microscopie directe des prélèvements cliniques. Pour confirmer le diagnostic, la culture fongique reste la méthode de référence; elle peut se faire à partir d’expectorations, d’échantillons de lavages bronchoalvéolaires, de prélèvements à l’aiguille fine ou de tissu frais obtenu par biopsie6. La sensibilité déclarée du test de dépistage des antigènes urinaires va de 84 % à 93 %4,6, mais sa réactivité croisée avec d’autres infections fongiques (p. ex., histoplasmose, paracoccidioïdomycose, talaromycose, cryptococcose, aspergillose) en limite l’utilité5,6. Les analyses sérologiques présentent peu d’intérêt à cause de leur faible sensibilité (65 %–80 %)6.

Nous avons traité notre patient selon les recommandations de l’Infectious Diseases Society of America sur la blastomycose du SNC, soit un traitement intraveineux initial de 6 semaines par amphotéricine B liposomale, suivi d’un traitement par antifongique azolé sous forme orale, pour une durée totale de 13 mois8. Nous avons choisi le voriconazole en raison de sa pénétration efficace dans le SNC — la disponibilité d’un dosage thérapeutique dans notre établissement permettant d’optimiser la posologie en temps réel — et de publications scientifiques préconisant le voriconazole plutôt que d’autres azoles dans le traitement de la blastomycose du SNC9,10. Le fluconazole, l’itraconazole8 ou l’isavuconazole11 constituent d’autres options.

Ce cas souligne l’importance de maintenir un fort soupçon clinique de blastomycose afin d’assurer un diagnostic rapide, un traitement en temps opportun et la prévention des conséquences d’une dissémination. Les indices diagnostiques importants dans notre cas comprenaient l’évolution rapide des lésions cutanées, les résultats négatifs des cultures bactériennes provenant de la biopsie et le fait que les lésions cutanées et la pneumonie ne répondaient pas aux antibiotiques habituels. Comme l’illustre ce cas, le SNC peut être touché même en l’absence de symptômes neurologiques5. On doit donc envisager sérieusement un examen d’imagerie du SNC dans tous les cas de blastomycose disséminée.

Remerciements

Les auteurs et autrices expriment leur gratitude au Dr Haiying Chen, du Département de médecine de laboratoire et de pathobiologie pour son soutien inestimable au cours du processus diagnostique. Nous remercions également le patient et la personne aidante pour leur coopération et leur confiance tout au long du processus diagnostique et du traitement.

Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.241332

Footnotes

Intérêts concurrents : Aucun déclaré.

Cet article a été révisé par des pairs.

Les auteurs ont obtenu le consentement des parents du patient.

Collaborateurs : Toutes les autrices et tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception des travaux. Hassan Jamal et Conor Broderick ont rédigé l’ébauche du manuscrit. Toutes et tous ont participé à la révision critique de son contenu intellectuel important, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à la publication et endossent l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.

Traduction et révision : Équipe Francophonie de l’Association médicale canadienne

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