Points clés
De rares cas du syndrome de fuite capillaire systémique (SFCS) après un vaccin contre le SRAS-CoV-2 à vecteur adénoviral ou à ARNm ont été recensés dans le monde. Certains sont survenus chez des patients ayant des antécédents de SFCS.
Le SFCS est une maladie immunitaire potentiellement mortelle caractérisée par des épisodes d’hyperperméabilité endothéliale vasculaire transitoires et récurrents souvent déclenchés par une infection des voies respiratoires supérieures d’origine virale.
L’hypotension, l’hémoconcentration, l’hypoalbuminémie et l’anasarque sont des symptômes caractéristiques du SFCS, en raison de la fuite importante de liquides et de protéines vers les tissus périphériques.
Le SFCS aigu peut rapidement entraîner un choc et la défaillance de plusieurs organes. Son traitement vise surtout à corriger l’hypovolémie et à éviter les lésions aux organes vitaux; l’administration mensuelle prophylactique d’immunoglobulines peut prévenir la survenue de nouveaux épisodes.
Les vaccins contre le SRAS-CoV-2 à vecteur adénoviral sont déconseillés aux personnes ayant des antécédents de SFCS.
Un homme de 66 ans est venu consulter au service des urgences parce qu’il présentait un malaise généralisé, des nausées, une douleur thoracique et des étourdissements depuis la veille. À l’examen, sa température était de 36,5 °C, sa pression artérielle, de 112/78 mm Hg, sa fréquence cardiaque, de 112 battements/min et sa saturation en oxygène, de 96 % à l’air ambiant. Sa fréquence respiratoire était normale. Il a indiqué ne pas avoir d’allergies, ne pas consommer de drogues ou d’alcool de façon inappropriée et ne pas prendre de médicaments ni de produits en vente libre. Il avait reçu sa première dose du vaccin ChAdOx1 nCOV-19 (Oxford–AstraZeneca) 2 jours plus tôt.
Les antécédents médicaux du patient comprenaient une gammapathie monoclonale à signification indéterminée (immunoglobuline G κ [IgG κ]), ainsi qu’un arrêt cardiaque en 2017. À l’époque, il avait présenté une faiblesse généralisée et un épisode de syncope. Comme son taux d’hémoglobine était élevé (210 g/L [plage normale 130–180 g/L]), on avait soupçonné une polyglobulie et réalisé une phlébotomie. Peu après, le patient était devenu hypotendu et avait présenté un arrêt cardiaque caractérisé par la présence d’une activité électrique sans pouls. Il avait été réanimé, s’était rétabli sans déficits importants et avait reçu son congé 5 semaines plus tard. Il avait obtenu un résultat positif au dépistage de l’influenza de type A, et on avait estimé que le choc était attribuable à l’infection virale.
À l’examen actuel, le patient présentait un taux d’hémoglobine considérablement élevé (224 g/L), une hypoalbuminémie (28 g/L [plage normale 34–55 g/L]) et un haut taux de créatinine (133 μmol/L [plage normale 62–115 μmol/L]). Ses paramètres de coagulation, ses enzymes cardiaques et hépatiques et ses taux de protéine C-réactive et de procalcitonine étaient normaux. Ses résultats au dépistage du SRAS-CoV-2 et au dépistage élargi des virus respiratoires étaient négatifs. Enfin, aucune particularité n’a été constatée à la radiographie thoracique, à la tomodensitométrie abdominale, à l’électrocardiographie et à l’échographie ciblée en traumatologie (tableau 1 et tableau 2).
Tableau 1:
Analyse de laboratoire | Résultats | ||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|
Admission | 4 h | 12 h | 24 h | 48 h | 72 h | 96 h | |
Hémoglobine, g/L (plage normale 130–180 g/L) | 224 | 226 | 223 | 184 | 142 | 131 | 136 |
Hématocrite, % (plage normale 39 %–52 %) | 65 | 68,8 | 68 | 54,8 | 41,9 | 38,4 | 40 |
Leucocytes, × 109/L (plage normale 4,4–11,0 × 109/L) | 14,5 | 19,7 | 24,5 | 21,5 | 11,4 | 7,6 | 6,9 |
Neutrophiles, × 109/L (plage normale 1,8–7,0 × 109/L) | 10,5 | 15,7 | 21,3 | 16,7 | 7,6 | 4,6 | 4,3 |
Lymphocytes, × 109/L (plage normale 1,0–4,0 × 109/L) | 2,4 | 2,2 | 2,4 | 3,2 | 2,5 | 2,1 | 2 |
Plaquettes, × 109/L (plage normale 140–440 × 109/L) | 222 | 237 | 251 | 202 | 173 | 164 | 174 |
Albumine, g/L (plage normale 34–55 g/L) | 28 | N. R. | N. R. | 25 | N. R. | N. R. | 38 |
Créatinine, μmol/L (plage normale 62–115 μmol/L) | 133 | 133 | 159 | 122 | 90 | 71 | 79 |
Lactate, mmol/L (plage normale 0,5–2,2 mmol/L) | N. R. | N. R. | 3,8 | 3,3 | 1,1 | N. R. | N. R. |
D-dimères, μg/L (plage normale 0–500 μg/L) | 353 | N. R. | N. R. | N. R. | N. R. | N. R. | N. R. |
Temps de prothrombine, RIN (plage normale 0,9–1,1) | 1,1 | N. R. | N. R. | N. R. | N. R. | N. R. | N. R. |
Temps de céphaline activée, s (plage normale 20,1–26,4 s) | 28,4 | N. R. | N. R. | N. R. | N. R. | N. R. | N. R. |
Remarque: N. R. = non réalisé, RIN = ratio international normalisé.
Tableau 2:
Trouble | Diagnostic différentiel | Raisons d’exclusion |
---|---|---|
Polyglobulie | ||
Polyglobulie primaire |
Innée: Malformation cardiaque congénitale |
|
Acquise: Érythrémie |
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Leucémie |
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Polyglobulie secondaire | Hypoxie chronique ou anomalies cardiopulmonaires |
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Tumeurs sécrétant de l’érythropoïétine |
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Polyglobulie relative | Déshydratation Syndrome de fuite capillaire |
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Hypoalbuminémie | Syndrome néphrotique |
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Mauvaise alimentation ou cirrhose du foie |
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Hypotension et choc | Sepsis |
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Choc cardiogénique ou obstructif |
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Anaphylaxie |
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Œdème de Quincke héréditaire | Activité normale de la C4 estérase (0,20 g/L [plage normale 0,13–0,40 g/L]) et de la C1 estérase (0,97 g/L [plage normale 0,69–1,42 g/L]) |
|
Autres maladies exclues | Réaction à un médicament anticancéreux Lymphohistiocytose hémophagocytaire Fièvre hémorragique virale Empoisonnement à la suite d’une morsure de serpent |
Absence de facteurs épidémiologiques habituellement associés à ces diagnostics |
Remarque: IgG = immunoglobulines G, RT–PCR = test d’amplification en chaîne par polymérase couplé à une transcription inverse, TDM = tomodensitométrie.
Malgré la faible probabilité de processus infectieux, nous avons amorcé l’administration intraveineuse de liquides ainsi qu’une antibiothérapie empirique de pipéracilline/tazobactam. Douze heures plus tard, le patient avait reçu plus de 6 L de liquides, mais sa pression artérielle était passée à 93/60 mm Hg et sa fréquence cardiaque, à 125 battements/min. La polyglobulie était toujours présente (taux d’hémoglobine de 223 g/L). Le patient a été hospitalisé à l’unité des soins intensifs (USI). Vu l’absence d’autres causes pouvant expliquer le choc, nous avons diagnostiqué un syndrome de fuite capillaire systémique (SFCS).
Dans les 24 heures suivant son admission, le patient a reçu plus de 10 L de liquides par voie intraveineuse; or, ses taux d’hémoglobine et d’acide lactique sont demeurés élevés (tableau 1), et son taux de créatinine a continué d’augmenter. Sa pression veineuse centrale était stable, oscillant entre 0 et 1 mm Hg. Il n’a pas eu besoin de vasopresseurs; seule une oxygénothérapie transitoire a été nécessaire. Le patient a développé une anasarque importante et pris 15 kg. Son état hémodynamique a fini par s’améliorer, ses résultats de laboratoire sont redevenus normaux, et le patient a obtenu son congé 4 jours plus tard.
Diverses causes pouvant expliquer l’hypotension, la polyglobulie et l’hypoalbuminémie ont été envisagées, mais elles ont toutes été éliminées (tableau 2). Comme le SFCS est apparu 2 jours après la vaccination contre le SRAS-CoV-2 et qu’aucun autre déclencheur n’a été relevé, nous avons soupçonné qu’il s’agissait d’une réaction indésirable au vaccin ChAdOx1 nCOV-19, réaction que nous avons déclarée au bureau local de santé publique.
Interprétation
Le SFCS est un trouble rare associé à des épisodes récurrents d’extravasation de liquides et de protéines dans l’espace interstitiel1,2. À ce jour, moins de 500 cas ont été signalés. Le SFCS peut être difficile à diagnostiquer parce que ses manifestations sont souvent précédées de prodromes pseudogrippaux et qu’on peut le confondre avec un sepsis. Il n’existe pas non plus de critères diagnostiques précis. Une fois toutes les autres causes de choc éliminées, la triade classique combinant hypotension, hémoconcentration et hypoalbuminémie vient appuyer le diagnostic de SFCS2. Associées à un œdème généralisé, ces 3 caractéristiques témoignent de l’hyperperméabilité vasculaire et de l’hypovolémie extrême causées par ce syndrome.
Le processus physiopathologique exact du SFCS est en grande partie inconnu. Une exacerbation est généralement déclenchée par une infection des voies respiratoires supérieures d’origine virale1,3–5. La réponse immunitaire exagérée et la régulation positive des médiateurs inflammatoires et angiogéniques solubles observées durant une crise (poussée) semblent liées à l’hyperperméabilité endothéliale vasculaire2. Une gammapathie monoclonale à signification indéterminée (principalement de type IgG κ) est présente chez 68 %–85 % des patients atteints d’un SFCS, mais le rôle pathogénique des paraprotéines reste à déterminer2. Des rapports de cas font état d’arrêts cardiaques déclenchés par l’influenza de type A chez des patients ayant un SFCS, ce qui n’est pas sans rappeler ce qu’a vécu notre patient en 20175,6. Il est probable que l’arrêt cardiaque vécu à l’époque soit survenu au cours d’un SFCS non diagnostiqué malgré la présence d’une hypoalbuminémie (29 g/L), d’une hémoconcentration et d’une hypovolémie. Un SFCS n’a toutefois jamais été soupçonné avant la présente hospitalisation.
Les expériences quasi fatales de notre patient montrent bien qu’un SFCS non diagnostiqué peut être potentiellement mortel. On estime d’ailleurs que le taux de mortalité à 10 ans associé au SFCS est de 25 %–34 %1,4. Outre le choc et les défaillances rénale et cardiopulmonaire attribuables à la baisse du volume intravasculaire, des thromboembolies et un syndrome des loges peuvent survenir. Le SFCS peut être de grade 1 (hypotension répondant à l’hydratation orale), de grade 2 (administration intraveineuse de liquides sans hospitalisation), de grade 3 (menace pour la vie et hospitalisation sur une USI nécessaire) ou de grade 4 (fatal)1.
Seule la réanimation liquidienne s’est avérée efficace pour freiner ou ralentir la progression d’une poussée de SFCS2. La plupart des épisodes se résorbent d’eux-mêmes en 4 jours1. La fréquence de récurrence du SFCS varie, allant d’une fois par semaine à 1 fois tous les 10 ans. L’administration prophylactique mensuelle d’immunoglobulines par voie intraveineuse peut réduire cette fréquence1,2.
D’après l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 3,8 milliards de doses de vaccins contre le SRAS-CoV-2 ont été administrées dans le monde (en date du 29 juillet 2021; tableau de bord de l’OMS sur la COVID-19 accessible en anglais au https://covid19.who.int). Les effets secondaires du vaccin sont généralement légers et localisés, quoique de rares réactions indésirables graves peuvent survenir (péricardite, myocardite, anaphylaxie, syndrome de Guillain–Barré ou thromboembolies s’accompagnant d’un faible taux de plaquettes, surtout après un vaccin à vecteur adénoviral)7.
En avril 2021, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a signalé 6 cas de SFCS (dont 1 décès) suivant l’administration du vaccin ChAdOx1 nCOV-198. Trois des patients avaient des antécédents de SFCS. Plus de 78 millions de doses de ce vaccin ont été administrées en Europe, où le taux rapporté de SFCS est de 1 cas par 13 millions de doses8. En juin 2021, Santé Canada a signalé le premier cas de SFCS au pays chez 1 personne ayant reçu le vaccin ChAdOx1 nCOV-199. L’Agence de réglementation des médicaments et des produits de santé (MHRA) du Royaume-Uni a fait état de 8 possibles cas de SFCS survenus peu après l’administration de ce vaccin7. Notre patient a obtenu un score d’au moins 4 sur l’échelle Naranjo de probabilité de réaction médicamenteuse indésirable10; il est donc possible que le vaccin ChAdOx1 nCOV-19 ait exacerbé le SFCS.
De nombreux organismes sanitaires ont conclu que bien qu’il soit rare, le SFCS devrait être considéré comme une réaction indésirable grave et potentiellement mortelle au vaccin ChAdOx1 nCOV-19. Ce dernier est aujourd’hui déconseillé aux patients ayant reçu un diagnostic de SFCS7–9. Une recommandation semblable a été faite pour le vaccin Ad26.COV2.S (vaccin à vecteur adénoviral de Johnson & Johnson–Janssen), après que l’EMA ait signalé en juillet 2021 3 cas de SFCS grave, dont 2 décès, potentiellement liés à ce vaccin8.
En juin 2021, une étude de série de cas a indiqué que 3 personnes ont consulté pour un SFCS aigu dans les 2 jours suivant la réception d’un vaccin contre le SRAS-CoV-211. Elles présentaient toutes une gammapathie monoclonale à signification indéterminée et des antécédents de SFCS. Ces 3 personnes avaient reçu des vaccins différents: Ad26.COV2.S, ARNm-1273 (Moderna) et BNT162b2 (Pfizer–BioNTech). À notre connaissance, aucun autre cas de SFCS lié aux vaccins contre le SRAS-CoV-2 à ARNm n’a été signalé, et aucune mise en garde ni recommandation n’a été faite en ce qui a trait au SFCS et aux vaccins ARNm-1273 et BNT162b2. Il reste à déterminer si les exacerbations déclarées ont été provoquées par les vaccins à vecteur adénoviral eux-mêmes ou par l’antigène (protéine de spicule) du SRAS-CoV-2.
Les vaccins à ARNm peuvent tout de même être utilisés chez les patients ayant des antécédents de SFCS si les bienfaits en surpassent les risques. Après la vaccination, les médecins et les patients doivent faire preuve d’une grande vigilance; en effet, une exacerbation peut survenir rapidement et une évaluation urgente pourrait être nécessaire. À notre avis, les patients devraient faire l’objet d’un suivi étroit pendant 7–10 jours après la vaccination. Ce suivi devrait comprendre une surveillance à domicile de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque, du poids et de la diurèse, ainsi qu’une ou 2 mesures des taux d’hémoglobine et d’albumine. Nous recommandons également l’administration prophylactique d’immunoglobulines par voie intraveineuse avant la vaccination, si une administration mensuelle n’a pas déjà lieu.
Conclusion
Il s’agissait ici d’un cas d’exacerbation aiguë du SFCS après l’administration du vaccin ChAdOx1 nCOV-19. Le diagnostic et le traitement rapides du SFCS aigu sont cruciaux. Il faut envisager ce syndrome chez les patients qui viennent consulter et qui présentent un œdème généralisé, un malaise, une hypotension, une hémoconcentration et une hypoalbuminémie peu après avoir reçu un vaccin contre le SRAS-CoV-2, quel qu’il soit. Les antécédents de SFCS constituent aujourd’hui une contre-indication aux vaccins contre le SRAS-CoV-2 à vecteur adénoviral. Les professionnels de la santé devraient signaler tout soupçon de réaction indésirable aux vaccins contre le SRAS-CoV-2 à leur agence de santé publique.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.211212
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Les auteures ont obtenu le consentement du patient.
Contributeurs: Toutes les auteures ont contribué à l’analyse des données et participé à parts égales à la rédaction du manuscrit; elles ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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