Points clés
Des décennies de recherche ont mis en évidence les lacunes de la prestation des soins: de nombreux patients ne reçoivent pas de soins dont les avantages sont bien établis tandis que beaucoup d’autres subissent des traitements inutiles et inefficaces.
Plus de 20 ans d’efforts dans l’application des connaissances pour résoudre les problèmes concomitants de sous-utilisation et de surutilisation généralisées ont abouti à très peu de réussites tangibles.
L’approche traditionnelle de l’amélioration de la qualité des soins de santé se résume à des embellies minimes de la prestation des soins apportant des bénéfices limités, ce qui est inapproprié lors de crises comme celles que nous vivons, qui ont des conséquences importantes sur la santé (pandémie de COVID-19, crise climatique, aggravation constante des inégalités économiques, racisme systématique, épidémie d’opioïdes).
Les efforts d’amélioration de la qualité devraient plutôt viser à accroître la résilience du système de santé et à concevoir de meilleurs modèles de soins.
Des efforts visant à s’attaquer aux déterminants sociaux de la santé permettraient d’améliorer la qualité des soins et la santé des populations plus efficacement que l’application des recommandations issues des lignes directrices en matière de pratique.
En 2001, un rapport déterminant a défini la qualité des soins de santé en fonction de 6 paramètres: sécurité des patients, résultats, rapidité, efficience des soins, priorisation du patient et équité1. Les médecins se concentrent principalement sur les résultats, qui peuvent être définis de manière opérationnelle comme la mesure dans laquelle les patients reçoivent des soins pertinents compte tenu des recommandations des lignes directrices en matière de pratique. On estime qu’environ 50 % seulement des patients reçoivent des soins conformes à ces recommandations2. En outre, les soins prodigués sont souvent « non recommandés », et les tests et traitements effectués n’apportent aucun avantage évident3.
Dans une recherche connexe, la Dre Janet Squires et ses collègues fournissent des estimations plus récentes du problème double de sous-utilisation et de surutilisation des soins au Canada4. À partir de données canadiennes tirées de 174 études publiées entre 2007 et 2021, ces chercheurs concluent que la proportion médiane de soins inappropriés (sous-utilisation ou surutilisation) est de l’ordre de 30 %. Ce constat de lacunes en matière d’efficacité de prestation de soins survient après des décennies d’efforts pour résoudre les problèmes liés à la qualité des soins5. Une question se pose alors: « Que doit-on faire pour améliorer la qualité des soins? »
L’approche générale d’amélioration de la qualité des soins de santé, objet central de mes intérêts professionnels depuis de nombreuses années, vise à garantir de proposer aux patients des tests et des traitements dont les avantages sont bien établis. Pourtant, les efforts pour promouvoir l’adoption de soins recommandés produisent peu de résultats concrets. Un examen systématique de plus d’une centaine d’initiatives d’amélioration de la pratique professionnelle, publié dans le CMAJ en 1995, a conclu qu’il n’existe pas de « solution miracle », la plupart des actions aboutissant à des améliorations modestes relativement aux pratiques recommandées6. Plus de 25 ans se sont écoulés, mais il reste difficile de promouvoir l’adoption de méthodes efficaces et l’abandon de celles qui ne le sont pas. À titre d’exemple, selon les résultats de 2 méta-analyses, 2 techniques d’amélioration courantes, l’aide informatisée à la prise de décision et les fiches de rendement, augmentent généralement la proportion de patients recevant les soins recommandés de 5 % seulement dans l’ensemble7,8. Certains essais individuels font état d’améliorations plus importantes, mais les circonstances entourant ces résultats demeurent floues. Même si on parvenait à obtenir de manière cohérente des progrès notables, il n’est pas viable de surcharger les médecins avec des fiches d’évaluation et des rappels de divers objectifs de qualité.
Les auteurs de l’étude systématique dirigée par la Dre Squires mentionnée ci-dessus4 ont déterminé que l’analyse de l’hémoglobine glyquée (HbA1c) est le test diagnostique le plus fréquemment sous-utilisé au Canada. Aborder cet enjeu de sousutilisation pourrait mener à l’administration de nombreux traitements efficaces contre le diabète élaborés ces dernières années. Pourtant, plus d’une centaine d’essais contrôlés randomisés visant à évaluer les interventions d’amélioration pour les patients diabétiques dans les unités de soins ambulatoires ont révélé une réduction moyenne de l’HbA1c de seulement 0,37 %9. Même si des recherches permettaient de sélectionner des optimisations plus efficaces, une question demeurerait, à savoir: comment établir l’ordre de priorité des problèmes liés à la qualité? La hiérarchisation des priorités pourrait dépendre des avantages prévus pour la santé si l’on comblait des lacunes par rapport aux soins recommandés. Les statines, l’exemple le plus fréquent de sous-utilisation thérapeutique dans l’étude systématique4, constituent une illustration frappante. Parmi les patients atteints d’une maladie cardiovasculaire athéroscléreuse établie, 33 % doivent prendre une statine pendant 10 ans pour prévenir 1 décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral ou événement ischémique récurrent10. En outre, l’administration de statines ne repousse le décès des patients atteints d’athérosclérose établie que de 17 jours11. Bien sûr, il existe des interventions cliniques associées à des avantages plus importants — les vaccins contre le SRAS-CoV-2, par exemple — mais elles constituent des exceptions plutôt que la règle. Par conséquent, l’approche générale d’amélioration de la qualité consiste à mettre en œuvre des interventions à l’efficacité négligeable pour promouvoir le recours à des soins dont les bénéfices s’avèrent le plus souvent minimes.
À l’heure actuelle, les systèmes de santé sont confrontés à la pandémie de COVID-19, qui vient s’ajouter à de lourdes menaces imminentes, découlant notamment de l’épidémie d’opioïdes, de la crise climatique, de l’aggravation des inégalités économiques et du racisme systémique. Compte tenu de l’incidence de ces menaces sur les systèmes de santé et la santé de la population, la promotion de l’adoption de lignes directrices en matière de pratique paraît plus ou moins inutile. Il s’agit d’un moment particulièrement important pour envisager des solutions de rechange à la stratégie visant à produire des gains modestes sur divers aspects de soins précis. Même les soins recommandés apportant des avantages considérables, comme le dépistage du cancer, auront une incidence limitée si la maladie ne peut pas être traitée en temps opportun parce que les opérations non urgentes sont annulées en raison d’une capacité de lits insuffisante et d’un manque de personnel. Les obstacles systémiques à la fourniture des soins recommandés vont aller en se multipliant, l’aggravation rapide de la crise climatique provoquant des événements météorologiques catastrophiques, des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement et un afflux de patients en raison des vagues de chaleur et de la détérioration précipitée de la qualité de l’air. Par conséquent, tous les efforts d’amélioration doivent se concentrer sur le renforcement de la résilience des systèmes de santé dans les hôpitaux, les unités de soins ambulatoires et les centres de soins de longue durée.
La nécessité de réévaluer les priorités s’applique donc aux efforts d’amélioration, mais également à l’ensemble du secteur de la recherche. Par exemple, le résultat de dizaines de traitements potentiels contre la démence précoce sera vraisemblablement un médicament à l’efficacité comparable aux statines pour les affections cardiovasculaires: sur de nombreux patients qui prendront le médicament pendant des années, un seul en retirera un bénéfice valable. Les statistiques désastreuses sur les décès causés par la COVID-19 dans les établissements de soins de longue durée illustrent avec éloquence la nécessité d’améliorer les modèles de soins aux personnes âgées vulnérables qui vivent dans la collectivité et dans ces établissements; cela serait plus avantageux sur le plan de la santé que de poursuivre les efforts afin de trouver un traitement miracle contre la démence. Dans le même ordre d’idées, la menace de la pollution de l’air qui, selon l’Organisation mondiale de la Santé, provoque plus de décès que le tabac, doitelle être gérée au moyen de l’élaboration et de l’évaluation d’infinies permutations des inhalateurs? Il est prouvé que des changements minimes dans la qualité de l’air entraînent des modifications détectables des taux de morbidité et de mortalité sur 48 heures12,13. La recherche devrait se concentrer sur la préparation des systèmes de santé à des hausses prévisibles du nombre de maladies respiratoires dues à des périodes de dégradation de la qualité de l’air, ainsi que sur la collaboration entre les secteurs pour réduire la pollution.
A priori, ces recherches ne semblent pas relever du domaine des soins de santé. Cependant, les données probantes s’accumulent indiquant que les déterminants sociaux de la santé, notamment les conditions de la petite enfance, l’éducation, le logement, les milieux de travail, la violence urbaine, ainsi que la qualité de l’air et de l’eau, exercent des effets importants sur la santé14. Les actions visant ces facteurs offriraient sans doute un meilleur rendement que l’adoption limitée de pratiques recommandées influant généralement peu sur la santé.
Lorsque la recherche biomédicale produit une « solution miracle », comme les vaccins contre le SRAS-CoV-2, son adoption peut être considérablement réduite par la désinformation et la division des forces sociales. Rudolf Virchow (pathologiste et homme d’État allemand, et l’un des médecins les plus éminents du 19e siècle) a écrit que « la médecine est une science sociale et la politique n’est rien d’autre que de la médecine à grande échelle ». Selon lui, les professionnels de la santé reprochent souvent aux politiciens de ne pas écouter ce que disent les scientifiques. Les acteurs du milieu de la santé devraient également s’interroger sur les meilleures façons de relever les grands défis sanitaires de notre époque.
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220134; voir l’article connexe en anglais ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/211416
Footnotes
Intérêts concurrents: Kaveh Shojania a reçu un soutien salarial du Centre pour l’amélioration de la qualité et la sécurité des patients et de la Faculté de médecine de l’Université de Toronto, ainsi que du Service de médecine du Centre des sciences de la santé Sunnybrook. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été commandé et n’a pas été revu par les pairs.
Références
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